
Doubt – The Bridge City Sinners (extrait de l’album In the Age of Doubt)
En ce moment, ça coince pas mal. Et quand ça coince, faut tenter des trucs.
Et une personne de confiance – que je salue ici amicalement – m’a dit plusieurs fois que ces derniers temps, il trouvait la majorité de son plaisir littéraire dans le genre horrifique, qui plus est écrit par des femmes ; j’aime bien me laisser influencer, de temps en temps. Et du coup, fort logiquement, une anthologie entièrement féminine tournée vers l’horreur et l’angoisse, ça m’a fait de l’œil : la démarche me parle.
Voyons voir ça.
Petite sœur des fauves, Aurélie Wellenstein
Premier contact avec cette autrice dont j’entends beaucoup de bien depuis quelques années ; et c’est pas très concluant. Une nouvelle de dark fantasy pas mauvaise en soi, mais qui fait à mes yeux trop dans le performatif et le démonstratif pour parvenir à réellement me convaincre. Une formule relativement convenue à laquelle je n’ai rien à reprocher, mais exploitée d’une façon un peu creuse, manquant de substance et d’atmosphère. J’aurais été beaucoup plus séduit si le world-building et l’histoire présenté·e·s avaient été poussé·e·s plus loin ; et aussi avec un choix de focalisation un peu plus maîtrisé et cohérent à l’échelle d’un texte si court. Un cas typique d’une nouvelle qui pour moi ressemble plus à un projet d’histoire qu’à une histoire en soi. Frustrant.
Un arrière-goût d’éternité, Morgane Caussarieu
Y a un truc, ici. Conceptuellement parlant, j’aime bien, surtout en terme d’approche et de ton. Mais l’exécution est peut-être un poil trop fruste à mon goût, comme si la volonté de faire simple avait pris le pas sur tout le reste. Du coup, là aussi, je trouve que ça manque de chair pour exprimer tout ce qu’il y avait à raconter. Sympathique mais incomplet.
Isadora, Micky Papoz
Alors c’est rigolo parce que de prime abord, ce que je vais retenir de ce texte, c’est un éclairage sans doute involontaire mais extrêmement pertinent sur certains éléments de La marche funèbre des marionnettes, ce qui lui donne une valeur ajoutée inattendue. Pour le texte en lui-même, on est sur un récit à chute relativement classique mais plutôt bien mené en terme de détournement d’attention. Un peu court, peut-être, mais satisfaisant, au final.
Val d’errance, Lizzie Felton
Un récit conceptuellement assez captivant et bien construit, qui souffre simplement pour moi d’une expression un peu trop rigide et d’une conclusion manquant d’intensité. Il me semble que certains éléments d’exposition manquent d’une résolution à la hauteur de la promesse de mystère qu’ils semblent initialement promettre ; après une montée en tension plutôt réussie, le soufflé retombe de façon presque trop banale. C’est dommage parce qu’il y avait là encore de l’idée, mais j’en sors encore sur ma faim, avec l’impression d’avoir soit raté un truc, soit qu’il manque effectivement un bout du récit pour parfaitement le boucler. Ça se joue sans doute à pas grand chose.
Âmes sœurs, Louise Le Bars
Un embryon d’histoire sacrifié sur l’autel du style. Rien d’autre qu’une incompatibilité d’humeurs premières ; ce que certain·e·s trouveront sans doute élégant et riche, je l’ai trouvé creux et à la limite du prétentieux. Ce récit ne raconte pas grand chose et prend beaucoup trop son temps pour le faire, en alignant les figures et les épithètes sans temps mort. C’est d’autant plus frustrant pour moi que le noyau conceptuel de cette nouvelle n’est pas mauvais, mais je trouve que l’autrice a pris le pire angle possible pour parvenir à me convaincre. J’aime plus les histoires que les écrins maniérés qui parfois les alourdissent. Soupir agacé.
Planète 9, Floriane Soulas
C’est sans doute parce que c’est une nouvelle de science-fiction que j’ai un peu plus accroché, ici. Et aussi parce que Floriane Soulas et l’horreur, ça me paraît faire sens, étant donné son goût – littéraire – pour la souffrance, le sang, les larmes et la sueur ; force est de reconnaître qu’elle partait avec un a priori plus favorable. Et comme de coutume pour cette autrice, on a une ambiance soignée, une intrigue bien construite laissant une belle part au mystère et au frisson. Je regretterais personnellement, encore une fois, une chute un peu molle et facile par rapport à un récit qui jusque là était bien rythmé et assez intense pour me rendre curieux, mais je pense que l’essentiel est quand même préservé. C’est solide et efficace, dans l’ensemble.
La boutique, Barbara Cordier
C’est compliqué, ici. J’aime le concept et une bonne partie de la réalisation, mais comme toujours, j’ai du mal avec les protagonistes détestables. Je comprends que ça fait entièrement partie de la démarche de l’autrice, présentement, que ça joue précisément sur ce levier là pour créer une partie de l’horreur de l’histoire mais je sais pas, ça ne fonctionne juste pas pour moi. Sans compter que là aussi, j’ai l’impression qu’il manque un bout de l’histoire, avec une ellipse énorme avant sa conclusion, me donnant le sentiment que tout ça manque de nouveau d’un peu de chair pour fonctionner à plein. Nouvelle frustration.
Pas de deux avec les ténèbres, Cécile Guillot
On pourrait croire que je el fais exprès à force, mais vraiment, quand ça veut pas… Ça commençait super bien, pourtant, en dépit d’un côté un tout petit peu trop démonstratif ; le rythme était bon, la tension palpable, l’intrigue claire. Y avait même un twist cool pour pimenter un peu l’ensemble, faire grimper les enjeux, j’étais bien ! Et puis un autre twist par dessus le premier qui vient tout gâcher. D’abord parce que c’est très brutal, d’un point de vue narratif, mais surtout parce que là aussi, moralement parlant, c’est juste abject. Alors je suis peut-être un poil pudibond, mais n’empêche que j’aime vraiment pas ça. Je suis sorti de cette nouvelle avec beaucoup d’agacement.
Tu aimes les enfants, Morgane Stankiewiez
Sans doute un instant de faiblesse ou un manque de courage de ma part, mais moins d’une page dans cette nouvelle et j’ai décidé de ne pas aller plus loin. Pas que je ne me sente pas capable de lire de la fiction abordant frontalement le thème de la pédophilie, mais je n’en ai absolument pas envie ; il y a des horreurs trop réelles, des abjections trop concrètes, avec lesquelles je ne veux simplement pas composer dans le monde littéraire. Je ne trouve pas ça cathartique ou utile ; le frisson qui en découlerait ne serait pas le bon. Je ne vais pas accuser l’autrice d’un quelconque voyeurisme ou de volonté mal placée de spectaculaire, je n’ai pas assez de données valables. Elle a sans aucune doute voulu dénoncer de manière forte ce qui n’est rien d’autre qu’une immondice, et je salue cette intention, respectueusement. N’empêche que je n’ai pas envie de lire ça ; je n’aime pas me confronter trop concrètement à une crasse trop réelle.
La célébration de la mer, Estelle Faye
Sans doute que ma déception à l’aune de l’anthologie entière joue sur mes perceptions. Là encore, ce n’est pas mauvais. C’est même plutôt pas mal, que ce soit structurellement ou conceptuellement. Et puis rien de nouveau, Estelle Faye a une plume qui me parle. Mais une nouvelle fois, je trouve que ça manque de chair, de temps pour réellement établir tous les éléments de ce qui demeure une plutôt bonne histoire, en soi. Après, parce qu’apparemment, je ne peux pas m’empêcher d’être pénible à la lecture de cette anthologie, je dois bien dire encore une fois que le motif de la vengeance n’est certainement pas mon préféré, aussi justifié soit-il dans la diégèse. Et ici, Dieu sait qu’il l’est. Mais n’empêche que ça reste un motif narratif dont je ne suis pas fan. Alors forcément, ça corrompt mon jugement. C’était bien mais pas top.
Bon sang que ça me peine de le dire, mais quelle terrible déception, cette anthologie. Quelques menues fulgurances pour beaucoup de frustration, et le sentiment écrasant d’un travail éditorial insuffisant ; beaucoup trop d’histoires donnant l’impression de ne pas être complètement abouties, formellement ou structurellement, avec des cadrages que j’ai souvent trouvés assez discutables. Pour être tout à fait honnête, au delà même d’un ton général trop inconsistant allant de paire avec une ambiance disjointe d’une nouvelle à l’autre, j’ai surtout eu le sentiment d’autrices qui écrivaient leurs histoires pour coller au mieux avec le thème imposé, mais sans véritable allant ou passion pour leurs sujets. C’est peut-être ça qui m’a gêné tout le long : tout ça manquait un peu d’âme, au fond. Il y avait les ingrédients, mais pas le liant pour faire que la recette ait le pep’s qu’un concept tel que cette anthologie pouvait promettre. Et j’en suis le premier attristé, veuillez me croire.
Je vais de ce fait partir du principe que rien de tout cela n’est représentatif du travail d’aucune de ces autrices ni de leurs qualités respectives. Parce que la démarche avait du sens et toutes les bonnes raisons du monde de voir le jour ; ce n’est pas parce que je trouve le résultat raté que je ne peux pas souhaiter un deuxième essai à l’avenir.
Au plaisir de vous recroiser.
En attendant, que votre avenir soit rempli d’étoiles. 😉

Une lecture en demi-teinte pour moi également… je pense que c’est une bonne porte d’entrée pour les néophytes, mais quand on connait déjà un peu la littérature horrifique, ça manque de saveur. C’est dommage !
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