
Presque un an depuis Le Pionnier de l’atome, quasiment deux ans depuis Plan d’Extermination, cinquième tome des Chevaliers de Lumière. Le passage sur Bluesky aura clairement mis à mal mes habitudes bien établies par ailleurs.
Mais on est là, comme qui dirait, on ne lâche rien ; d’autant moins quand quelqu’une à qui on a envie de faire plaisir nous demande expressément de rempiler. Il était plus que temps que je m’y remette.
Et puisqu’on parle de plaisir, autant le dire, on s’est encore bien marré. Jimmy est et demeure une voix trop singulière pour que je ne m’enthousiasme pas pour sa médiocrité triomphante, et ce en dépit, il faut bien le dire, d’un point de bascule réactionnaire assez hallucinant. Si je savais que le sieur Guieu était un vieux grigou bien droitard, j’étais prêt, jusque là, à lui accorder une sorte de joker de tendresse, le même qu’on accorderait à son vieux tonton raciste à qui passe des écarts parce qu’on sait qu’il a un peu souffert dans sa vie et qu’il se trompe simplement de colère. Ici, Jimmy perd tout sens commun et devient le tonton fasciste : celui qu’on est tou·te·s d’accord pour arrêter d’inviter aux fêtes de famille.
Mais je m’avance. Cette lecture, au delà de son exercice appliqué en mauvais esprit narquois, a été pour moi une réelle révélation.
Sans déconner.
En traditionnel cadeau, pour un complément d’informations : le live-blousque qui va bien.
Passons d’emblée, si vous le voulez bien, sur les quelques évidences redondantes que je verbalise à chaque fois qu’on discute de Jimmy Guieu : son travail est très mauvais. Entre raccourcis narratifs, intrigue famélique, typographie hasardeuse, rythme éclaté au sol, incohérences logistiques et logiques constantes, vraiment, il n’y a toujours rien qui va ; et ce en dépit, je dois l’admettre, d’un relatif progrès sur l’humour. À ce stade de la saga des Chevaliers de Lumière, l’hypothèse d’un ghost writer gérant pour lui les passages transitionnels du récit n’est toujours pas à écarter, mais n’empêche que c’est là : des blagues m’ont fait sourire, parce que bien articulées, malgré tout.
C’est sur ce « malgré tout » que je voudrais insister, aujourd’hui. J’ai toujours dit que Jimmy Guieu était un vieux réactionnaire gonflé au seum, et ça se ressent particulièrement dans ces Chevaliers de Lumière ; j’veux dire, difficile de ne pas croire que celui qui écrit est vraiment à droite quand ses héros sont surnommés les « Rambo du Cosmos » et pratiquent une forme particulièrement décomplexée de justice immanente et expéditive. Je ne me leurrais pas sur les obédiences de l’auteur : on n’est pas du même bord politique.
Mais pour autant, jusqu’ici, j’avoue que j’accordais une sorte de joker à Jimmy Guieu, si j’ose dire ; je ne voyais dans ses écrits qu’une projection fantasmée de ses convictions et de ses valeurs, une sorte d’exutoire hyperbolique de ses frustrations. Comme je disais plus haut, je n’y voyais qu’une tentative d’expurgation d’une colère et d’une frustration mal nées, et mal dirigées. J’éprouvais encore un poil de tendresse envers ce vieux grigou parce que j’avais le sentiment que tout ça ne partait que de sa douleur d’être considéré comme un doux dingue, ufologue méprisé et mis de côté en tant qu’auteur de SF, parce que trop obsédé par des idées qui n’étaient que des idées pour les autres, mais bien trop réelles pour lui.
Et ce que j’ai réalisé, avec cette lecture, avec le basculement opéré en ses lignes, c’est que je crois que depuis tout ce temps, quand je disais que Jimmy était un ufologue avant tout, se servant de la science-fiction comme d’un vecteur de propagande pour ses idées, n’accordant que peu d’importance à son art, j’avais sans doute probablement tort. Je crois maintenant qu’au moins à un certain niveau, Jimmy Guieu croyait vraiment en ses écrits et en son talent, en plus de croire aux messages qu’il véhiculait via ses romans. Et de fait, ce à quoi j’assiste depuis le début, avec mes lectures de son travail, c’est à son inexorable radicalisation.
J’ai déjà exprimé ma profonde fascination pour la capacité exceptionnelle de cet auteur à avatariser ses ennemis dans ses bouquins, particulièrement dans les Chevaliers de Lumière, qui lui servent presque par dessus tout à régler des comptes. Et si jusqu’ici, il restait relativement « raisonnable » dans l’établissement d’une hiérarchie du mal dans notre monde, noyauté par les vilains aliens et les vilains communistes ; il passe ici un cap dans la transparence et la haine gratuite, en s’attaquant frontalement et sans le moindre filtre crédible au monde éditorial français.
Alors évidemment, il ne s’agit pas de dire qu’il a franchi une ligne scandaleuse en assassinant la représentation d’un critique littéraire de son époque – dont j’aimerais beaucoup connaître le vrai nom – et que jusque là ses débordements réactionnaires étaient acceptables. Je ne me faisais pas d’illusion sur les obédiences droitardes du bonhomme, et je ne me permettais de le considérer avec une certaine bienveillance narquoise que grâce à la distance temporelle et son ridicule patenté : il ne m’a jamais paru dangereux. Ses romans étaient tellement mauvais, sa démarche était tellement creuse, l’ampleur de ses enjeux tellement hyperbolique, je ne pouvais pas considérer une seule seconde qu’il soit pris au sérieux par qui que ce soit, y compris dans son camp politique.
Mais ce que j’ai réalisé, ici, et vous aurez sans doute le droit de taxer mon moi passé de naïveté, c’est qu’il passe un cap important, en intégrant des données aussi terre-à-terre et clairement réaliste dans son paradigme. En donnant un tel corps à son seum, à sa frustration de ne pas être reconnu comme un grand écrivain de SF, et en intégrant l’échec de cette reconnaissance au complot alieno-communiste qu’il a bâti jusque là ; il bascule dans le terrorisme stochastique. À name drop Charles Pasqua, en faisant clairement la pub d’un syndicat policier d’extrême droite, en incluant des éléments complotistes bien réels à son univers de Science-Fiction, Jimmy Guieu change de démarche et d’ambition. Alors heureusement, il n’a jamais eu assez de poids pour avoir une influence réelle, et il écrit toujours trop n’importe comment pour avoir une once de crédibilité, mais n’empêche qu’il a essayé. Que ce soit volontaire ou non ne compte pas, c’est comme son racisme. Il a beau dire que « y en a des biens », il n’empêche que ses méchants sont toujours les mêmes, faut pas se faire d’illusion.
Mais, et ça va peut-être vous surprendre, c’est paradoxalement là que ces lectures dangereuses prennent une nouvelle valeur à mes yeux. Ça m’a surpris aussi, remarquez. Parce que mine de rien, quand on y regarde de plus près, les arguments mobilisés par l’auteur, datant de 1988, sont affreusement d’actualité. Ça parle de « ces sales jeunes punks qui ont trois sexes », de « la cellule familiale qui s’effiloche », de ces « bolchéviks qui contrôlent la société depuis l’ombre » et autres fantasmes de droitards pour justifier leur sentiment d’impuissance face à un monde qui évolue et dont le contrôle leur échappe. Et si par delà mon rire narquois face à toutes ses conneries j’ai ressenti quelques frissons d’angoisse face à un tel flot de haine décérébrée, au final, je vais vous dire : je suis un peu rassuré.
Parce que je me rends compte qu’ironiquement, les peurs des gens comme Jimmy n’ont pas évolué, en près de trente ans. Les noms qu’ils leur donnent changent, certes, mais le fonds de l’affaire reste le même. Leurs fantasmes et leurs angoisses sont toujours les mêmes. Tout chez ses gens est conservateur ; même leurs idéaux n’évoluent pas. Et je crois sincèrement que c’est l’une de leurs plus grandes faiblesses, parce que cet immobilisme les rend profondément vulnérables ; il met en évidence leur manque d’imagination et de d’empathie, il les isole, il fait d’eux des objets de moquerie de plus en plus évidents au fil de l’avancée du temps.
On me corrigera si je dis une bêtise, mais en dépit de tous ses prix et de sa productivité, Jimmy Guieu avait déjà une très mauvaise réputation de son vivant. Et plutôt que de réellement bosser, essayer de changer sa méthode ou ses propositions romanesques, il a campé sur ses positions ; quitte à ce qu’on se foute encore plus de sa gueule. Et aujourd’hui, qu’est ce qu’il est, sinon la punchline systématique de toutes les conversations qu’on tient à son égard ?
Alors voilà. Je ne regrette décidemment rien.
Je vais sans doute chercher beaucoup trop loin, mais n’empêche que c’est ce que je pense : Jimmy est une preuve qu’une des meilleures méthodes pour combattre les fachos, c’est de les dépeindre comme ils sont, de pathétiques losers ridicules. Ils n’ont le droit de subsister dans notre conscience collective qu’au travers du mal qu’ils font ou des rires qu’ils provoquent.
Alors je vais continuer à me moquer de Jimmy. Qui plutôt que de devenir un meilleur écrivain, a décidé de se plaindre qu’il était victime d’un complot gauchiste. Ce con.
Au plaisir de vous recroiser.
En attendant, que votre avenir soit rempli d’étoiles. 😉
