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Les Métamorphoses T1 – Vita Nostra, Marina & Sergueï Diatchenko

Away From Today – Dan Croll (extrait de l’album Emerging Adulthood)

Peu de pire sensation, à mes yeux de lecteur, que de rester sur le quai quand le train de la hype traverse la gare à pleine vitesse. J’étais enthousiaste à l’idée de lire Vita Nostra, avant même qu’il soit multi-primé. Pas un seul retour négatif, au contraire, des lecteurices dithyrambiques, partout, puis des prix en pagaille ; ce roman ne pouvait rien être d’autre qu’un chef-d’oeuvre ! Je m’étais préparé, j’avais fait le vide dans ma tête, précisément car j’ai pris l’habitude de craindre l’engouement généralisé, et que je voulais être certain de ne pas me piéger moi-même, à trop placer d’attentes dans l’ouvrage. Je crois que j’ai tout à fait réussi ; je suis entré dans Vita Nostra vierge de tout préjugé, ayant même réussi à éviter le moindre spoil, tant sur la forme que sur le fond.
Et pour autant, me voilà, deux jours après l’avoir commencé, à devoir batailler avec moi-même pour simplement décider si je dois ou non écrire cette chronique ; simplement parce que je déteste la sensation d’être seul face à la multitude, et que j’ai peur de mal m’exprimer. J’ai trop souffert de la solitude et d’une certaine « bizarrerie » dans mon enfance et mon adolescence pour avoir gardé le goût systématique de l’excentricité. Si j’ai su, depuis le temps, en prendre mon parti, évoluer et pleinement assumer certaines de mes spécificités purement personnelles sans souffrir d’excès inverses, cela ne veut pas dire que la sensation d’unicité est devenue agréable à chaque occasion de la ressentir.
Tout le souci étant donc qu’au fil des pages de Vita Nostra, je suis passé de la surprise au doute, puis du doute à la déception, pour finir par refermer l’ouvrage avec un mouvement d’humeur dont je ne suis absolument pas coutumier. Si j’ai pris l’habitude d’avoir parfois un avis tiède ou un peu mitigé sur une lecture, je sais le plus souvent en tirer le meilleur, à la fois pour en préserver le souvenir et pour en garder de quoi la relayer au mieux. Mais dans le cas présent, c’est beaucoup plus compliqué que ça. Si j’aime à chercher le positif dans tout ce que je lis, à en extraire mes biais et griefs personnels, la tâche présente me paraît insurmontable ; ce sentiment d’énervement final prend malgré-moi le pas sur tout le reste. Ma crainte est de sembler exprimer par mon humeur une arrogance, une prétention à juger le goût des autres dont je serais profondément honteux. Mais non, la relation qui lie tout un chacun à n’importe quel ouvrage est sacrée ; il ne s’agit pas – et il ne s’est jamais agi – de juger les relation des autres. Simplement d’expliquer au mieux la mienne, ce qui suggère quelques raccourcis de langage.
Ma propension et ma capacité à l’analyse systématique des œuvres qui me passent sous les yeux sont – de mon propre aveu – autant de réelles qualités que de réels défauts ; je comprends beaucoup de choses très vite sur ce que j’aime ou non d’un texte, j’en exprime des choses qui m’appartiennent et qui créent avec lui une relation privilégiée, précisément. Mais d’un autre côté, j’y perds sans doute en capacité de divertissement, cherchant des mécaniques cachées là où il n’y en a peut-être pas, ou du moins pas dans la prime intention de ses auteurices, le mystère demeure souvent entier.
Je vais essayer tant bien que mal de vous exposer ma relation, dans ce qu’elle a d’intime, avec Vita Nostra ; mais, soyez prévenu.e.s, je me permets de d’ores et déjà vous donner mon mot de la fin : « Tout ça pour ça ? ».

Sacha est une adolescente comme les autres. Lors de ses vacances à la mer, en compagnie de sa mère, elle fait la rencontre d’un homme étrange qui lui confie une menue tâche à accomplir tous les jours, sous peine de terribles répercussions sur ses proches. Ce n’est pas tant une menace qu’une prophétie, une responsabilité, à laquelle elle se rend vite compte qu’elle ne peut pas se soustraire ; sa famille compte trop à ses yeux. De menues tâches en nouvelles responsabilités, s’engage donc un engrenage infernal qui finira par l’emmener à l’université spéciale de Torpa, où elle apprendra les rouages du fardeau qui est désormais le sien, comme celui de ses camarades de classe.

Mais alors, par où commencer ? Sans doute par ce qui m’a plu, et qui m’a permis d’avancer sans heurts le long de l’ouvrage, à savoir son intrigue, son rythme global et ses inventions conceptuelles, qui ont su – malgré toutes mes réserves à venir – continuellement titiller ma curiosité ; me poussant sans cesse à me remettre à l’ouvrage, cherchant à en savoir plus, à mieux comprendre les principes qui le sous-tendent, tout en dévidant ses fils directeurs. Les informations sont distillées au compte-goutte ; lorsque nous comprenons ou découvrons quelque chose, c’est toujours ou presque en même-temps que Sacha, puisque absolument tout est narré de son point de vue. Un choix logique et efficacement mené, qui permet de dévoiler de façon progressive les règles abstraites de l’univers de Torpa, singulier et plutôt très bien rendu au niveau purement conceptuel. À l’échelle de la pure construction narrative, Vita Nostra est quasiment exempt de reproche, un réel page turner dont je n’ai décroché que quand la fatigue ou les circonstances extérieures avaient raison de mes résistances.

Mais maintenant, il faut bien aborder ce qui m’a fâché. Revenons pour cela à mon obsession analytique, qui constitue sans doute le cœur du problème. Je n’ai pas pour habitude de me lancer dans l’analyse d’un ouvrage dès les premières pages, ou du moins, j’aime à me laisser surprendre par ce que je lis. Si une clé de lecture ou de compréhension s’offre à moi, je manipule le texte et ce qu’il m’a donné comme on manipulerait un bloc de bois à faire passer par un trou quand on est bébé ; où ce trou serait disons le « message général » du texte, une signification qui irait au-delà du texte lui-même. Très souvent, les clés ne fonctionnent pas, ou pas complètement, et je les laisse tomber aussi vite que je me les suis suggérées, me contentant d’apprécier le voyage, revenant à ces pièces de bois plus tard pour les sculpter plus précisément afin de les faire passer à travers le trou.
Le problème de Vita Nostra est peut-être que j’ai trouvé cette unique clé bien trop vite, et surtout qu’elle passait beaucoup trop bien, me privant du plaisir de jouer à la sculpter, et surtout du loisir de me laisser divertir. Absolument tout passait à travers le trou de mon interprétation à la perfection. Et si je comprends bien que le roman ne se cache absolument pas d’être un roman d’initiation et une allégorie géante des multiples difficultés et souffrances du passage à l’âge adulte, ses aspects les plus symboliques en sont devenus trop vite péniblement transparents à mes yeux, et surtout omniprésents. De là, le déroulement global du roman était inévitablement prévisible et n’a quasiment plus su me surprendre en dehors de rares occasions, rendant tous ses efforts d’abstraction quasi-nuls.

Comprenons nous bien. L’idée même de la « spécialité » telle qu’elle est pratiquée à l’université de Torpa est un pur coup de génie conceptuel, tant dans sa conception que dans sa réalisation à l’écrit. Le fait de parvenir à représenter à l’écrit l’abstrait d’une manière si simple et pourtant si percutante est un réel tour de force, créant une forme à part-entière de magie unique que je n’ai jamais croisé jusque-là en littérature et que je ne croiserai sans doute jamais à l’identique. Pour ça, un grand bravo. Mais s’en servir d’une façon aussi simpliste, unidimensionnelle, et surtout redondante, m’a très vite fait perdre en intérêt et m’a même assez sévèrement ennuyé. Il m’a semblé que tout dans ce roman, et notamment son usage de la « spécialité », tendait à symboliser les luttes intérieures et extérieures que vivent les adolescent.e.s au moment du passage à l’âge adulte ; l’incompréhension des règles d’un monde étrange dont ils sont de facto exclu.e.s, puis la perte des repères, la destruction des illusions et enfin la reconstruction d’une nouvelle personnalité, plus adaptée à ce nouveau monde auquel iels doivent se conformer pour pouvoir y exister, quitte à devoir consentir à bon nombre de sacrifices.
Encore une fois, à cet égard, il faut sans doute signaler mon rapport particulier à certaines choses que vit Sacha, qui m’ont ramené à ma propre adolescence. Je me suis en effet retrouvé dans son rapport à ces règles étranges d’un monde qui n’est pas le sien, le haïssant tout en y trouvant des moments de grâce, une fascination étrange l’amenant à vouloir en faire trop, trop vite, à la fois pour le plaisir de comprendre et d’utiliser les mécaniques, d’avoir une sorte d’illusion de contrôle sur son destin et l’espoir de pouvoir maîtriser suffisamment le cadre, pour pouvoir l’éclater, et donc s’en échapper. Dans certains de ses raisonnements, de ses réflexions, je me suis retrouvé. Peut-être que cela a frappé trop près du cœur, créant le premier malaise, donnant naissance au reste de mes soupirs agacés, par un effet domino un peu pervers, mais j’en doute, j’étais juste admiratif de la précision dans l’évocation, à ce moment-là.

Non, encore et toujours, c’est de la frustration que naît mon mécontentement. Le concept de « spécialité », cette magie si étrange qu’elle n’en est pas vraiment une, comme son écriture, étaient des concepts d’une puissance rare, dont l’impressionnante maîtrise par les Diatchenko suggérait des usages non moins puissants. Une idée forte, qui, pour moi, a été mise au service d’une ambition bien trop faible, souffrant de fait d’une atrophie irréparable. Un univers entier s’ouvrait aux Diatchenko, et avec lui la possibilité de créer un monde incroyable, sur la seule base d’une idée réellement originale. Seulement, en restant au niveau de Sacha, de Torpa, sa mère et son appartement, l’intrigue fait des liens entre cette promesse d’un monde au delà du monde et des réalités bien trop humbles et terre-à-terre, provoquant régulièrement des frictions textuelles et conceptuelles, qui m’ont complètement sorti du récit à de nombreuses reprises, causant soupirs et grognements agacés. La « spécialité » a trop vite paru à mes yeux comme un vernis de folie apposé à un récit bien trop sage et surtout bien trop convenu ; en y ajoutant une lecture symbolique par trop transparente à mon goût, ce vernis devient tape-à-l’œil et confine aux limites de la pédanterie. Et bon sang que ça me fait mal de l’écrire, mais c’est le sentiment qui m’a traversé plus d’une fois, trop souvent pour que je l’ignore ou que je l’excuse. Ce roman n’est, à mes yeux, qu’une réécriture de Kafka, gonflée aux hormones, avec toutes les qualités et tous les défauts que cela suggère.
Et si je conçois qu’une lecture analytique ne s’imposait sans doute pas, elle s’est imposée à moi, m’empêchant très vite de simplement pouvoir me divertir à la lecture de ce qui m’était raconté, sans compter qu’à mes yeux les incohérences et les questions sans réponses sont bien trop nombreuses, endommageant la structure globale et la crédibilité du roman. Comme souvent ce n’est pas tant la qualité intrinsèque du roman qui me fait le rejeter, mais plutôt les absences coupables que j’y relève, aussi frustrant et stérile que cela puisse être ; rajoutant de la frustration sur la frustration, qui elle-même s’ajoute à la déception. Tout ceci explique sans doute ma colère au moment de le refermer et de le reposer dans un mouvement d’humeur après en avoir lu la conclusion, comme les mots qui sont sortis de ma bouche à ce moment précis : « Tout ça pour ça ? ».

Mais il est, je crois, inutile de m’attarder plus longtemps sur cette lecture qui, s’il faut en saluer les qualités indéniables, m’aura cependant profondément déçu et énervé ; le bouche-à-oreille et les prix ne sont pas toujours un gage de succès. Me trouvant de toute évidence dans le camp de la minorité, je ne vous enjoindrais pas à prendre mon avis comme parole d’évangile, bien au contraire. J’ai une façon bien à moi d’aborder les ouvrages que je lis, ce qui parfois m’amène à diverger du courant général, comme dans le cas présent ; je n’ai pas su y trouver ce que tout le monde semble y avoir lu, ma perte, et ma perte uniquement. Mon conseil serait évidemment de vous faire votre propre avis ou de vous référer à des chroniques plus enthousiastes qui sauront mettre l’accent sur les aspects les plus positifs du roman.
Mais nulle raison d’être amer, ou de rester sur ce sentiment de déception. Pour ce roman précis, que je ne défendrai pas, mais qui trouvera sans peine son public sans que je n’ai la moindre raison pour l’en empêcher, il y aura d’autres romans à défendre, eux, pour qu’ils puissent également trouver un public qui pour le moment les ignore. J’estime que mon travail en tant que libraire et blogueur, c’est de défendre les romans que j’aime pour que d’autres personnes puissent les trouver, pas de passer mon temps à descendre ceux que j’aime moins. Je saurais que Vita Nostra, ce n’était pas pour moi, voilà. Au moins, maintenant, je sais, et je me contenterais très bien d’y rester poliment indifférent. L’essentiel, c’est ne de pas s’arrêter de lire.

Au plaisir de vous recroiser.
En attendant, que votre avenir soit rempli d’étoiles. 😉

11 comments on “Les Métamorphoses T1 – Vita Nostra, Marina & Sergueï Diatchenko

  1. Symphonie dit :

    Je le laisse dans ma Wishlist, parce qu’il m’intrigue quand même, mais pas une priorité pour le moment.

    Aimé par 1 personne

  2. muriellerochebrunet dit :

    Brillantissime chronique ! Excellente maîtrise de l’équilibre !

    Aimé par 1 personne

  3. bailaolan dit :

    Merci pour ce billet; j’ai trouvé qu’il apportait (n’est-ce pas le plus important?) un éclairage qu pourra être utile à tous les lecteurs potentiels, aussi bien ceux qui décideront par la suite que le livre « était fait pour eux » que ceux qui en feront une lecture différente, sans mettre mal à l’aise ni les uns ni les autres. Et les réserves que vous formulez sont, comme toujours, très bien contextualisées.

    Aimé par 1 personne

    1. Laird Fumble dit :

      Merci beaucoup, à vous, pour ce retour. 🙂

      J’aime

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