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Tigane, Guy Gavriel Kay

Preaching To The Choir – Alex Runo

La lecture des Lions d’Al-Rassan avait été un choc comme une révélation, à plus d’un titre. Une découverte du genre qui en appelle d’autres avec une avidité rare, un besoin presque viscéral, primitif, qui nous ramène aux tous premiers émois littéraires. En tout cas, pour moi, c’était ça ; ce sentiment merveilleux d’avoir encore et toujours des choses à expérimenter pour la première fois. Pouvoir me dire que je n’avais pas tout lu encore, loin, très loin de là.
Donc autant dire que Tigane avait une sacrée pression sur les épaules, à bien des égards, pour ne pas me décevoir. Ce qui explique sans doute pourquoi j’ai mis tant de temps à enfin m’y attaquer. Mais voilà qui est fait, et vient maintenant l’instant où je dois plus ou moins m’angoisser en essayant de réfléchir à la meilleure manière possible de vous parler de mon ressenti exact à l’égard de ce roman si singulier. Et pour être tout à fait honnête, c’est compliqué. Parce que je crois que ce roman a bien malgré lui un peu souffert de circonstances extérieures indépendantes de ses qualités propres.
Je vais tâcher de vous expliquer tout ça clairement.

Dans la péninsule de la Palme (librement inspirée de l’Italie de la Renaissance), les provinces-Etats qui la composent sont déchirées entre les influences passées et tyrannies présentes. Plus particulièrement celles d’Alberico de Barbadior et de Brandin d’Ygrath, qui se partagent à quasi égalité l’influence et les richesses disponibles dans un immonde équilibre de la terreur maintenu par leurs seules puissance de sorciers. Poussé par un désir de vengeance mêlé d’un profond de désir d’une liberté retrouvée, un groupe disparate de personnes va se réunir sous la bannière d’un certain Alessan, mystérieux joueur de flûte itinérant.

Pour une fois, plutôt que de me concentrer sur le positif, je vais d’abord faire un arrêt sur mes difficultés. Parce que Tigane, sur certains de ses aspects, notamment de par son ambition, est malheureusement un roman ponctuellement indigeste, surtout dans ses deux premières parties. J’aurais tendance à dire qu’à trop vouloir en dire ou en faire, par moments, Guy Gavriel Kay en rajoute dans la narration, à coup de descriptions perfectionnistes ou de séquences à rallonge qui auraient à mes yeux souvent pu être réduites à des allusions plus efficaces ou simplement écrémées pour gagner en percussion.
Pour me laisser aller, pour une fois, à un cliché, je dirais que Tigane a les défauts de ses qualités. Bénéficiant d’un world-building dense et d’une ambiance incroyable, il fallait bien à son auteur mettre les bouchées doubles pour les incarner par ses mots. De fait, il s’oublie peut-être un peu parfois à trop nous en raconter pour donner un maximum de précisions sur un monde qu’il s’est de toute évidence échiné à construire dans ses moindres détails, de façon à le rendre aussi concret et cohérent que possible. S’oubliant, il nous oublie parfois, et le récit manque alors cruellement de fluidité, manquant de marquer les analepses et retours au présent du récit de façon claire.
Je me suis donc retrouvé, pendant ces 200 premières pages, à lutter, par moments, pour garder ma concentration, à cause de séquences un peu trop arides à mon goût, ou simplement parce qu’il y avait tant de choses à scruter que mon esprit déclarait forfait et partait vagabonder ; me forçant après coup à relire quelques paragraphes pour retrouver mon chemin. Il est tout à fait possible que cette inconséquence de ma part soit à mettre sur le compte d’une ambiance générale un peu délétère, peu aidée par les échos du roman lui-même, n’hésitant pas à jouer avec nos sentiments, notamment dans certaines thématiques un peu complexes ou difficiles à mes yeux ; mais je pense honnêtement que les torts sont un peu à partager.

Mais que cet aveu de ma part n’occulte en rien l’essentiel ; si la forme a pu, à mes yeux, par moments, manquer de constance, le fond, lui, n’a à rougir de absolument rien. Parce que je suis allé au bout de ce roman. J’en avais, même dans mes moments de lutte, profondément envie ; et que ces moments de lutte furent assez vite oubliés, surtout. J’ai encore une fois été happé par un récit vertigineux, dans ses ambitions comme dans leurs réalisations, sachant capturer l’essence de personnages multiples, dotés, comme toujours, de ce souffle, cet organisme si séduisant et évocateur. J’avançais avec iels, j’avais besoin de savoir où iels allaient, où les mèneraient ces destins capricieux, sachant se montrer aussi cruels que généreux.
J’ai retrouvé ces mêmes magnifiques nuances de gris que dans Les Lions d’Al-Rassan, cette capacité à montrer toute l’étendue des capacités humaines, à s’élever superbement au dessus des nuages comme à ramper dans la pire des fanges avec la même force de conviction. Chez peu d’autres auteurices j’ai pu constater de telles oscillations dans mes allégeances, me trouvant à mépriser un personnage pour compatir à ses sentiments quelques pages plus tard sans jamais me sentir trahi, lui donner tort ou complètement raison au fil de ses atermoiements sans jamais questionner sa cohérence ni ma crédulité. Juste comprendre, sans pouvoir juger complètement, tout simplement parce que je n’étais concerné que par la puissance des sentiments qui m’habitaient.
C’est là sans doute que je pardonne ce world-building débordant parfois un peu trop sur la narration, car par l’exposition exigeante de la profonde altérité de la péninsule de la Palme, Guy Gavriel Kay justifie entre les lignes toutes les décisions qu’il fait prendre à ses personnages par des héritages, des histoires personnelles et des cultures complètement différentes de la nôtre, malgré d’évidentes mais certainement pas dommageables similarités. Le fait est que si j’ai bien gardé en mémoire ce départ un peu trop lent, un certain sentiment d’artificialité, je l’ai très vite mis de côté, tout simplement parce que j’étais happé dans les implications de tout ce qui m’était raconté ; et que le récit n’a quasiment jamais cessé de monter en puissance jusqu’à une conclusion exceptionnelle.
L’intrigue seule est une merveille d’architecture géo-politique, sachant tout à la fois vulgariser ses enjeux aux niveaux des têtes pensantes, des décideurs et des tyrans comme des rebelles, mais aussi au niveau plus populaire. Guy Gavriel Kay n’oublie pas que les histoires comme les siennes ne se font et se défont qu’avec de vrais gens pour les nourrir, bien au delà des intentions et des ordres donnés par des personnalités, aussi influentes soient-elles, seules dans leurs tours d’ivoires ; ce qui donne d’ailleurs lieu à d’excellentes scènes, parmi mes préférées, pour illustrer comment Alessan et ses partisans construisent patiemment et habilement leur rébellion plutôt que par la simple puissance des armes et de la soif de vengeance.

Peu importe, finalement, que j’ai pu lutter. Parce que quand j’ai refermé ce roman, j’étais une fois de plus conquis. Il y avait quelque chose, dans ce roman, une fois de plus. Parce que malgré mes difficultés initiales, j’avais au fond de moi la certitude que je n’allais même pas songer à abandonner ; je sentais doucement se construire sous mes yeux un autre roman d’exception, cultivant des qualités rares, ne demandant qu’à surgir. Et lorsqu’elles ont surgi, elles ne l’ont pas fait à moitié, au contraire. Je me suis fait avoir plus d’une fois, toujours avec un grand plaisir, à chaque fois parfaitement renouvelé, laissant même échapper un hoquet de surprise ravie à l’occasion. Je crois que la plus grande qualité de Guy Gavriel Kay, que j’aimerais croiser plus souvent en littérature, c’est cette capacité à montrer que l’humanité est toujours plus complexe qu’on aimerait le croire, qu’aucun sujet ne peut être divisé en composantes claires et précises ; que peu importe l’angle qu’on choisit pour l’aborder, il ne sera jamais le seul ni le meilleur. Tigane a cette capacité rare de montrer que l’exactitude n’est pas la vérité, ironiquement ; de le prouver.
J’ai aimé (un peu) lutter pour lui, je vous souhaite la même chose, dans le pire des cas.

Au plaisir de vous recroiser.
En attendant, que votre avenir soit rempli d’étoiles.;)

5 comments on “Tigane, Guy Gavriel Kay

  1. Yuyine dit :

    Je n’ai pas encore découvert l’auteur dont j’entends globalement beaucoup de bien. Mais de sa bibliographie, celui-ci était celui qui me tentait le moins. Malgré les belles qualités soulevées, les défauts qui t’ont coincé risquent de me bloquer également. Je me pencherai donc plutôt sur le reste de son oeuvre.

    Aimé par 1 personne

    1. Laird Fumble dit :

      Je comprends oui. Franchement, je crois que les Lions d’Al-Rassan va rester intouchable pendant un bon bout de temps pour moi, ne serait-ce que parce qu’il a été le premier.
      Je manquerai pas de vous dire ça par ici. En attendant, je pense (fort) que les Lions te plairont, si jamais tu veux franchir le pas.

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  2. L'ours inculte dit :

    Moi aussi il me fait peut ce titan Tigane, il traine sur ma bibliothèque depuis quelques années déjà XD

    Aimé par 1 personne

    1. Laird Fumble dit :

      Je me demande si tu le trouverais trop grimdark dans le traitement des personnages ; personne n’est vraiment gentil ni méchant…
      Mais niveau complexité et profondeur des personnages tu serais servi je pense. 🙂
      Tu me diras, si un jour tu te décides. 😉

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