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Le Livre des Fantômes, Jean Ray

Il faut que je retienne le nom de Tibor Csernus. Je crois que c’est pas la première fois que je le croise, et pas non plus la première fois où je me dis que j’adore son travail.

Holy Diver – Dio

C’est pas la joie, et je me sens assez faible face à mes options littéraires les plus lourdes et/ou complexes. Alors je vise léger. Mais sans trahir mes envies habituelles de découverte et de tentatives plus ou moins audacieuses. Jean Ray, donc ; depuis le temps qu’on m’en a parlé et que je croise régulièrement son nom, associé à une certaine réputation. Avec un petit recueil de nouvelles. Ça permet d’aller doucement et tranquillement, le temps de retrouver la motivation et un brin de rythme pour un été qui s’annonce chaud et dense. Et comme on a que 11 textes condensés en à peine 200 pages après une courte préface faisant préface au premier texte du recueil, que l’auteur désigne lui-même comme une préface au reste du bouquin, autant faire ça de façon exhaustive ; il y a comme une déclaration d’intention quant à la cohérence de l’ensemble.
Allons-y.

Mon fantôme à moi (l’homme au foulard rouge)
Pas banal, comme introduction à un recueil de fantastique, un texte biographique contant la croyance de l’auteur dans les fantômes, mais de son propre aveu, sans aucune romantisation du phénomène. Je n’ai pas peur de dire que c’est fade, puisque Jean Ray lui même l’admet, injectant toute la banalité et l’ennui possible du quotidien dans ce qui n’est finalement qu’une longue succession d’anecdotes liées entre elle par sa conviction en quelque chose qui lui appartient pleinement. Littérairement, ça n’a qu’un intérêt limité, mais effectivement, comme préface au reste de l’ouvrage, je trouve ça extrêmement pertinent. On a ici, même si c’est léger et sans réelle conséquence matérielle, ce qui a dû, sans doute, nourrir la fascination de Jean Ray pour le fantastique, au moins pour une petite part. Très bien, je paie pour voir.

Maison à vendre
Meh. Histoire centrale pas dénuée d’intérêt, avec cette maison hantée dont l’origine est originale ; mais je dois dire que la manière très détachée de la raconter choisie par Jean Ray m’a trop mis à distance pour que j’en profite réellement. Ton très ironique, usant de références diégétique sans poids suffisant, une certaine tendance à la verbosité grandiloquente… Ici la forme condamne le potentiel du fonds. Dommage.

La choucroute
Pas banal, comme titre d’une nouvelle fantastique. Pour un récit que je qualifierais poliment de « huh ». Y a un truc. C’est indéniable. Une ambiance dans le cœur de « l’intrigue », faute d’un meilleur terme, un vrai sentiment d’étrangeté agressive, d’invasion de la normalité. Il manque un truc à cette nouvelle en particulier pour être vraiment convaincante, sans que je ne sache vraiment quoi, mais il laisse une trace quand même, son concept central est vraiment chouette. C’est juste sur la réalisation que je trouve que ça pêche un peu.

M. Wohlmut et Franz Benschneider
Encore une bonne histoire, fondamentalement, quoique un peu trop procédurière dans sa mise en place à mes yeux, et faisant des choix stylistiques très curieux, notamment vis-à-vis de la continuité et de la concordance des temps. Il commence à s’installer comme une redondance dans ma réception des textes de Jean Ray : bon concept central, bonne ambiance, mais style malvenu pour réussir à vraiment rendre compte de la substantifique moelle des intrigues qu’il devise. Ce texte est ok, mais sans plus.

La nuit de Pentonville
Pas mal ! Ici, Jean Ray quitte la narration à la première personne pour de la troisième, et ça marche tout de suite nettement mieux : une forme plus classique l’empêche de multiplier les métalepses maladroites comme il le fait dans les textes précédents, ce qui lui permet de conserver une certaine unité de perspective et de style. Bon, c’est toujours pas parfait, je trouve que c’est un peu malhabile par moment, et qu’il surcontextualise franchement, mais ici le concept est particulièrement cool, et son exécution comme son discret plaidoyer contre la peine de mort fonctionnent vraiment bien. Premier texte que j’apprécie plus foncièrement que je n’y trouve des prétextes à pinaillage.

L’histoire de Marshall Grove
Nouvelle extrêmement frustrante : elle part de façon extrêmement solide, prenant bien son temps avec un slow burn tout à fait qualitatif, tirant le meilleur parti de la tendance maintenant claire de Jean Ray à contextualiser et préciser tous les aspects de ses récits. On a une super ambiance, l’installation de pas mal de pistes potentielles pour un étrange à la fois poisseux et subtil, un rythme bien lancinant, assez captivant, et d’un coup, ça s’écroule. Sans que j’arrive à m’expliquer la décision de l’auteur autrement que par une subite et puissante attaque de flemme, son récit, subitement, pratique une metalepse à la hussarde, bouleversant frontalement la perspective du récit, au prétexte à peine déguisé de le précipiter et de nous éviter de trop longues digressions ou méandres que l’auteur n’a pas envie d’écrire ; alors même que jusque là, comme je l’ai dit, il allait doucement mais sûrement. Et puis hop, aussi brusquement, on balance tout, on change de style, de rythme et de perspective, et le texte explose en vol avec le panache d’un pétard mouillé. C’est trop dommage, et assez incompréhensible. Ç’aurait pu être le meilleur texte du recueil jusque là, et rien que pour son audace mal placée qui ressemble à de la flemme mal justifiée, c’est sans doute le pire à mes yeux.

La vérité sur l’oncle Timotheus
Alors que là, je dis oui ! Alors certes, on encore un peu de cette étrange hyper contextualisation que je vais sans doute désormais systématiquement associer à Jean Ray, mais pour l’ensemble, ici, ça se tient super bien à tous les niveaux. Bon concept, bonne exécution, un ton semi-ironique qui convient très à une focalisation interne et à un récit à la première personne, avec juste ce qu’il faut de metalepse, menant à une chute complètement réussie. Là il s’est passé un truc bien plaisant.

Ronde de nuit à Kœnigstein
C’est assez triste de me répéter à ce point, mais la même chose que pour les nouvelles les plus faibles du recueil : excellent concept central, gâché par la structure et l’expression choisies par Jean Ray. Encore une fois, trop de contextualisation préalable qui ruine le moindre mystère, un appui trop conséquent sur un témoignage intra-diégétique qui vient casser le rythme, et une volonté de tout préciser qui empêche la moindre interprétation fantastique. C’est vraiment infiniment frustrant. Y a tous les ingrédients, mais j’ai l’impression qu’ils sont mal mélangés ; que l’auteur a débordé en coloriant son dessin. Une bonne histoire mal racontée, qui en fait trop là où il faudrait être économe, et qui n’en fait pas assez là où il faudrait être démonstratif.

Le cousin Passeroux
J’aimerais avoir de nouvelles choses à dire, mais si je n’ai globalement que des reproches à faire à Jean Ray, je peux lui accorder un sincère compliment quant à sa constance : tous ses récit jusque là reposent sur des idées solides, et ne pêchent que par ses choix formels. Ici encore, on a des moments qui fonctionnent à plein en terme d’ambiance et de régal conceptuel, uniquement ruinés par tout ce qui les entoure. Adresses maladroites au lectorat sortant de nulle part, digressions inutiles, précisions questionnables, c’est toujours les mêmes lubies qui viennent gâcher son travail à mes yeux. C’en est presque encore plus fascinant que le fonds des histoires que je lis, de me confronter à autant de nouvelles qui s’auto sabotent systématiquement de la même façon. Toujours le même surgissement maladroit d’un événement étrange et glauque dans une vie apparemment bien réglée, toujours les mêmes chutes abruptes dénuées du moindre semblant d’explication, tentant d’apporter de l’ambivalence à un récit qui jusque là en était dénué et ne nous laissait pas le moindre doute sur l’interprétation à faire de ce qu’il nous racontait. Le pire c’est qu’à chaque fois on sent qu’il y a un réel potentiel, c’est terrible.

Rues
Je n’avais pas encore précisé que chaque texte de ce recueil était précédé d’une citation littéraire ; j’imagine que Jean Ray y voyait un habile moyen de préfacer chacune de ses nouvelles. C’est un procédé que je ne goute que peu, donc je me suis gardé d’en parler jusque là. Mais ici, en plus de cette citation, une étrange précision s’ajoute, et que je ne m’explique qu’à moitié. En tête de ce récit, Jean Ray a rajouté la mention « (document) ». J’imagine qu’il faut y voir une nouvelle incursion de sa propre expérience dans son travail littéraire, ou bien ce texte est censé exister en tant que document au sein de sa diégèse. Pas clair.
Mais bref, pire texte du recueil, et de loin. Collection disjointe d’anecdotes à propos de rues aux histoires effrayantes ou étranges, sans doute ancrées dans une forme de réalité, qui me semblent nous être livrées par Jean Ray lui-même, sans filtre, afin d’illustrer son attrait pour le fantastique. Il y a là cette forme de distance prudente mais fascinée de celui qui ne veut pas dire qu’il croit au surnaturel mais qui se dit qu’il y a quand même quelque chose à creuser dans le sujet. Sauf que malheureusement, cet attrait seul, aussi fiévreux soit-il dans sa transmission, ne fait pas une bonne histoire ; a fortiori quand tout est livré pêlemêle, sans rime ni raison. Là, je me dis que Jean Ray lui-même n’est pas dénué d’intérêt, en tant qu’humain ou en tant qu’écrivain, mais uniquement avec le luxe de la distance.

Après
Dernier texte. Une sorte de plaidoyer de deux pages pour l’existence des fantômes, expliquant que leur apparence n’est pas figée, et qu’il est donc impossible de confirmer ou d’infirmer les témoignages rendant compte de leurs interventions. En gros. J’avoue que là, le parallèle entre Jean Ray et Jimmy Guieu m’a un peu frappé : j’ai la vague mais tenace impression que leurs démarches, si on les réduit à leurs plus simples expressions, étaient un peu la même. Une croyance fondamentale, irrationnelle, ou en tout cas pas motivée par le moindre élément autre qu’une certaine intuition ; et une carrière littéraire vouée à rendre compte, à promouvoir cette croyance. Le surnaturel fantomatique pour le premier, les aliens pour l’autre. Avec une nuance essentielle : si je n’ai pas spécialement apprécié ce recueil, ses indéniables fulgurances m’ont convaincu du potentiel de son auteur. Mon impression négative de ses motivations n’est pas suffisante pour me donner le sentiment que cet auteur est dénué de talent ; ce bouquin m’a l’air absolument mineur, dans sa construction, ses motivations ou même sa présentation éditoriale.

Avec aussi peu d’éléments, je ne voudrais pas m’avancer outre mesure quant à la réelle valeur du travail de Jean Ray à mes yeux. Certes, si je devais retrouver dans tous ses textes l’inconstance de perspective, sa tendance sauvage à la metalepse et autres digressions abusives, je pourrais sans mal le considérer comme pas du tout à mon goût, et je passerais à autre chose sans autre forme de procès. Mais même dans ce recueil médiocre, j’ai trouvé beaucoup de choses intéressantes à lire ; cet auteur a indéniablement un sens aigu de l’ambiance et de l’étrange, une vision invasive et pernicieuse du fantastique, qui, je dois bien l’avouer, me parle quand même pas mal. J’aime beaucoup ses idées, je trouve que ça ne pêche vraiment que dans la réalisation. Donc on ne sait jamais, sur d’autres ouvrages, avec peut-être un peu plus de soin éditorial ou de simple motivation de sa part à resserrer ses intrigues et leurs déroulés, franchement, ça pourrait le faire.
Je vais garder les yeux ouverts.

Au plaisir de vous recroiser.
En attendant, que votre avenir soit rempli d’étoiles. 😉

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