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U-H-L #57 – L’Inversion de Polyphème, Serge Lehman

Carpe Diem – Joker Out

Serge Lehman ne m’est un nom que très vaguement familier, aux échos trompeurs. J’ai pu en lire tout le bien du monde comme tout l’inverse, me laissant de loin une impression d’un talent prometteur trop vite fané, sans que je ne puisse réellement juger sur pièce de la véracité de cette image.
Alors forcément, quand un de ses récits apparemment phare est publié en UHL, avec en plus le cachet d’approbation de Pierre-Paul Durastanti qui en parle comme d’un authentique chef d’œuvre : je devais en avoir le cœur net, l’occasion est trop parfaite. Et puis de toute façon c’était un UHL, alors j’y serais passé à un moment où à un autre.
On va pas tourner autour du pot indéfiniment : ce texte est en effet sublime.

Alors bon, reconnaissons quand même, d’emblée, que sans le savoir, Serge Lehman, quoique avec 30 ans de décalage, m’a pris par les sentiments : sa bande de jeunes lecteurs de SF, bouffant des numéros de Fiction, des opus du Fleuve Noir Anticipation, name-droppant Maurice Limat, Kurt Vonnegut ou Nathalie Henneberg, son ambiance à la Stephen King, Stand by me en banlieue parisienne… Ça joue sur une corde sensible, pour moi qui aime à me plonger dans une époque littéraire qui n’est pas la mienne, tout comme j’ai aussi traversé cette période où toute lecture était une merveilleuse découverte, où je n’avais pas encore le mauvais goût d’être aigri ou blasé. Ce texte entier transpire d’une nostalgie fabuleuse et élégante, qui jouit du panache rare de ne pas être complaisante ; qui parvient à transmettre la réalité entière d’une époque révolue en en magnifiant les meilleurs aspects sans en taire les pire.

Et ça ne joue qu’à l’organicité totale du récit, ancré dans une réalité palpable et sobrement flamboyante, s’appuyant sur des personnages ultra solides, bien que croqués en quelques lignes seulement : c’est le luxe du sens de la synthèse déployé ici par l’auteur, des fois il ne suffit que de quelques détails bien alignés, et la magie opère. On est dans ce genre de cas où l’évidence me rend impuissant à bien verbaliser mon point de vue sur ma lecture, c’est passé si vite et si agréablement que je n’ai pas pris le temps de vraiment m’interroger sur les raisons du succès du texte.
Si ce n’était que la dynamique de groupe et ses racines humaines multiples, cette lecture aurait eu mon admiration. Pour tout dire, arrivé à la moitié, je me demandais si ce texte n’était pas tant un texte qui parle d’Imaginaire plutôt qu’un texte d’Imaginaire à proprement parler. Ces ados paumés et malheureux qui se retrouvent dans leur amour commun de textes leur permettant de s’élever au delà de leur condition par l’évasion et la réflexion transversale, franchement, j’aurais pris ; des fois, c’est aussi simple que ça, et c’est bon. J’aurais pu me contenter de simplement me retrouver dans cet aspect de l’histoire, en dépit de son décalage temporel et social.

Mais il y a twist, à la moitié de cette histoire, précisément. Et s’il arrive brutalement, précipitant le rythme de son intrigue vers sa conclusion de façon un peu frénétique, je le trouve assez fabuleux, thématiquement et génériquement. Serge Lehman parvient à mes yeux à un petit miracle, dans ce texte, à la fois si court et si dense, à un vrai tour de force ; parce qu’à l’image d’une vie, ce petit récit, cette tranche de vie de quelques ados, contient des multitudes. On a ici tout à la fois des éléments de fantastique, de la pure SF, à la fois symbolique et hard, du merveilleux, du drame, de la comédie, et encore tout un tas de choses, sans que jamais rien ne se superpose de façon gênante. Au contraire, tous les aspects de l’histoire confectionnée par l’auteur se nourrissent et se renforcent les uns les autres, et convergent vers un effet de synergie total magnifiant l’ensemble. Et au final, on se retrouve avec un texte dans lequel, je crois, tout le monde peut retrouver un peu de soi, mais sans tomber dans l’écueil d’un universalisme creux ou d’une accessibilité fade. Au contraire, on est dans cette précision, cette sincérité chirurgicale que je célèbre maintenant régulièrement, qui parvient à toucher à un réel sentiment d’universel, mais par l’autre bout de l’expression.

Voilà, L’Inversion de Polyphème est un récit magnifique. Rempli jusqu’à l’œil d’émotions contradictoires, parvenant toujours à en tirer le meilleur, débordant d’une sincérité et d’une expressivité rare, au service d’une excellente histoire, brossant le portrait compatissant d’une adolescence écorchée vive, sans complaisance ni condescendance. C’est le récit nostalgique d’une enfance perdue qu’on essaie de reconquérir vaille que vaille, quitte à n’en ramener que des petits morceaux dans le présent, afin de mieux affronter l’avenir. C’est le reflet dans le miroir auquel on essaie de sourire tant bien que mal, dans lequel on se revoit, avant ; dans lequel on tente de se construire un portrait immortel dont on puisse être fier.
C’est le genre de texte qui me fait faire des phrases sans que je fasse gaffe, juste en essayant de leur rendre justice. Mes préférés.

Au plaisir de vous recroiser.
En attendant, que votre avenir soit rempli d’étoiles. 😉

One comment on “U-H-L #57 – L’Inversion de Polyphème, Serge Lehman

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