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De la nécessité dans la Culture

C’est une très mauvaise idée. Je ne devrais pas parler de ça, je vais sûrement me fâcher avec des gens, parce que je n’ai ni l’éloquence, ni la légitimité pour parler de ça, et qu’en plus ça manque foutrement de cohérence avec ma façon de considérer les choses.
Seulement voilà, Star Wars est passé par là.
Depuis des années maintenant, je suis en paix avec l’idée que Star Wars, finalement, c’est vraiment plus du tout mon truc. George Lucas a écrit une histoire de Fantasy dans l’espace, hybridée avec du Space Opera, calquée à toute force sur le monomythe et le parcours du héros théorisé par Joseph Campbell, très bien. J’ai trouvé des ouvrages, des films, toutes sortes de choses qui conviennent mieux à mon envie d’histoires à me faire raconter.
Mais pourquoi je dis « en paix » ? Parce que je me suis rendu compte il y a quelques années que des fois, donner son avis sur un morceau de la culture populaire, à notre époque, c’est prendre un risque. J’ai le triste sentiment qu’on a perdu le sens de la nuance et de la mesure. Qu’un livre, qu’un film fasse l’événement, c’est compréhensible, que tout un chacun donne son avis, c’est logique, et souhaitable. Mais qu’on s’écharpe à son propos, ça m’échappe complètement.

Est ce qu’il ne serait pas temps de revoir un peu notre façon de fonctionner ? Ne devrait-on pas travailler un peu sur nos schémas mentaux de consommateurs de la Culture ?
Essayons de segmenter un peu la réflexion. D’abord, posons la question primordiale à mes yeux, qui, par ricochets, engendre toutes les suivantes :
Certaines œuvres sont-elles indispensables ?

Je me rappelle une discussion que j’ai eue avec un collègue, qui me disait qu’il « faut voir Star Wars ». J’avais tiqué. Pas sur l’importance ou l’impact de Star Wars en tant qu’oeuvre culturelle, non, elle est indiscutable. Mais sur cette notion de « nécessité ». Comme s’il fallait forcément avoir vu Star Wars. Voilà un premier point de friction pour moi.
D’où naît cette idée que dans un monde comme le nôtre, où l’offre ne cesse de dépasser la demande lorsqu’il s’agit de lire, de voir, d’écouter, certaines œuvres feraient office de passage obligé ?
Encore aujourd’hui, je suis marqué par ce que Brandon Sanderson a un jour écrit au fil des lignes de Alcatraz Smedry, et qu’avec un ami nous appelons la « parabole des nouilles au beurre »(pas de spoil, promis). L’idée est la suivante : le héros du roman adore les nouilles au beurre, c’est son plat préféré. Il pourrait en manger à tous les repas, sans se lasser. Et il adore tomber sur des gens qui adorent aussi les nouilles au beurre, parce que ça leur fait un point commun sur lequel ils peuvent discuter pendant des heures. C’est trop bien.
Seulement voilà. Vient un moment, où parler seulement de nouilles au beurre, ça devient quand même redondant. Et puis si ça se trouve, à force, il va passer à côté d’opportunités de manger autre chose, ou de personnes qui, en dehors de leur désintérêt pour les nouilles au beurre, pourraient être tout à fait captivantes. Alors voilà, de temps en temps, il fait l’effort de manger autre chose et de discuter d’autres choses, quitte à passer de mauvais repas ou à avoir des discussions désagréables. Mais sans jamais désespérer qu’un jour, peut être, il découvre un autre plat que les nouilles au beurre, encore meilleur.
Une parabole assez évidente il me semble.
Et voilà, j’ai un peu le sentiment que tout le monde à tendance, aujourd’hui, à un peu trop s’accrocher à son goût pour ses nouilles au beurre, avec chacun sa petite recette personnelle, quitte à se battre autour de l’ontologie de la nouille.

Une bien trop longue introduction, mais qui me semble, pour le coup, indispensable, pour bien comprendre d’où je viens et où je veux aller. On a tous eu à subir, avec une joie inégale et fluctuante les lectures obligatoires durant une bonne partie de notre scolarité. Le problème ou son absence dépendent du caractère et des goûts de chacun. La question n’est pas la qualité des œuvres en question, uniquement leur caractère obligatoire et censément nécessaire, comme si avoir lu Zola, Balzac ou Apollinaire avait des vertus qu’aucun autre travail de lettres ne pouvait fournir à leurs lecteurs.
Or, il n’en est rien, et j’aurais même tendance à affirmer le contraire. Tout est affaire de contexte. Combien de fois avons-nous été confronté à la situation maudite de ne juste pas être dans le bon état d’esprit face un oeuvre ? Trop triste, trop en colère, trop distrait.e ? Juste pas le bon ouvrage au bon moment. Quelques heures, quelques jours, mois ou années et un sens nouveau apparaît, parce que nos yeux ont changé, notre esprit, simplement notre humeur, ou encore nous tout entiers. Il me semble que c’est là une idée communément répandue et acceptée.
Seulement voilà. Arrive la question du goût. Pire, du bon goût, au sein de la Culture du meilleur. Des prix, partout. Des notes, un jury permanent, omniprésent, protéiforme. Des gourous, des guides du bon goût, de ce qu’il convient de lire/voir ou non. Et tout ce qui n’est pas dans le bon carcan n’a pas le droit de cité ni d’exister.
(Il convient ici d’ouvrir une petite parenthèse littéraire pour ne pas oublier que la surproduction est aussi un très gros problème, mais pas le cœur de la présente réflexion.)
Notons bien qu’il n’est pas ici question de se plaindre du mauvais traitement d’œuvres appartenant à des genres chers à mon cœur injustement boudées par le reste de la population, c’est un autre sujet à lui tout seul. Non, il n’est bien question que de ce sentiment flottant que certains événements culturels seraient devenus incontournables et que nos agendas devraient tourner autour d’eux.
Où est passée l’envie ? Pas l’envie marketée, créée artificiellement à coups d’annonces et de teasing savants, mais celle qui vous prend par surprise ; au détour d’un rayon ou d’un long bouche-à-oreille, quelque chose que vous découvrez, dont vous n’aviez jamais entendu parler, ou vaguement, dont quelqu’un vous parle et qui finit par vous parler. Parce que quelque chose résonne en vous dont vous n’aviez pas idée, ou que vous ne connaissez que trop bien, dont vous savez que ça résonnera encore bien longtemps après la lecture/le visionnage.
Combien de personnes entends-je et lis-je sur les réseaux commerciaux notamment, expliquer à quel point ils sont déçus ou indifférents à quelque chose qu’ils attendaient pourtant depuis longtemps (ou qu’on leur faisait attendre depuis longtemps). Je me suis vu rester étranger à tout cela, confus, pendant longtemps, ne comprenant pas trop comment, de mon côté, j’avais réussi à conserver une humeur égale et souvent positive vis-à-vis de la très grande majorité de mes découvertes.

Et puis la lumière s’est faite. Ma consommation ne se fait pas autour de mes besoins, mais de mes envies. Comprenons-nous bien, il n’est pas question de dire que les envies ne sont pas le moteur de la majorité des gens, bien entendu. La question est de savoir à quel point la nécessité crée l’envie. Combien de personnes ai-je croisé n’ayant prêté attention à Game of Thrones ou ayant continué à regarder The Walking Dead, seulement pour ne pas perdre pied dans les conversations avec leurs amis ? Et ainsi se lancent les guerres conversationnelles sur le niveau de telle ou telle adaptation par rapport à une autre, sur les choix de casting de telle ou telle série ou sur la fin de telle ou telle saga.
L’ontologie de la nouille.
Et moi, à côté, qui ne comprends rien à ce qui se dit ou de loin, parce que je ne m’y suis pas suffisamment intéressé, parce que ça ne me donnait de toute façon pas envie. Mais qui prend un malin plaisir (je dois bien l’avouer) à expliquer à un camarade de conversation qui viendrait chercher autre chose que l’avis de ses condisciples, que de mon côté, j’ai découvert des super bouquins de fantasy, qui, d’après ce qu’il m’a dit et ce que je l’ai entendu dire, pourraient vachement lui plaire. Et qu’il n’a pas lu, de toute évidence.
Mais voilà que s’amorce un échange. Je lui parle de ça, et il pense à certains aspects de Game of Thrones qui pourraient me plaire, parce que ces aspects-là l’ont follement marqué. Et voilà que je me dis qu’après tout, un jour, oui, je pourrais bien me laisser tenter. Et puis en voilà une autre qui vient se greffer à la conversation. Elle n’a aimé ni l’un ni l’autre des ouvrages évoqués. Mais elle en a lu un autre, dans un tout autre registre, mais qui aborde des sujets communs aux deux autres. Et nous voilà tous les trois intéressés.
Le cœur du problème n’est pas que quelque chose marche et que j’y sois étranger. Si l’on devait convertir la parabole des nouilles en analogie géographique, je dirais que le problème est que trop de gens, une fois installés dans un pays, ne souhaitent pas en sortir, et pire, rejettent ceux qui voudraient simplement le visiter. Comme si dans le joli pays de la littérature générale, les fans de Guillaume Musso devaient déclarer leur indépendance pour espérer survivre à l’opprobre du gouvernement Goncourt. Ou si quelqu’un y habitant devait se découvrir une passion subite pour le travail d’Ursula Le Guin qui l’amènerait à devoir s’exiler.
J’ai simplement envie de voyager à ma guise, sans devoir me sentir obligé de visiter tous les monuments historiques. Si ils racontent quelque chose d’absolument passionnant, nul doute que le guide saura m’en dire assez pour que je puisse continuer mon trajet tranquillement, faisant moi-même la découverte d’un petit restaurant caché au fond d’une ruelle qui constituera une histoire essentielle à mon cœur. Mais si le guide devait me prendre par le bras et me forcer à suivre la visite, où serait mon plaisir ? Seulement à la sortie.

Tout ça pour dire que à mes yeux, non, rien n’est indispensable en dehors d’un contexte précis qui lierait l’envie et le besoin. À moins d’avoir l’envie d’en savoir un maximum sur un sujet ou un genre donné, il n’est nul besoin de s’y plonger tout entier.
La peur de rater quelque chose ne constitue pas à mes yeux une envie, mais un besoin artificiel, qui ne peut conduire qu’à un certain niveau de frustration, dépendant uniquement de sa place entre les camps qui vont se créer autour de l’inévitable querelle à venir. Le problème vient peut-être de moi dans ce cas précis ceci étant dit, sachant plutôt bien où se situent mes curseurs, je ne m’attaque que très rarement à des séries puisque le format même ne me convient pas ; je ne suis donc que rarement déçu et je ne participe que peu à d’éventuels débats, par la force des choses. Il ne faut pas oublier que la certitude est sans doute le plus grand luxe des spectateurs.

Mais d’un autre côté, je m’efforce aussi d’être aussi positif que possible. Je cherche d’abord ce que j’aime ou peux aimer dans tout ce que je découvre et je concentre mes analyses sur ces aspects en premier avant de voir ce qui pourrait me déplaire. L’idée est de trouver en priorité ce qui est le plus facile et le plus profitable à partager, pour ceux qui me lisent ou à qui je parle. Exit la nécessité, primeur est donnée à l’intérêt. Pas pour moi, mais pour celles et ceux à qui je m’adresse. En me concentrant sur les réussites et intentions des œuvres plutôt que leurs ratés, il m’est plus aisé de les apprécier à travers les yeux des autres, et donc d’y mettre en évidence les éléments qui ont pu trouver ou qui pourront trouver grâce à leurs yeux. Même si parfois c’est compliqué. Mais cette frustration est amplement compensée par le plaisir de localiser dans ma mémoire la perle rare qui pouvait manquer à quelqu’un alors que c’était simplement un rendez-vous manqué de mon côté. Et puis surtout, le temps pris à en discuter me paraît moins perdu que lorsque je dois entendre quelqu’un m’expliquer en quoi la vision de tel ou tel réalisateur sur telle ou telle adaptation était bien pire qu’une autre, ou que la fin de tel ou tel bouquin était une honte, et que je n’ai rien à lui répondre d’autre que mon respectueux désaccord. Il n’est nul besoin d’essayer de convaincre quelqu’un qu’il a raison ou tort d’aimer ou de ne pas aimer quelque chose sur des bases prétendument objectives, puisqu’il n’est nul espoir de réussite qui tienne. Mort à la nouille.

Pour finir, je reviendrais sur un reproche qui un jour m’a été fait alors que je défendais une oeuvre que j’aimais face à une majorité de gens en désaccord, à l’aune de ma simple nostalgie. Certes, le roman en question était très discutable, sur de nombreux aspects. Mais voilà, c’était probablement le premier gros roman de SF que j’ai jamais lu. Et même en y revenant aussi objectivement que possible, le fait est que, aussi imparfait qu’il soit, je l’aime ce roman, il est quand même plein de bonnes idées et de concepts que je trouve encore originaux aujourd’hui. Oui j’ai lu meilleur par la suite, et nul doute que j’en lirais encore bien d’autre dans le futur. Peut-être même que je finirai par le détester, ce roman. Parce qu’on change, et que chaque oeuvre à laquelle nous nous confrontons nous change, sans exception, même à une infinitésimale échelle, sans même que nous puissions en avoir conscience parfois. Et dans cette logique, notre regard change. Une idée lue dans un livre ou vue dans un film, lorsqu’elle nous frappe pour la première fois, ne nous frappera jamais autant par la suite, même dans une oeuvre qu’on aurait pu trouver meilleure. C’est la puissance de l’effet de surprise et la fatalité de la flèche du temps. La chronologie des sorties et la chronologie des lectures ne peut que trop difficilement être la même.
Voilà pourquoi j’ai autant de mal avec les reproches qu’on a pu me faire d’être « trop bon public », ou encore de faire preuve d’un « relativisme absolu ». Ce dernier parce que j’avais un jour déclaré que si quelqu’un trouvait son compte dans quelque chose que je n’avais pas personnellement apprécié, je n’avais rien d’autre à dire ou faire qu’hocher la tête et accepter cet état de fait. Chaque oeuvre, dans son entièreté, parlera à tout le monde d’une façon unique et ponctuelle. L’espace d’une heure, d’un cœur, ou d’un cerveau si vous êtes cartésien, ne peut absolument tout changer à sa réception. Le moindre détail, le moindre changement de ponctuation ou de sentiment peut faire basculer votre vision d’une oeuvre, tout comme la personne que vous êtes détermine en profondeur si vous allez aimer ou non ce qu’on vous présente.
Tout comme selon la personne que vous êtes et votre bagage culturel, ce que j’ai pu dire ici aura résonné différemment. Preuve en est, le chemin que j’ai moi-même parcouru à cet égard en quelques années. En oblitérant le concept de plaisir coupable de ma vision des choses, j’ai pu libérer mes goûts, profiter à fond de chaque opportunité de creuser dans des directions différentes de celles vers lesquelles j’avais l’habitude de me diriger, découvrir des plaisirs inespérés et inattendus. Mais si en effet il m’arrive de pêcher et de retomber dans ces vieux travers, ne les vivre que quelques fois plutôt qu’à répétition me soulage d’un poids immense.

Mon bilan sera donc celui-ci.
Soyez curieux. Voyez, lisez ce que vous voulez, n’ayez d’autre empire sur vous-mêmes que celui de vos envies et de vos goûts, assumez vos passions, partagez-les, faites en monter la fièvre sans honte. Et lorsque vous n’aimez pas, réfléchissez à pourquoi, sans bouder vos plaisirs fugaces, songez à ce qui aurait pu vous plaire, plutôt qu’à ce qui vous a déplu, non pas pour savoir de quoi vous plaindre, mais plutôt dans l’unique optique de savoir avec qui vous pourrez partager votre découverte sans simplement répéter votre frustration et plutôt ouvrir des horizons. Tout simplement, soyez bienveillants, et par pitié, arrêtez de vous prendre la tête sur ce qui ne devrait vous apporter que de la joie, de la catharsis et du divertissement, parce que ça a été fait pour ça.

Au plaisir de vous recroiser.
En attendant, que votre avenir soit rempli d’étoiles. 😉

7 comments on “De la nécessité dans la Culture

  1. muriellerochebrunet dit :

    Alors, bravo, très intéressante réflexion… j’irai même un plus loin…
    De la difficulté parfois… à résister aux injonctions (un grand classique dans notre magnifique démocratie culturelle… et plus largement). Je sais… je pousse le bouchon, mais on n’en est malheureusement pas si loin dans certaines circonstances (ah, oui au fait, je ne suis toujours pas sur twitter, ahaha).

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  2. Maïm Garnier dit :

    « Soyez curieux ! » Si ton billet ne m’avait pas déjà fait hocher la tête à de nombreuses reprises, je ne peux que savourer cette conclusion. 😉

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  3. Onos T'oolan dit :

    « Soyez Curieux »! C’est la phrase-thème de ma classe, en CM2, l’âge ou on commence à forger son identité.

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  4. Tigger Lilly dit :

    Merci pour cette réflexion, très intéressante 🙂

    Aimé par 1 personne

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