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Les sentiers de la guerre T1 – Les sentiers de la guerre, Erwan Bergot

Fear Is The Weakness – In Flames (extrait de l’album Sounds of a Playground Fading)

Il y a des œuvres qui vous poursuivent toute votre vie, que vous le vouliez ou non, parce qu’elles constituent une partie intégrante de votre parcours et de votre construction culturelle : c’est comme ça. Les sentiers de la guerre, c’est exactement ça pour moi. Mon premier grand roman de guerre, alors que j’étais assez jeune et que je n’y connaissais pas grand chose ; la première œuvre, sans doute, avec le Qui Ose Vaincra de Paule Bonnecarrère, à me faire goûter – même indirectement – à la réalité d’une chose dont je ne pouvais que naïvement fantasmer depuis mon confort adolescent.
Le roman qui nous concerne aujourd’hui, je l’ai lu probablement quatre à cinq fois durant la période de mes 13 à 17 ans, pour ensuite l’embarquer avec moi vers l’âge adulte, sans jamais seulement songer à le laisser derrière moi à chacun de mes déménagements. Plus d’une fois, je me suis promis de le relire ; d’abord pour le simple plaisir de m’y replonger, puis, à force, dans la perspective de me confronter à mes souvenirs et à mes goûts changeants et changés.
Et puis me voilà ayant enfin passé le cap : est-ce que ce roman a survécu au passage des années ?
Dans l’ensemble, oui, même si mon enthousiasme s’est un tout petit peu tempéré. Mais vraiment un tout petit peu.

Ils sont cinq. Riss, le bûcheron Vosgien, Tiercelin, le jeune vétéran de la Guerre d’Espagne, Ketteler, le romantique descendant d’un héros Allemand, Morgan, le taiseux et efficace breton, et d’Arcières, le rigoureux et discipliné sorti de Saint-Cyr. Ils commencent leur parcours en commun dans les Ardennes, durant la drôle de Guerre. Mais très vite, leurs destins les amènent à devoir vivre des trajectoires parallèles, sinueuses, complexes. Terribles. Nous les suivrons, au hasard de leurs pérégrinations, mois après mois, années après années.

Ce que j’avais adoré, à l’époque de ma première découverte de ce roman, sans savoir le verbaliser correctement, je pense, c’était sa focalisation à hauteur d’hommes, en combinaison avec sa démultiplication des points de vue. Chaque membre du corps-franc d’origine a droit à sa trajectoire personnelle, à ses moments bien à lui, autant qu’à d’autres instances de groupe ; les dynamiques narratives sont variées et riches, d’autant plus qu’Erwan Bergot, fort d’une évidente culture martiale nous fait voyager avec ses personnages dans tous les coins du conflit, sans trop visiblement forcer le destin. Ça nous donne donc plusieurs récits n’en formant qu’un, racontant autant les personnages que le monde dans lequel ils vivent, ballottés tous ensembles par les aléas d’une guerre mondiale. Et bien que je regrette marginalement, maintenant, le relatif manque de densité du récit dû à ce choix narratif, je dois bien dire que je suis toujours aussi client du parti-pris par Erwan Bergot ; parce qu’il lui est extrêmement utile pour mettre énormément de choses en perspective, sans pour autant sacrifier à son rythme ou à la force évocatrice de ce qu’il décide de raconter dans le détail.

Oui, j’aurais peut-être pris un peu plus de volume à l’aune de l’ensemble du roman, trouvant maintenant certaines ellipses un peu trop généreuses, souhaitant peut-être passer un peu plus de temps en compagnie de personnages qu’on devine profonds sans pour autant pouvoir vraiment sincèrement en témoigner. Parce que si suffisamment de séquences tapent régulièrement et extrêmement juste, démontrant le vrai talent d’écrivain de l’auteur, il faut bien admettre que voir passer des mois entiers résumés en quelques phrases et jugements hâtifs sur leurs ramifications peut causer un peu de frustration. D’autant plus que les profils variés de nos cinq protagonistes permettent de brasser un sacré paquet de thématiques, à propos desquelles j’aurais peut-être aimé avoir plus de précisions au fil de l’avancée du texte. Mais il n’empêche que ce qui ressort principalement du roman à mes yeux, c’est l’idée assez passionnante et extrêmement bien articulée que la guerre est un monde en soi, qui efface aisément les frontières, les origines, les habitudes et les certitudes de ceux qui la vivent.

À cet égard, malgré quelques instances potentiellement gênantes et datées dans le récit, que ce soit au niveau des réflexions ou du vocabulaire de nos personnages, il faut y saluer je crois une certaine volonté d’universalisme vieille école, au travers de ce que j’appellerais bien volontiers l’équanimité guerrière. Peu importe qui vous êtes ou à quoi vous ressemblez, dès lors que vous vous battez du bon côté ou a minima avec suffisamment d’honneur et d’intégrité, alors vous serez traité avec respect. On se retrouve du coup avec des protagonistes se fendant de répliques bien senties sur des sujets qu’il aurait été facile pour l’auteur de ne pas intégrer à son récit, dénotant donc un effort conscient, créant autant de bonnes surprises en dépit d’évidentes mais aisément excusables maladresses. C’est tout bête, je le reconnais, mais retrouver ce genre de petits gestes pas anodins dans des romans qui commencent à dater sur des sujets qui pourraient facilement arguer d’une nécessité d’efficacité et d’action pour s’en débarrasser, ça me fait toujours un peu plaisir.

Et ça me fait d’autant plus plaisir que ça fonctionne, ici. J’ai été assez vite surpris – agréablement – de me rendre compte que les sentiers de la guerre est plus un roman sur les conséquences de la guerre que sur la guerre elle-même. Certes, on a droit à quelques scènes d’action précises et juste assez documentées, mais l’ensemble des séquences assemblées par Erwan Bergot s’échinent plus à nous faire voyager aux côtés de nos protagonistes, à nous faire vivre leur vie en dehors des combats : il s’agit de montrer et de raconter que la guerre ne se résume pas aux combats, bien au contraire. Nous suivons en effet des soldats qui sont plus ballottés par les événements et les circonstances qu’autre chose, complètement dépossédés de leur libre-arbitre et du moindre contrôle sur leurs destins, ne pouvant faire des choix que lorsque ces derniers sont quasiment impossibles à faire sans consentir à des sacrifices. Souvent, ils doivent se battre d’abord et avant tout pour pouvoir accéder à la possibilité de ces choix.
Et c’est peut-être ce qui fait que malgré ses quelques défauts de rythme et de volume, je reste très friand de ce roman : parce que je suis resté en empathie avec ses personnages et leur humanité, comme j’ai été convaincu et séduit par la démarche presque militante d’un auteur ayant connu la guerre. Plutôt que de se confire dans des envolées lyriques sur la beauté romantique et fantasmée de la guerre, Erwan Bergot a fait le choix d’un pragmatisme à toute épreuve, laissant de la place à l’ennui et à la souffrance comme à l’amour fraternel et au rire parfois un peu déplacé dont ses personnages ont besoin pour décompresser. Tout comme il laisse une place bien pensée et nuancée aux erreurs de jugement humaines dont certains ont pu être coupables pendant un conflit qui, de par son ampleur comme sa violence, a été infiniment compliqué et cruel à manœuvrer. Comme souvent, c’est le choix de cadrage et de distance qui fait la différence pour moi.

Et donc, c’est encore une réussite. Alors certes, pas le même engouement qu’à l’époque, bien que la nostalgie m’ait sans doute aidé à apprécier cette relecture, puisque j’aurais aimé un peu plus de volume et d’exhaustivité dans la narration des parcours de ces protagonistes, afin de pouvoir m’y attacher davantage, mais l’essentiel est préservé à mes yeux. Il demeure que ce roman est suffisamment ambitieux à mes yeux pour mériter le respect de sa démarche globale et pourtant très humaine, accessible sans perdre en technicité, exigeante sans jamais verser dans la moindre prétention. Finalement, malgré mes reproches à propos de ses ellipses un peu trop généreuses, je me rends compte que j’ai aussi aimé ce roman pour ce qu’il ne raconte pas, nous disant paradoxalement pas mal de choses en creux.
Impossible de vous dire si mon attachement préalable à cette lecture m’a empêché de la redécouvrir en toute sincérité, ni si je me voile la face à son propos ; d’autant plus impossible qu’en la préparant, je me suis rendu compte que ce que j’avais cru être un roman unique pendant tout ce temps était en fait le premier tome d’une trilogie suivant les mêmes personnages. Ces personnages qui précisément, à la relecture, me sont apparus comme des inspirations inconscientes et latentes pendant toutes les années me séparant de ma découverte initiale. Je suis depuis nimbé d’un enthousiasme et un engouement singulier pour ces tomes 2 et 3 à venir, me permettant de découvrir complètement de nouveaux aspects d’un travail auquel j’ai été si longtemps attaché. Ça n’aide pas à l’impartialité, je vous l’accorde.
Mais il n’empêche que ce roman a vraiment beaucoup de qualités à mes yeux. Et je suis très content de l’avoir relu. Je pense que c’est bien le plus important.

Au plaisir de vous recroiser.
En attendant, que votre avenir soit rempli d’étoiles. 😉

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