
Look Away – Big Country (extrait de l’album The Seer)
J’attendais un SP et il me fallait une lecture pas trop longue et probablement enthousiasmante à un niveau suffisant pour que je ne risque pas trop de m’empêtrer dans la moindre difficulté à apprécier le voyage. Et comme ma copine est la meilleure, elle en a profité – sans le savoir, c’est ça le talent – pour m’offrir une petite tournée de bouquins d’occasion piochés dans ma wishlist. Et dedans, un roman d’un auteur qui m’a estomaqué en début d’année avec son anthologie Le Léviathan de l’Espace, dont on m’avait dit énormément de bien à la sortie de ma chronique d’alors.
L’occasion : le larron.
Et nous voilà donc pour savoir si on m’a raconté des cracks ou pas.
La réponse est : ou pas. C’tait super chouette.
Nous sommes dans un univers où le voyage spatial se fait au moyen de carcasses de baleines spatiales qu’on a chassé et dont on a supprimé le ganglion central leur permettant de se balader dans le temps et l’espace ; et les gens qui sont chargé de ce sale boulot sont appelés des Jonas. Nous suivons un certain Starfinder, Jonas chevronné qui en est à 32 baleines déganglionnées par ses soins, mu par un ardent désir de vengeance depuis qu’une baleine spatiale l’a privé de la vue pendant deux ans. Mais soudainement, Starfinder renonce à sa haine, et décide plutôt de sauver une de ces baleines, s’évadant avec elle, concluant un pacte qui va l’amener bien plus loin qu’il n’aurait jamais pu le soupçonner.
Ce résumé initial pourrait sembler en dire beaucoup, et effectivement micro-spoil les enjeux initiaux du roman, mais il me semblait essentiel de préciser d’emblée que le cœur de l’intrigue proposée par Robert F. Young, en plus d’élaborer assez richement et très différemment sur le thème de la nouvelle qui a donné son titre à l’anthologie que je citais dans l’introduction, diverge très vite de ce qu’on pourrait attendre d’une situation initiale comme celle qu’il propose. Baleine, vengeance, tout ça : on a beau être dans l’espace, il y a du capitaine Achab là-dedans, et l’auteur le sait très bien, mais justement, il assume assez frontalement de vouloir faire autre chose.
Et ça, c’est sans parler de la réelle raison pour laquelle il me fallait absolument évoquer le rapport entre Starfinder et la baleine qu’il libère, puisque leur manière de communiquer à elle-même vaut déjà à ce roman une série de très bons points. N’étant pas humaine et ne maîtrisant pas le langage idoine, fort logiquement, Robert Young la fait communiquer, tout bêtement, avec des pictogrammes et des symboles, que Starfinder doit interpréter pour les comprendre. C’est vraiment simplissime, mais ça rajoute à la narration une part de personnalité et d’organicité très convaincantes, un degré d’immersion et de poésie rare, qui pour elles seules valent le coup.
Donc formellement et narrativement, c’est chouette. Conceptuellement, des baleines spatiales avec lesquelles on peut voyager à travers le temps et l’espace : c’est chouette. Et ça ne serait que ça, je serais déjà assez content, pouvant même éventuellement pardonner par ailleurs une intrigue et un déroulé des évènements un peu plus bateau. Après tout, pour un roman datant des années 80, il serait facile de faire abstraction de thématiques un peu burnées et pas très subtiles, pour peu que l’effort soit consenti par ailleurs. Sauf que c’est de Robert F. Young, qu’on parle, et que j’attendais de lui des signes me prouvant que j’avais eu raison de lui prêter des qualités de modernité et de progressisme bon ton, en accord avec l’impression extrêmement favorable qu’il m’avait donnée à la lecture de son anthologie chez NéO.
Et j’ai été servi. Alors certes, on pourra passer sur un aspect de son histoire qui malgré elle m’a rappelé le pire aspect de La porte sur l’été d’Heinlein, quoique tournée d’une manière infiniment plus élégante et moins creepy, mais qui est là quand même ; je comprendrais que d’autres que moi expriment un malaise plus lourd. Par contre, là où je n’accepterais pas d’être autre chose qu’enthousiaste, c’est encore une fois pour le côté socialement et politiquement réjouissant des partis pris par Robert Young. Entre les scuds envers la société capitaliste et la compréhension globaliste de certaines des pires déviances politiques gangrénant les esprits des humains aussi victimes que bourreaux, l’auteur confirme l’impression qu’il m’avait laissé initialement : il n’aime rien tant que de dépeindre des gens aux pensées malformées et les plonger dans des circonstances leur permettant de se rendre compte de leurs erreurs. Si son protagoniste, à quelques reprises, fait preuve d’une forme de conservatisme, c’est pour mieux se réformer et apprendre au fil de ses aventures, en toute conscience.
Je suis toujours un peu désarmé face à ces lectures là. Ç’aurait pu n’être qu’une petite aventure spatiale un brin pulp de plus, avec juste un concept central un peu perché mais super bien exploité, des personnages sympas et une dynamique interpersonnelle à l’avenant, et par une espèce de tour de passe-passe littéraire, ça parvient à choper un supplément d’âme sorti de je-ne-sais-où, pour finalement me convaincre à plein, alors qu’objectivement, je pourrais pointer du doigt deux trois trucs qui vont pas. Mais le cœur de l’affaire, c’est que pointer du doigt ces trucs gênants : j’ai pas envie. D’abord parce que je les trouve pas si gênants que ça, et surtout parce qu’en fait, à l’aune de tout ce que le roman réussit à plein, je trouve que ça vaut pas le coup d’être un tant soit peu négatif. Y a une sorte d’équilibre à respecter dans ma recension, dans ces cas-là, où la moindre maladresse est tellement compensée dans l’autre sens par une réussite flamboyante, que ça paraît mesquin de parler de quoi que ce soit d’autre que de la réussite flamboyante.
On a là un roman super humain, dans le meilleur sens du terme, inventif et pétillant, avec un message central absolument vital d’optimisme et de douceur, enrobé d’aventures et d’images super cools, avec un supplément chantilly de bienveillance : j’ai besoin de ces textes là en ce moment.
Alors voilà, c’est officiel, Robert F. Young rejoint le club très select des vieux auteurs blancs morts avec qui je veux bien être pote et passer quelques maladresses, parce que je crois très sincèrement qu’ils auraient bien pris le virage du siècle. Et maintenant, je dois trouver son autre anthologie, ses nouvelles dispersées dans Fiction et éventuellement d’autres romans.
On se reverra à ce moment-là.
Et pour d’autres trucs entre temps, évidemment.
Au plaisir de vous recroiser.
En attendant, que votre avenir soit rempli d’étoiles. 😉
