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(P)rendre la parole

Ça doit bien faire deux ou trois mois que ce billet me traîne en tête. Par deux fois j’ai tenté d’en lancer la rédaction. Par deux fois, j’ai couvert plusieurs pages de mes mots, aussi enragés que démunis face à l’ampleur de la tâche. Et deux fois, j’ai laissé tomber, résigné par mon inconséquence, par mon sentiment de ne pas être à ma place, de pas avoir la légitimité à m’engager sur un terrain bien trop glissant. Seulement voilà, j’ai croisé des gens intelligents et bienveillants dans ma vie sur les réseaux commerciaux, qui, d’aussi loin qu’ielles soient, sont pourtant des gens que je respecte, qu’il me paraît judicieux de suivre et d’écouter. Alors au diable mes peurs ou mes hontes, il est temps de me mettre un peu en danger. Parce qu’il s’agirait aussi, et surtout, d’être à la hauteur de l’enjeu.

Soyons clairs, pour commencer, j’étais, je suis, et je serai toujours, intrinsèquement, à mon corps défendant, partie intégrante du problème. Parce que je suis un mâle cis-het blanc, n’ayant jamais été sujet à un contrôle d’identité dans la rue, que jamais je n’ai été remis en cause pour ce que j’étais, que j’ai grandi dans une famille aisée avec des parents aimants et ouverts d’esprit. De ces faits précis sont nés des biais de perception et de réflexion dont il m’a fallu des années de discours, d’explications et d’introspection avant de parvenir à me débarrasser. Seulement en partie, cependant, puisque encore aujourd’hui, une voix dans ma tête me fait parfois des réflexions dont j’aimerais qu’elles ne soient pas miennes, et dont je fais le maximum pour me débarrasser, elles aussi, définitivement. De vieux réflexes à identifier et à éradiquer, de nouveaux à intégrer, pour simplement vivre selon un credo essentiel parmi tous ceux qui guident ma vie et mes décisions : « Sois la meilleure personne que tu peux être ».

Et ces derniers temps, j’ai été confronté, une fois de plus, aux contraintes imposées par ce credo. Parce que lorsqu’il s’agit de débats et d’interrogations sur le féminisme et ses applications pratiques, il me faut bien confesser une certaine circonspection, autant dans ma tête que dans mes réactions. J’ai pris la vague #MeToo en pleine tronche à l’époque. Je vous passe tous les détails de mes soucis de santé mentale et mes dépressions chroniques, né.e.s, sans doute de toutes les injonctions contradictoires que je me fais sans cesse subir à moi-même, en permanence. Ce n’est bien entendu pas le sujet ; mais ça compte, parce que ça a forgé, pendant toute ma jeunesse, une tendance personnelle à toujours penser que le problème vient d’abord de moi, et non des autres, quelque ce soit la situation ; une habitude aussi destructrice que salvatrice, instillant un doute systématique sur le crédit que j’accorde à mes raisonnements. Et donc, lors de ce déferlement, la révélation a été aussi violente que soudaine. La remise en cause d’un modèle entier, des journées entières à me demander à quel point j’avais pu, à mon échelle, participer de cette horreur systématisée, et un bilan loin d’être reluisant. Une honte, qui encore aujourd’hui, me brûle régulièrement, autant d’avoir pu commettre ces erreurs et ces errements que d’avoir dû attendre une telle occasion pour me rendre compte que je les commettais, et surtout de ne pas pouvoir les rattraper.

Ne restait plus qu’à me comporter différemment. Identifier ces schémas malsains pour les éliminer, et mieux comprendre comment j’avais pu, pendant si longtemps, aussi facilement m’en imprégner ; pour mieux éviter de retomber dans les mêmes travers. Mais le plus dur, et tout l’objet de ce billet, c’était de savoir comment être un allié. Comment aider au mieux, alors même qu’on est précisément une partie du problème, et que de par ce même fait, j’en rate forcément des aspects essentiels ? Je me suis longtemps débattu avec mes propres idées et mes réflexions, trouvant autant de raisons de me taire que de parler, d’écouter, que de faire fi. Sans cesse, mon esprit faisait, et fait encore des allers et retours incessants entre toutes les données de ce problème ; non pas (seulement) parce que je ne suis pas légitime ou trop inconséquent, mais simplement parce qu’il est bien trop complexe et vaste pour que je puisse en saisir tous les aspects sous le coup d’une seule réflexion, personnelle ou assistée. Trop de problématiques uniques, ponctuelles, limitées à un sujet précis, qui empêchent de faire une lecture globale de tous les phénomènes à étudier. #MeToo et tous les mouvements qui en sont nés ou qui peuvent s’y associer ont le mérite de faire se libérer la parole, mais demeurent souvent des témoignages. Ainsi, ils sont piégés, individuellement, dans des prismes particuliers, eux aussi avec leurs œillères, non pas coupables, mais victimes, comme les autres. Et c’était ça, tout mon problème. Je n’arrivais pas à voir que si j’ai été et que je suis encore part du problème, c’est bien parce que j’étais piégé dans mon propre prisme de perceptions. Et que ce prisme, en me forçant au silence, dans un statut de spectateur, ne me permet pas d’être l’allié que je voudrais être. Car si je me contente de suivre la parole jugée légitime, je ne pourrais pas suffisamment évoluer et réellement aider cette cause qui me paraît aujourd’hui fondamentale, à la racine même de tant des maux qui pourrissent ma tête et la société dans laquelle nous vivons.

Il ne s’agit pas d’être légitime. Il ne s’agit pas de réussir à trouver les paroles magiques qui feront comprendre aux plus obtus des adversaires les errements dont ils sont eux-même coupables. Sans compter que les vrais ennemis sont ceux qui ne cherchent même pas à évoluer, à comprendre en quoi ils se démènent face à un vent qui ne cessera jamais de souffler contre eux. Il ne s’agit pas de m’effacer complètement devant la parole de celles et ceux qui contrairement à moi ont vécu des horreurs, de me taire par fausse humilité ou par peur de ne pas être à ma place. Parce que le silence est criminel. Il s’agit de faire au mieux. D’être capable de parler autant que d’écouter. Il s’agit d’intégrer ce qui ne vient pas de soi, pour restituer au mieux quand celles et ceux qui pourraient parler ne le peuvent pas. Il ne s’agit pas d’être le messie, le prophète ou l’apôtre d’une hypothétique juste parole. Il s’agit de faire au mieux. Celles et ceux qui se battent pour que la parole se libère, pour que notre société avance vers son modèle utopique plutôt que vers son modèle dystopique n’ont pas besoin d’une majorité silencieuse, ielles ont besoin d’une minorité bruyante qui deviendra majorité en donnant le courage ou les armes nécessaires pour s’exprimer, à ceux et celles qui se taisaient jusque là.

Je n’ai pas besoin de courage pour parler de mes luttes intérieures, de mes propres démons, ou en tout cas je n’ai plus besoin. Encore une fois, c’est un privilège, que je choisis de n’exercer que ponctuellement, quand le besoin s’en fait sentir, ou quand les gens en sont curieux. Mais cela ne doit pas m’empêcher de progresser, de sans cesse m’interroger sur ce que je peux faire de mieux, dans tous les domaines, et celui des luttes en particulier. Faire la différence entre un silence coupable et une parole superflue fait partie du travail que nous avons tous à faire. Je n’ai parlé que de moi, j’en ai conscience, mais parce que comme tout le monde, c’est la seule base de travail sur laquelle j’ai une véritable emprise ainsi qu’une expérience optimale, et sur laquelle mes décisions ont un impact aussi direct qu’irrémédiable. Et si pendant tout ce temps, j’ai écouté, lu tout ce que je pouvais sur ces sujets, à la hauteur de ma faible capacité d’absorption – je le confesse – je viens de comprendre que cela ne suffisait pas. Si je veux être à la hauteur de l’enjeu, il ne me suffit pas de laisser parler celles et ceux qui ont quelque chose à dire. Et si j’ai bien conscience, encore une fois, que ma parole a sans aucun doute moins de valeur que celle des véritables victimes du patriarcat (pour ne citer que lui), j’aime croire qu’elle en a pourtant une. Et s’il est criminel de faire taire ces paroles, lorsqu’elles ne s’expriment pas d’elles-même, il ne faut jamais laisser place au silence. Plus jamais.

Ces derniers jours, je me rends de plus en plus compte que les combats contre le sexisme, ou toutes les formes de discrimination, sont protéiformes, changent sans cesse, au gré des nouveaux enjeux qui se découvrent en permanence, des nouveaux ennemis qui se révèlent, exogènes comme endogènes, sournois ou frontaux. Et enfin j’en arrive au cœur de ma réflexion. Nous n’arriverons à rien sans dialogue ni bienveillance. Une phrase qui revient bien sûr à enfoncer une porte ouverte, mais dont le rappel me semble vital. Si j’ai pu autant avancer sur des sujets aussi délicats, cela n’a jamais été en étant exclu, mais bien en étant inclus. Par des personnes qui voulaient bien voir que malgré certains réflexes maladroits, certaines réflexions à côté de la plaque, je faisais de mon mieux, même s’il était rarement suffisant, et souvent frustrant à vivre depuis l’autre côté. Seulement voilà, si je n’étais pas prêt à me prendre quelques baffes, encore, en faisant des erreurs de bonne foi, je ne pourrais pas me targuer de faire au mieux. Il faut donc prendre des risques, s’interroger plus avant et oser s’exprimer sur ces sujets, quitte à se vautrer. Poser des questions, ne rien affirmer sans une base solide, et surtout, toujours faire preuve d’humilité. Dans un sens comme dans l’autre. Avoir l’humilité d’admettre qu’on ne comprend pas tout, comme celle d’admettre que quelque chose dans l’explication ne parvient pas à passer le cap de l’incompréhension ; comme celle d’admettre que certaines personnes ne sont pas là pour comprendre, mais seulement pour combattre.
Cette différence est fondamentale à mes yeux. Car si parfois je manque d’éléments pour avancer dans la bonne direction dans ces sujets si délicats, je ne pourrais, finalement, le faire qu’au travers du consensus, de la compréhension, et donc du dialogue patient. Je crois dur comme fer que dans un combat aussi fondamental que celui là, exclure celui qui fait maladroitement ou insuffisamment son travail de remise en question, d’aide au combat, n’est profitable à personne. Si l’on doit me taxer, avec ce texte, d’avoir raté certains enjeux, je serais ravi qu’on me l’explique, et d’en discuter, pour justement mieux en débattre – dans le sens le plus noble du terme – afin d’en tirer les enseignements nécessaires à une meilleure compréhension, et donc à terme, une meilleure participation de ma part. Mais si on doit me taxer d’être du mauvais côté de la barrière, m’excluant de fait d’un combat auquel je veux participer, je crains que tout le monde y soit perdant, si ridicule soit l’échelle. Je crois qu’il est aussi important de mener le combat que d’essayer d’y inclure tous ceux et celles qui veulent y participer, aussi maladroitement que ce soit. Parce que je ne vois pas l’intérêt de s’aliéner de certaines personnes au titre qu’elles ne comprennent pas tout, malgré toute leur bonne volonté, si tant est qu’une vérité puisse s’imposer au milieu de tous ces sujets, si complexes, pour tout le monde.

Il ne s’agit pas seulement de savoir parfois se taire, parfois savoir écouter, parfois savoir rendre la parole, parfois savoir la prendre, la relayer ou la transmettre. Il s’agit de toujours savoir faire chacune de ces choses, au bon moment, et avec la bonne intensité, en fonction des circonstances et de ses moyens propres ; mais ne jamais se contenter de suivre le mouvement sans esprit critique. Parce que si discuter de ces choses est toujours, pour moi, une occasion d’en apprendre plus sur ce que je peux faire, à mon niveau, pour que les choses se passent mieux pour ceux et celles qui sont moins fortunés que moi, alors je ne dois pas être le seul. Et en étant moi-même bienveillant, en sachant parler, m’exprimer avec les moyens qui sont les miens, autant que me taire et écouter, alors je donnerais cette chance à d’autres, qui auront aussi, à leur tour, l’humilité et l’intelligence de se taire et d’écouter, pour parler à leur tour, quand ce tour sera venu, même si cela est maladroit, ou incomplet. Car tout le monde a, sans cesse, quelque chose à apprendre de tout le monde, et qu’une parole bien intentionnée, aussi maladroite qu’elle puisse être, constituera au pire des cas une porte ouverte vers des paroles ou des idées plus complètes, pour celui ou celle qui saura avoir la curiosité de la franchir.
C’est, je crois, la leçon la plus importante que je pouvais tirer de tout ça. Personne ne devrait avoir peur de parler, quand il s’agit de vouloir aider, tout comme personne ne devrait avoir peur d’écouter quand l’occasion se présente. Il faut savoir (p)rendre la parole.

1 comments on “(P)rendre la parole

  1. muriellerochebrunet dit :

    L »ambition » de « bien penser », « bien parler », « bien écouter », « bien partager », et jusqu’à « bien faire » doit/peut être un objectif non négociable… Mais il ne me semble pas réaliste de penser pouvoir l’atteindre à tous les coups … Pour autant, nulle excuse de ne pas essayer… et ceci de toutes les manières possibles… tant qu’elles respectent les un.e.s et les autres !

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