
Lose My Name – The Blue Stones (extrait de l’album Metro)
Depuis Melmoth Furieux, je me suis promis de retenter l’expérience avec Sabrina Calvo. Même si la première tentative n’avait pas été aussi concluante que j’aurais aimé, j’ai senti qu’il y avait quand même le potentiel pour quelque chose. Et si je ne me suis pas précipité sur le volume du jour à sa sortie, parce que j’étais plus craintif que confiant, que la vie c’est des choix, et que mon manque de moyens pour acquérir des nouveautés me poussait à faire des sacrifices dommageables, la belle occasion donnée par la Volte d’en recevoir un SP m’a réconcilié avec mon choix initial.
Même si bon. Cette deuxième rencontre avec l’autrice n’a pas été un franc succès. Mais pas réellement un échec non plus. Juste la réalisation assez amère que malgré tous mes efforts et ma bonne volonté, je suis condamné à passer à côté de certaines textes. S’il va me falloir encore une fois vous conter précisément mon parcours de lecture pour vous faire comprendre un tant soit peu mon ressenti quant à ces Nuits sans Kim Sauvage, pour l’essentiel, je dois juste, pour une fois, confesser mon impuissance. Dans le jugement qui – bien humblement – m’incombe au sujet de ce roman, dans l’absolu, je me déclare incompétent.
Mais je vais quand même essayer de justifier cette bien étrange déclaration.
Disons le clairement : globalement, j’ai pas compris. Pas dans le sens où j’aurais pas capté la matérialité de l’intrigue présentée par Sabrina Calvo : Victoire est « une assistante » de plus dans un magazine de mode, impuissante à gravir les échelons, en dépit de l’assistance acharnée de Maria Paillette, son IA compagne, avec qui elle entretient une relation dysfonctionnelle. Et puis un jour, on lui demande de faire l’inventaire de mode d’un vieux clip de Laurent Voulzy, qu’elle explore donc en profondeur avec l’aide de Maria. Sauf que dans ce clip, elle retrouve des éléments vestimentaires étranges qui pourraient bien déchaîner les passions du monde de la mode, qui est devenu omnipotent, dans ce monde cyberpunk étrange qu’elle habite, où la réalité et le virtuel se mélangent sans cesse. Et c’est évidemment, ici, le début des emmerdes.
Voilà ; dans l’ensemble, j’ai quand même capté ce qui se passait, en terme purement scénaristique. Certes, les scènes s’enchaînent de façon frénétique et confuse, le récit est rempli à ras-bord de passages symboliques et de dialogues abscons, d’images onirico-lyriques, de lien logiques distendus, mais j’ai quand même à peu près réussi à tenir le cap, à ne pas trop me laisser distancer. Concrètement.
Mais pour me dépatouiller de ce que tout ça voulait dire, alors là, j’avoue, c’est une toute autre limonade. C’est là que je dois très modestement, tout simplement, admettre qu’un roman comme celui-là n’est pas pour moi. Pas qualitativement ou en terme d’intentions : je ne peux pas ici parler d’incompatibilités d’humeur ou de divergences artistiques, non. Humainement, ce roman n’est pas pour moi, parce qu’il me manque une perspective suffisante pour appréhender de quoi Sabrina Calvo parle, exactement.
J’aime me targuer autant que constater à quel point mon cerveau fonctionne (bien) sur un mode analytique : je pense que j’ai quand même une certaine qualité d’interprétation et de compréhension des intentions primaires des textes auxquels je me confronte, tout en me désolant d’y perdre en reflet en qualité d’appréhension émotionnelle.
Ce qui a fait que très vite, plongé dans ce roman, je me suis retrouvé à détester mon expérience, roulant des yeux et soupirant très régulièrement. Je n’aimais pas le style torturé déployé par l’autrice, je n’aimais pas le fait que sa protagoniste se déteste autant et nous le fasse aussi régulièrement savoir, je détestais sa relation profondément toxique avec son IA compagne, je me sentais profondément étranger aux enjeux qui m’étaient présentés. Parce que je ne captais pas l’importance accordée à la mode dans cette dystopie aux accents virtuels exacerbés, où tout le monde se hait et se crache métaphoriquement au visage en permanence, où tout est mépris et prétexte à une couche supplémentaire d’auto-apitoiement à la sauce classiste et grossophobe. Sérieusement, c’était écœurant, et pour ne pas dire que ce bouquin était déprimant, j’étais prêt à dire qu’il était désespérant.
Si on ajoute à ça, en plus, ce flux narratif nébuleux au possible, où ne capte que la moitié du temps qui parle, à qui, comment, dans quel contexte, si on est dans le monde réel, dans le virtuel, ou encore dans un espace tiers voire un quatrième à l’intérieur du deuxième, franchement ça faisait beaucoup trop, et la majorité de ce roman a été une épreuve à lire.
Mais au contraire de certaines de mes lectures difficiles de ce genre, je n’ai pas senti le même agacement, la même frustration. Si d’ordinaire, je ressens quelque chose qui me fait me dire que je lis une démarche qui me déplait parce qu’elle souffre d’un manque de simplicité ou d’accessibilité dans la démarche que je pourrais imputer à l’auteurice, qui serait allé·e trop loin ou pas assez dans ses choix, ici c’était différent. Ici, et ça me peine de le dire aussi abruptement, j’ai juste dû constater que je suis un homme cishet, et que Sabrina Calvo est une autrice trans. Il me manque simplement beaucoup trop de clés de lecture qui tiennent d’un intime auquel je n’ai pas accès pour comprendre exactement la démarche de cette autrice. Mon rejet de la mode en tant que concept ou d’un usage trop flamboyant du style à mon goût, qu’il fut littéraire ou vestimentaire, ne suffisent pas à expliquer à quel point je me suis senti à la ramasse à la lecture des aventures de Victoire. Je ne connais pas et n’ai jamais connu la dysphorie ; je ne peux pas vraiment appréhender à quel point sa propre détestation de son corps est bien dosée par son autrice, malgré tout mes efforts.
Et je crois que cette incompréhension quasi-intuitive – et structurelle, hein, on se comprend – d’une bonne partie des enjeux les plus humains de ce roman est imputable à mon éducation encore bien trop insuffisante sur ce sujet, ainsi qu’à mon acharnement à ne pas vouloir le comprendre suffisamment tôt dans ma lecture, et donc à mon aveuglement involontaire, m’amenant à me concentrer sur certains aspects du récit d’une manière idiote et contre-productive. M’attachant bien trop à l’idée que ce roman était avant tout un récit cyberpunk teinté des obsessions et gimmicks de Sabrina Calvo, j’en ai oublié que c’était en fait un roman *de Sabrina Calvo* qui empruntait au cyberpunk. Et du coup, ce n’est pas le roman de cette autrice qui m’est passé à côté à cause d’une quelconque opacité intentionnelle ou stylistique, c’est bien moi qui ai complètement raté ma lecture, parce que je ne lui ai d’emblée pas appliqué la bonne grille de lecture et d’analyse.
Et je le sais parce qu’en dépit de ma frustration grandissante et de mon incompréhension globale des enjeux (à peine) cachés au fil de ma lecture, une fois arrivé sur le dernier dixième de cette dernière, j’ai, d’une certaine manière, vu la lumière. Alors ne nous emballons pas, on est pas sur une épiphanie dantesque non plus ; quand bien même j’aurais capté l’astuce plus tôt avec une attention mieux portée aux détails et indices laissés par Sabrina Calvo, je me serais finalement reposé sur ma traditionnelle incompatibilité d’humeurs – notamment stylistique – pour justifier d’une certaine distance avec l’ouvrage.
Mais n’empêche qu’avec ce dernier dixième et une exposition un peu plus frontale des enjeux réels de son récit, Sabrina Calvo m’a fait comprendre de quoi il était réellement question, en fin de compte. Est-ce que ça me parle vraiment, est-ce que ça justifie vraiment le côté foutraque et halluciné du roman ?.. Oui et non. Oui, évidemment, parce que de toute manière, en dépit de tous mes reproches formels et logiciens qui n’ont aucune réelle valeur, ce bouquin appartient en plein à son autrice, et il exprime quelque chose qui de toute évidence lui importe énormément, et qui ne s’adresse certainement pas à moi ; Sabrina Calvo n’est pas là pour m’éduquer, elle est là pour produire son art à elle. Et c’est, évidemment, très bien comme ça.
Et non, parce que bon, quand même, à mon niveau à moi, c’est quand même un dawa sans nom, ce bouquin. Tout ce que je comprends désormais à un niveau symbolique – Laurent Voulzy, Kim Wilde, Lady Di, tout ça – il faut bien dire que c’est une démarche artistique qui m’échappe pas mal, quand bien même on poserait à côté un petit carton explicatif comme le fait relativement subtilement l’autrice au moment de conclure son roman.
Alors que dire, en conclusion ? Bah je maintiens que je suis incompétent pour livrer un jugement pertinent quand à la qualité de fonds de ce roman. En dépit des obstacles mentaux sur mon chemin, qu’ils soient de mon fait de ou du fait d’une mauvaise éducation dont je n’ai pas encore pleinement réussi à me débarrasser, j’ai finalement compris de quoi il était question, ce qui est à mettre au crédit de l’autrice, tout comme la singularité radicale de sa démarche. Ceci étant dit, et en essayant de prendre du recul, je maintiens à un niveau plus personnel que son style et une bonne partie de ses choix formels ne me parlent pas.
Je choisis donc de voir cette nouvelle expérience comme une réussite ternie plus qu’un échec lumineux. Je veux dire par là qu’en dépit d’une lecture très lourde, ce bouquin m’a quand même appris quelque chose de fort précieux ; ou du moins a contribué d’une solide pierre à une rééducation qui a à peine commencée et qui – je l’espère – n’est certainement pas terminée. Et un bouquin dont on sort grandi n’est jamais une occasion manquée.
Voilà.
Au plaisir de vous recroiser.
En attendant, que votre avenir soit rempli d’étoiles. 😉
