
Wie Tief – Eisbrecher (extrait de l’album Antikörper)
Commençons par remercier les éditions J’ai lu pour, une nouvelle fois, leur généreux envoi d’un roman qui m’a fait de l’œil dans leur programme. J’avoue que The Fisherman ne m’aurait pas forcément beaucoup motivé, en soi ; il aura fallu un affichage clair de sa maison d’édition me montrant qu’elle avait foi en ce titre pour me faire franchir le pas de la demande. C’est vrai que c’est pas tous les jours qu’un bouquin sort directement en poche et en édition collector sans passer par l’habituelle exploitation en grand format : un tel traitement me laisse supposer à minima que sa maison y croit. Et de fait, ça me fait y croire un peu aussi, un petit peu plus encore que le blurb me vendant ce bouquin comme un authentique chef d’œuvre.
Alors me voilà, après une journée de vadrouille où mon temps de train m’aura permis de lire près de 90% du présent roman d’une traite, et de finir les 10% restants le lendemain, c’est à dire aujourd’hui, et de vous livrer ma chronique à chaud.
Pour le verdict suivant : …meh ?
Eh oui, c’est encore une de ces chroniques tièdes où je serais bien embêté pour vous livrer un avis complet et/ou réellement constructif. Mais où j’essaie quand même. Croyez bien que j’en suis le premier désolé.
Abe s’est réfugié dans la pêche, comme suivant un appel mystique soudain, quelques temps après le décès prématuré de sa femme Marie. Par la suite, il se liera d’amitié avec Dan, un collègue lui aussi veuf suite à un cruel accident de voiture qui lui a aussi ravi ses deux enfants, et les deux hommes partageront le goût taiseux de la pêche, ne cédant que ponctuellement au besoin de s’épancher sur leurs peines respectives. C’est au travers de leur loisir, les amenant à pêcher dans tou·te·s les rivières et cours d’eau de la région, qu’ils finiront par découvrir Dutchman’s Creek et la terrible légende locale qui y est rattachée, amenant leurs vies à basculer de nouveau.
Alors, c’est quoi son problème, cette fois, au pénible de service ? Eh bah comme je vous disais, je sais pas trop.
Parce que sincèrement, il est super bien foutu, ce roman. Il se laisse lire avec une simplicité assez déconcertante pour la structure sur laquelle John Langan a décidé de se baser pour le construire, et il jouit dans le même temps d’une certaine qualité hypnotique qui nous fait avancer au fil de ses pages sans vraiment pouvoir ou souhaiter les lâcher. Et c’était pourtant pas gagné, puisqu’on lit Abe nous raconter son histoire et celles de pleins d’autres personnages qu’il a recueillies au travers de témoignages qui lui ont été encore rapportées par d’autres personnages ; The Fisherman étant finalement construit comme une espèce de sandwich narratif, avec le pain de l’histoire de notre protagoniste enserrant la garniture du témoignage central dont dépend finalement son interprétation de sa propre expérience. Et c’est cool, conceptuellement parlant, d’autant que l’auteur réussit à très bien rendre le côté testimonial de la chose au travers du style très oralisé et amateur d’Abe qui nous raconte tout ça, prolepses nonchalantes et petites digressions à l’appui. Y a un peu le sentiment d’écouter une histoire qui fait peur au coin du feu en faisant griller des chamallows, racontée par quelqu’un·e qui maîtrise bien son récit et ses effets, c’est sincèrement très bon, formellement parlant.
On pourrait alors croire que c’est sur le fonds que ça pêche – huhu – alors ?
Bah pas vraiment non plus, honnêtement. Certes, l’argument fantastique du roman n’a pas grand chose de novateur ou de révolutionnaire, penchant volonté du côté lovecraftien de la Force. Mais il ferait beau voir que je m’en plaigne quand j’ai accordé un joker à ce sujet à beaucoup de textes pour l’exacte même raison que je l’accorde ici à John Langan : c’est très bien fait, et le traitement bénéficie clairement d’un soin et d’une approche suffisamment singulière pour que ses aspects les plus dérivatifs s’effacent derrière l’âme du roman. Intrinsèquement, basiquement, c’est juste une bonne histoire. Le fait est qu’en dépit des circonstances de sa lecture me permettant de m’y consacrer sans trop de distractions, j’avais quand même un portable avec la 4G et de quoi procrastiner par à-coups si je m’étais ennuyé. Or, ça n’a pas été le cas du tout, au contraire : j’ai avancé avec une réelle curiosité et une réelle envie tout le long du roman, avide de savoir de quoi il serait question, au bout du bout.
Et c’est peut-être là, finalement, que se niche ma relative insatisfaction. Si je salue avec enthousiasme les aspects les plus matérialistes du fantastique mobilisé par John Langan, notamment la construction de sa légende locale et du folklore qui l’accompagne par un agglomérat de témoignages, je suis sans doute moins fan de la symbolique pour laquelle il convoque tous ces éléments. Ce que je veux dire par là, c’est que si j’ai été motivé tout le long de ma lecture par la promesse implicite de réponses aux questions les plus clairement formulées par le récit – réponses évidemment nuancées par l’aspect fantastique du roman, et donc la nécessité du doute que cela suppose – une fois venu le temps de ces réponses, je crois que j’ai été déçu.
Avec un tel build-up, une histoire aussi remplie de méandres et de zones d’ombres, je crois que finalement me retrouver devant une allégorie du deuil, aussi solide et évocatrice soit-elle, m’a fait ressentir une regrettable sensation de « tout ça pour ça ? ». Je n’exclus pas d’autres interprétations possibles de ce récit que j’aurais ratées ou auxquelles je n’accorderais pas le crédit suffisant, notamment une qui me plaît beaucoup pour ce qu’elle suggèrerait de malice et de fourberie de la part de l’auteur ; mais je crains alors qu’elle ne souffre d’un manque de soin et de clarté dans le disséminement des indices nécessaires à sa compréhension, ce qui me fait douter et me pousse à juste trouver l’ensemble un poil creux à l’aune de sa complexité formelle.
Ou alors, et c’est l’hypothèse la plus probable ; je me suis piégé tout seul dans mes tendances à la surinterprétation et à l’aridité émotionnelle, m’empêchant de saisir la simple et pleine mesure de la force brute de ce roman. C’est toujours une possibilité avec moi. Tout comme la possibilité que je me sois plongé dans cette lecture avec un peu trop de hype, me condamnant à la déception.
En somme, c’est pas que c’était pas bon, certainement pas. Au contraire, c’était même assez excellent. En tout cas formellement virtuose. Mais malheureusement, si j’ai été emporté dans le maëlstrom – fun fact : c’est mon mot préféré – de la lecture de ce roman, j’en suis ressorti un peu indifférent, la faute à une conclusion peut-être un peu trop plate ou convenue pour que je ressente le genre de frisson que j’attends d’une lecture fantastique. Ce n’est pas que le récit ne parvient pas à créer les conditions du doute, c’est qu’il n’est pas parvenu à instiller ce genre de doute qui me fait m’interroger en boucle sur la réalité des faits, selon moi le sel de ce genre de récit.
Le truc qui m’embête à ce sujet, ici, finalement, c’est que je n’arrive juste pas à déterminer comme je le fais d’habitude si c’est de la faute du texte ou de la mienne ; est-ce que John Langan a raté un truc pour vraiment rendre son texte aussi flamboyant que certain·e·s semblent le croire, ou est-ce que mon expérience et mon manque d’enthousiasme pour le fantastique sous cette forme est seule à blâmer ?
*Haussement d’épaules impuissant*
Bah, c’était quand même une bonne lecture, au final. Et puis le bouquin sera super joli sur ma bibliothèque ; il sera sans doute très facile à prêter, et je serais content de pouvoir en discuter avec cielles qui voudront me l’emprunter. C’est une victoire, moi je dis.
Au plaisir de vous recroiser.
En attendant, que votre avenir soit rempli d’étoiles. 😉

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