
Je commence doucement à recâbler mon cerveau pour être capable d’un peu lire plusieurs choses en même temps et ne pas trop m’infliger de retard quand je lis des bouquins en numérique sur mon ordi, qui ayant beau être portable, reste peu pratique à prendre avec moi pour lire quand je me déplace. Du coup des nouvelles, et du coup, Fiction !
J’ai commencé ce numéro pendant ma lecture du Dévoreur de Rêves, autant le finir avant de passer à autre chose. Et puis de toute façon, Fiction, c’est bien. Ça me fait du bien, même quand c’est pas bien. Alors zut.
Et bisous.
Hop.
Jusqu’en Ton sein…, Brian W. Aldiss
Pas la première rencontre avec cet auteur, mais la première au sein d’un Fiction. Et si j’ai déjà été séduit par le passé, ici, je dois le dire tout de go : c’est pas bon, ohlala que c’est pas bon. Un aspect science-fictif initial à base d’exploration spatiale et de rencontre du trentième type qui aurait pu raconter quelque chose d’intéressant, et très rapidement, ça se barre complètement en couilles – vulgarité volontaire de ma part – dans un délire misogyne cradingue ; nous expliquant frontalement que si l’humanité va dans l’espace, c’est pour que sa part masculine puisse fuir les femmes castratrices et pygmalionnes qui composent l’autre part. On pourrait croire que j’exagère, mais franchement, avec la construction d’une société futuriste terrestre où les femmes sont à la fois mères et compagnes, à la tête d’une société matriarcale agressive, décadente et incestueuse, la seule éventuelle excuse de l’auteur c’est de ne pas avoir pensé une seule seconde aux implications de ce qu’il écrivait. Les rares éléments hard-sf un peu sympas sont complètement noyés par la lourdeur et la crasse du reste du propos. Si on peut parler de propos, d’ailleurs, tellement le texte est inconsistant et bordélique. Beurk.
Atavisme, Carol Emshwiller
Curieux texte. Curieusement rangé dans la section SF du sommaire, alors qu’il n’en fait jamais montre d’aucune manière ; on est plutôt dans une ambiance fantastique feutrée et extrêmement subtile. Peut-être même un peu trop à mes yeux, parce que je ne suis pas certain d’avoir capté l’intention de l’autrice ; en tout cas pas assez pour pouvoir juger avec confiance de la réussite ou non du texte. Je n’ai pas été en cela aidé par la traduction du titre : étrange, pour ne pas dire bancale, partant de l’anglais adapted pour donner celui que je vous ai fourni, qui me paraît carrément faire contre-sens.
On suit ici une mère de famille qui tente tout un tas d’activités pour les abandonner et toujours revenir à sa fonction de femme au foyer, semblant apparemment se convaincre qu’elle n’est faite pour rien d’autre, là où elle semble au contraire être douée pour un tas de choses bien différentes. De fait, on est dans une sorte de récit d’horreur sociale lancinante pas dénuée d’intérêt ou de sens ; mais mon souci, c’est que toute la pression que subit notre protagoniste, et qui pourrait sans mal être interprétée comme une critique de la place réductrice de la femme, ici, n’est jamais autre chose qu’endogène. Si son mari avait été un monstre de contrôle ou l’avait activement empêché de se livrer à ses activités, je l’aurais compris, mais au contraire, il a l’air plutôt effacé et en soutien de sa femme. De la même manière, par ailleurs, on a peut-être une piste plus héréditaire du côté de l’étrange père de notre héroïne, qui l’abandonnée quelques mois après sa naissance, ne lui léguant que son absence et ses cheveux argentés, mais les deux éléments ne jouent qu’un rôle mineur dans l’intrigue.
J’avoue que je suis très confus par ce texte ; je n’arrive pas à m’empêcher de le trouver en quelque sorte réussi, mais je ne peux pas pour autant m’amener vraiment l’aimer non plus. Décidemment, avec cette autrice, c’est pas simple.
Décalage, Jacques Bergier & André Ruellan
Subversion très rigolote du concept d’avance technologique dans le cadre d’une guerre à l’échelle cosmique. C’est juste assez couillon pour être drôle et juste assez inventif pour être sincèrement habile. Très bon équilibre et un texte juste assez long pour déployer correctement son idée sans trop en faire. Cool.
Les robots aiment aussi, Robert F. Young
Depuis Le Léviathan de l’espace, je guette son auteur comme Sturgeon, DeFord, Brunner ou Simak dans mes sommaires.
Et je n’ai pas été déçu, ici. Ce n’est certes pas le texte le plus foudroyant de l’auteur, mais il demeure fort sympathique. D’abord pour son titre original : Your ghost will walk, qui est doublement formidable. D’abord parce qu’il claque, de base, hein, ne nous mentons pas, mais en plus parce qu’il prend une toute autre mesure une fois le texte lu.
On a ici le droit à un petit récit tout en ironie et en distance envers son protagoniste, un sale con de capitaliste, qui traite ses androïdes domestiques reconditionnés comme de la merde, et à qui ça ne porte pas chance. Et c’est bien. Belle part à la poésie et au karma, c’est top.
Ce merveilleux matin, Suzanne Malaval
Un texte poétique et éthéré à propos d’un camp de prisonniers Terriens, victimes, semble-t-il, d’une occupation alien cruelle. Trop court pour me permettre de rentrer dans le processus enclenché par l’autrice, mais pas désagréable, en soi. Je suis à la fois client et pas client de l’idée centrale ; avec un peu plus de chair, j’aurais sans doute penché du bon côté de la balance. Là, je reste poliment sur ma faim.
Delphine, Claude Seignolle
Pfiou, c’était douloureux. Si ce n’était le trop éculé et malaisant d’une « histoire d’amour » présentée de manière unilatérale au travers des yeux d’un mec de 18 piges qui pense clairement avec sa teub, on peut rajouter un texte qui se prend extraordinairement au sérieux, qui en fait des caisses pour exprimer des transports qu’on devine plus hormonaux que sincères, avec une vision datée et prédatoriale de la femme, encore un peu plus empoissée par de la jalousie et une chute qui ne fait pas honneur au genre fantastique. Je reconnaitrais à son auteur un certain style, mais guère plus. Beaucoup de tartine pour trop peu de beurre.
Totem et tabou, Philip José Farmer
Meh. Il y a sans doute là un concept à creuser, avec cet homme qui veut arrêter de boire et passe par un étrange psy adepte d’une nouvelle théorie farfelue associant sa patientèle et l’entièreté de l’humanité à des animaux totems ; mais on en revient, comme souvent avec des textes écrits par des hommes de ce temps, à des théories encore plus profondes et sérieusement fumeuses, expliquant la faillite et la frustration des hommes par une présence féminine trop étouffante. Je ne dirais pas que Philip José Farmer s’affirme ici comme un gros misogyne crasseux mettant toutes les femmes dans le même panier, mais disons que ses efforts de représentation, présentement, ne sont pas couronnés de succès pour autant. Et son concept n’est pas assez développé pour toucher à quelque chose de vraiment intéressant. Frustrant.
Paulie et la belle endormie, Harlan Ellison
Encore plus frustrant. Là aussi, excellent concept de départ, avec ce musicien de jazz qui a perdu son aimée, n’a même pas eu le droit d’assister à ses funérailles, et qui désespère de la revoir une dernière fois. Mais cette nouvelle est un faux départ, elle s’arrête pile au moment où elle commence à être intéressante, se finissant sur une affreuse abyme d’irrésolu.
Les fils de la Vierge, Julio Cortazar
Ce texte est rangé sous « Insolite » dans le sommaire de ce numéro. Et c’est effectivement approprié, puisque cette nouvelle est dépourvue du moindre élément d’imaginaire concret, laissant la part belle à des audaces plus formelles.
Et là je suis très mitigé. Parce que clairement, l’auteur savait très bien ce qu’il faisait, avec son style foisonnant et verbeux ; il l’utilise d’une manière clairement ironique et assez habile, avec son narrateur hyperactif et décalé. Le problème avec l’ironie, c’est que c’est quand même à double tranchant : et j’ai beau avoir compris très vite que les incises à répétition, les digressions, l’éclatement de la narration par ce personnage fantasque, c’était complètement fait exprès, « pour rigoler », bah ça reste quand même assez pénible à suivre. Et de fait, on est quand même sur un texte dont le noyau conceptuel est très restreint, et qui fait beaucoup de contorsions pour donner l’impression qu’il accomplit plus que ce qu’il accomplit réellement. Et pour autant, je peux tout à fait concevoir que le côté un peu « réalisme magique » de ce récit, adjoint à ses efforts conceptuels, pourra tout à fait séduire le public idoine. Juste pas moi, quoi. J’ai peut-être un souci avec la littérature argentine, c’est possible aussi. Pas inintéressant, au moins.
La maison du juge, Bram Stoker
Croyez le ou non, mais c’est mon premier contact avec le maître Stoker ; je n’ai jamais eu l’occasion ni pris le temps de dégotter son Dracula, alors même que je sais que ce sera très probablement ma came.
En tout cas, cette nouvelle, fort efficace et rondement menée, dans le registre pourtant bien éculé de la maison hantée, m’a encore plus donné envie de découvrir son travail. Rien de bien folichon, conceptuellement parlant, avec cet étudiant aristocrate qui loue une maison à la sinistre réputation sans s’en soucier, afin de pouvoir travailler en paix en sollicitant l’aide des locaux, et qui se fait progressivement agresser par les esprits chafouins du coin ; mais c’est tellement bien foutu, dans un classicisme rigide mais de fait pas dénué de panache, qu’il m’est impossible de bouder mon plaisir. Nickel.
Voilà pour les textes.
Derrière, on a un petit détour par le travail de dessinateur humoristique/insolite de Gébé. On passera sur le fait très étrange que tous les dessins présentés ici me sont affreusement familiers, comme si je les avais déjà vus/lus ailleurs. Mon hypothèse est que j’ai feuilleté ce numéro par le passé, me suis arrêté sur les images et n’ai pas réfléchi plus loin ; ma mémoire bizarre a fait le reste. Mais bref, quatre dessins, dont la vibe m’évoquerait une étrange fusion entre les styles de Sempé et Voutch, avec le même goût pour des strips dépouillés, monochromes et un dialogue en guise de punchline pour 3 d’entre eux. Le dernier est plus surréaliste, fantastique, miraculeusement mélancolique en dépit de son mutisme. C’est sympa. Difficile d’en faire des caisses, évidemment, mais c’est sympa.
Et enfin, pour la section critique, extrêmement fournie.
On commence par la recension des Derniers contes de Canterbury de Jean Ray, par Jacques Van Herp, un nom de critique qui m’est inconnu, à ce stade de mes fouilles.
Et peut-être ce dernier use-t-il trop de citations du recueil de nouvelles qu’il tente de nous vendre, autant qu’il verbose de façon un peu trop démantibulée, mais force est de reconnaître qu’il donne envie, le bougre. Le nom de Jean Ray m’étant familier – un certain X.D. m’en a fait l’éloge plus souvent qu’à mon tour – au point d’en avoir quelques exemplaires dans ma PàL, je dois bien admettre que le critique prêche ici un presque converti. Mais n’empêche que sa thèse selon laquelle Lovecraft et lui partageaient sans le savoir une approche conceptuelle similaire du fantastique cosmique, mais avec une foncière différence formelle et stylistique, elle me séduit. Peut-être que je vais scruter un peu plus le nom de Jean Ray, et remonter mes quelques textes signés de son nom en haut des piles susnommées.
Passons maintenant à la chronique de La guerre contre le Rull, d’A.E. Van Vogt, signée Gérard Klein.
Et direct, m’sieur Klein nous explique que ce fix-up recomposé à partir de six nouvelles publiées séparément est un des plus « remarquables romans » de l’auteur. Il attribue d’ailleurs ce succès à la capacité unique de l’auteur canadien d’homogénéiser des éléments épars pour en extraire un sens singulier, rapprochant la démarche de la présente œuvre de celle mobilisée pour La Faune de l’espace, un autre de ses ouvrages. Et bon. Déjà que mes quelques rencontres avec Van Vogt n’avaient pas été concluantes, les arguments mobilisés par Klein, ici – en plus de sa tendance mortifère à raconter l’intégralité des bouquins qu’il chronique ou préface – ne me convainquent guère. La supériorité finale de l’intelligence et de la discussion sur la force brute et la méchanceté, le « nan mais si on met tout le monde autour de la table et qu’on en parle calmement ça va s’arranger », j’avoue que de nos jours… Comment dire. Je suis pas contre sur le principe, mais quand précisément, on se réclame assez clairement du principe de réalité dans la rédaction de son travail fictionnel, disons qu’on se heurte assez vite au mur de ladite réalité, à mes yeux. Alors disons que je veux bien croire que le travail science-fictif de Van Vogt n’est pas dénué d’intérêt, mais j’aurais du mal à croire que je serais client de son travail, là encore. Ça m’a quand même l’air d’être avant tout de l’aventure bien burnée à la mode 60’s, avec un progressisme universaliste salement daté, où, comme le dit Klein lui-même l’altruisme n’est pas une valeur en soi mais « trouve son fondement dans la nécessité ». Meh.
Mais puisqu’on parle de Klein, restons avec lui, cette fois ci pour son ouvrage Le temps n’a pas d’odeur, chroniqué par Demètre Ioakimidis. C’est pas banal.
Et franchement, ce qui me frappe avant tout, ici, c’est l’équilibre et l’efficacité de la chronique elle-même. Elle n’en dit pas trop mais livre tout de même un sentiment très complet et nuancé sur le bouquin dont elle parle, avec compliments et reproches honnêtes, sévères mais justes. Et ça me donne l’impression que le roman de Klein est un divertissement bien fichu, quoique créant sans doute un peu de frustration pour le regard d’un·e habitué·e d’une SF plus exigeante. Sans doute pas un roman majeur à son catalogue, mais certainement pas un échec total. Je serais curieux de le lire, éventuellement.
Puis un certain Gali Nosek nous parle de Pierre de la Mermorte, de Lise Deharme.
Ça commence mal, avec comme intro de cette chronique : « Un roman d’un style particulièrement féminin. » Faudra qu’on m’explique. Et le reste de la critique est à l’avenant, comme ayant condamné le texte par avance pour toutes ses audaces qui auraient sans doute été saluées avec un autre enthousiasme si elles avaient été signées par un homme. En vrai, et sans vouloir céder moi-même au même procès d’intention que l’auteur de la chronique ici présente, je pense que le côté conte de fée/réalisme magique prêté au roman de Lise Deharme en ferait la victime de mes remontrances aussi, mais sans doute pas les mêmes que celles de Gali Nosek ; en partant du principe que ce qu’il dit factuellement du roman est vrai. Il m’a semblé ne pas vouloir raconter grand chose d’autre pour ne pas être taxé de trop de cruauté, à laquelle il ne se livre que sournoisement. Et un peu lâchement, si vous voulez mon avis : le plus grand tort de ce texte à ses yeux semblait n’être qu’avoir été écrit par une femme, et qu’on le force à en parler. On passe, donc.
Heureusement, on revient à Demètre Ioakimidis, qui nous chronique coup sur coup Mémoires d’une femme de l’espace de Naomi Mitchison, et Les mutinés du Polar Lion, de Mordecai Roshwald. Je passe vite, parce que les deux romans ne sont clairement pas là pour être loués, et les arguments mobilisés sont assez clairs et de bonne foi. Inconséquence scientifique et narrative pour le premier, et criant manque d’inspiration pour le second. Si je regretterais peut-être un peu, personnellement, le ton acerbe et un poil condescendant du critique, encore une fois, je dois bien lui reconnaître, quand même, surtout pour le deuxième roman, un certain panache dans la formulation de ses accusations. Il faut bien admettre, même à contre-coeur, qu’un chroniqueur un peu acide, quand il soigne son expression, c’est un peu rigolo. La formule « science-fiction de pousse-café », elle pique un peu, mais… J’en ai lus aussi, quelques bouquins « anodins et superflus ». J’avoue.
Très gros morceau, maintenant, avec la recension de L’univers de la Science-Fiction de Kingsley Amis, par Jacques Van Herp.
Ouvrage qui en prend très vite pour son grade – et à raison ! – pour son cruel manque d’exhaustivité et de sérieux quand au recensement de ses références fondatrices. J’veux dire, comment ne pas donner raison à l’auteur de la chronique : parler de SF sans évoquer Demain les chiens est un crime par omission. Sans parler d’ignorer partiellement ou complètement des Clarke, Asimov ou Sturgeon. (Bon, Jacques Van Herp cite aussi Ayn Rand au rayon des manquements, je vais juste tousser et passer à autre chose.)
Le souci de ce bouquin, semblerait-il, c’est qu’il ne s’intéresse quasiment uniquement qu’à l’Utopie, faisant de la SF un vecteur d’étude sociologique avant tout. Effectivement, c’est très bêtement réducteur, et si je ne partage pas tous les contre-exemples cités par l’auteur de la chronique, logiquement fort remonté, force est de constater que je suis bien d’accord pour m’agacer sur la bête simplicité d’un tel prisme. Pour dire, Kingsley Amis semble considérer que la bonne SF ne peut qu’être optimiste, versant sinon dans le fantastique, un genre qu’il n’aime pas ; un rejet qu’il n’a explicitement pas envie de justifier. Personnellement, je considèrerais de fait que son ouvrage n’est donc ni fait ni à faire, et son existence caduque. Et que le chroniqueur que je chronique ici moi-même est presque trop gentil avec lui.
Quoique quand il cite l’auteur avouant lui-même à une page de son ouvrage « Je pense que j’aurais du en lire davantage avant de commencer cette étude », il tire une balle fatale et méritée, en dépit de toutes ses généreuses concessions à un ouvrage clairement mal motivé et mal exécuté. Ourf.
Un petit post-scriptum signé P.V. qui propose un erratum en longueur sur une critique publiée le mois précédent, j’imagine donc dans le Fiction n°114 que je n’ai pas lu, je passe, faute de comprendre entièrement de quoi il s’agit, et on passe aux films !
Alain Dorémieux nous parle d’abord de L’ange exterminateur de Luis Bunuel.
Préambule à la chronique, Dorémieux nous confesse son désamour pour le légendaire réalisateur, le comparant à un fossile gênant dont on ne sait comment se débarrasser. Ambiance. Mais ce n’est qu’un littéral prétexte, ce film a finalement – et à la surprise du chroniqueur lui-même – remporté ses suffrages. Et bon, les arguments mobilisés par Dorémieux ne me convainquant qu’à moitié, d’autant qu’encore une fois, il se croit obligé de nous raconter tout le film par le menu pour essayer de nous convaincre qu’il vaut la peine d’être vu. Vraiment, c’est insupportable, ce genre de chroniques. J’ai parfois l’impression qu’elles ne sont pas écrites pour partager un sentiment, mais pour mettre en valeur celui qui les écrit aux dépens de ce dont ils parlent. C’est d’un pénible.
Ceci étant dit, je suis d’accord avec la dernière partie de la chronique : j’aime moi aussi beaucoup le fantastique qui opère sur l’absence d’éléments le suggérant plutôt que l’inverse. C’est aussi élégant qu’efficace. Curieux du film sans vraiment l’être, au final.
Ensuite, un certain F. Hoda nous parle de L’increvable Jerry, de Frank Tashlin, avec Jerry Lewis.
J’aime bien l’idée initiale du chroniqueur, ici, qui justifie la présence d’un film burlesque dans les lignes de Fiction, expliquant que si le burlesque, de base, confine parfois au fantastique ; ce film précis touche en plus à la science-fiction. Je pense qu’en tant que défenseureuses de l’Imaginaire, on devrait faire ça plus souvent : faire rentrer les œuvres qui touchent à notre niche dans cette dernière, systématiquement. Pas tant dans l’optique de gagner un quelconque combat culturel, mais au contraire pour le désamorcer, prouver que si bataille il y a, elle est terminée depuis longtemps, fut-ce par un long pat muet.
Et bon, si je trouve sa justification pour le terme de « comédie de science-fiction » à l’égard de ce film un peu bancale – l’utilisation de rasoirs électriques pour un gag me paraît capillotractée – je trouve tout son arsenal argumentatif de compliments envers Jerry Lewis lui-même autrement plus captivant. Je savais déjà que le monsieur était un génie comique et cinématographique souvent sous évalué, je demeure toujours aussi curieux d’un jour pouvoir le constater de mes yeux. Peut-être pas avec ce film en particulier, mais quand même.
Le géant à la cour de Kublai Khan, de Riccardo Freda, chroniqué par Jacques Goimard, désormais.
J’ai l’impression que la moitié au moins de cette chronique est hors-sujet, c’est fascinant. Ça dégoise sur la bonne manière d’aborder les tremblements de terre en tant que poète, ça fait des phrases à rallonge, pour finalement raccrocher tant bien que mal sur le réalisateur du film qui aurait choisi l’approche par le bas – quoique ça veuille dire – le tout pour dire que le film en question est fauché et très italien, et donc – je crois – extrêmement sympathique quoique imparfait. Au fond, Goimard n’en dit pas grand chose en dehors de quelques détails qu’il a aimé et de spoilers abusés, encore une fois. Des fois je me demande si certains critiques, un peu démunis, ne font pas un résumé complet de l’œuvre dont ils parlent uniquement pour gagner en volume et donner l’impression qu’ils ont travaillé en dépit de leur flemme ou de leur manque de munitions.
Mais bref, c’est le moment de passer au courrier des lecteurs ! J’avoue que c’est un plaisir ponctuel bien rare à retrouver dans les pages de mes Fiction que ces petites pastilles singulières, témoins exceptionnels de la longévité de la mesquinerie et de la passion confondues du fandom Imaginaire. Moi qui croit dur comme fer à l’idée que le public a depuis trop longtemps été mis de côté dans les discussions à propos de l’avenir de la littérature de genres dans ce pays et ailleurs, au profit d’une parole professionnelle parfois un peu trop déconnectée ou nombriliste, j’avoue que c’est quand même un pouls que je trouve opportun de prendre, fut-ce avec 60 ans de décalage.
Bon après, on peut éventuellement éviter l’avis d’Auguste Moussu, de Grenoble, qui estime que l’espace pris par les critiques dans Fiction est beaucoup trop important, parce que les recensions de films et de livres « de nième ordre », basiquement, on s’en fout.
Mais je salue ici la malice de la rédaction, qui nous livre juste après le courrier d’un certain G. Temey, de Clermont-Ferrand, qui dit exactement l’inverse, et salue au contraire la possibilité d’ainsi découvrir des ouvrages inconnus par le truchement du travail critique du magazine.
J’imagine, avec le ton de ces courriers, que la question a été directement posée dans un numéro précédent, et je dois bien dire que je trouve ça cool, une revue qui a pour ambition de se construire avec les voix de son public, même après son 115e numéro. Une suggestion de ce monsieur Temey sera même appliquée à l’avenir, je crois, à savoir l’introduction préliminaires de certains textes et auteurices. Top.
J’apprends par le truchement d’un « groupe de fidèles lecteurs » l’existence antérieure d’une rubrique « banc d’essai » dans Fiction, semble-t-il disparue, où la rédaction donnait sa chance à des auteurices non reconnu·e·s, via des textes inédits et pas forcément consensuels. Intéressante initiative, que ce groupe estime valoir le coup, quand bien même elle ne donnerait lieu qu’à une seule belle découverte tous les deux ou trois ans ; hypothèse cruellement pessimiste à mes yeux. N’empêche que je suis d’accord. Y a un moment, faut pas trop laisser les choses ronronner. Et même les auteurices les plus établi·e·s peuvent se vautrer, ponctuellement, la reconnaissance du nom n’est pas une garantie suffisante de qualité. Au contraire, je pense même que ça peut amener à une forme délétère de complaisance.
Et justement, le courrier suivant, signé par Jean-Pierre d’Anna, de Paris, prouve exactement ce que je dis. Il y regrette la disparition des quelques lignes qui auparavant introduisaient toutes les nouvelles présentées dans Fiction, estimant qu’elles constituaient une bon moyen de contextualiser ces textes auprès d’un public plus profane. Et en note de bas de page, la rédaction explique que cette disparition était une expérimentation, et qu’elle a clairement échouée, menant à un retour de ces introductions. J’aime bien cet esprit, vraiment. Expérimenter, tenter, sonder, adapter. Tu m’étonnes que j’aime cette revue.
Et enfin, débat intéressant dans le dernier courrier de Alain Tercinet, de Paris, qui s’étonne d’avoir vu du Boris Vian classé en SF par les membres de Fiction dans le numéro précédent, estimant même que ce serait réducteur de caser son travail dans cette niche. La rédaction se défend en estimant que ce n’est finalement qu’une expansion de son horizon thématique, et aucunement réducteur. Je vais dans le sens de la rédaction, ici.
Et voilà, pour conclure, Jacques Goimard, encore lui, va nous parler BD. Plus précisément du n°3-4 de Giff-Wiff !, bulletin du Club des Bandes Dessinées.
Et très vite dans cette chronique, je dois jeter l’éponge, puisque d’une certaine manière, et fort ironiquement, Jacques Goimard se livre ici, quoique avec une distance temporelle bien plus réduite, exactement à l’exercice auquel je me livre ici, mais à propos d’une revue tierce, qui n’en est pas vraiment une, si j’ai bien suivi. On se retrouverait donc, dans le cas où je m’y attèlerais, dans un exercice méta-méta-chronique. J’avoue qu’au delà de l’inanité de la démarche, puisque il me manque énormément d’éléments pour seulement comprendre exactement de quoi parle Goimard, et donc pour en rendre compte efficacement, j’ai un peu la flemme. Coupable, je suis cou-pable.
Je me pardonne moi-même en me disant que c’était quand un même un numéro assez fourni, alors c’est pas trop grave. Au pire, je pourrais toujours y revenir plus tard, c’est pas comme si mon exemplaire allait s’envoler.
Dense, ce numéro. Bien rempli. Bien varié. Pas débordant de choses pour lesquelles m’enthousiasmer, mais toujours aussi riche d’enseignements. J’ai bien pris le coup pour explorer et parler de cette singulière et délicieuse initiative. Je m’éclate, ça fait du bien.
J’espère que c’est un peu partagé. Et au pire, c’est pas grave.
Au prochain numéro !
Au plaisir de vous recroiser.
En attendant, que votre avenir soit rempli d’étoiles. 😉
