
Au moins c’est pas une meuf à poil.
J’ai doucement commencé ce Fiction pendant les quelques pauses que je me suis accordé au milieu de la relecture du gros roman dont je vous ai vaguement parlé au début du mois. Maintenant que ladite relecture est terminée, le Fiction, je le termine. Voilà. On fait les choses pro-pre-ment, ici.
Et de ce fait :
Nouvelle aurore, Roger Zelazny
En préambule de ce texte, la direction de la revue nous précise que le texte dont il va être question ici est en réalité un des deux extraits d’un roman de l’auteur titré Lord of light en VO, pas encore sorti en France, pouvant faire office de nouvelles indépendantes, et donc proposées en guise d’apéritifs dans Fiction. Pas banal, et sans doute à prendre en compte dans l’appréciation dudit texte, puisque pas écrit au départ pour faire office de récit indépendant. Je pose ça là, réservant encore mon jugement sur l’éthique d’un tel choix.
Mais à noter, avant même de m’attaquer au coeur de mon ressenti envers ce texte : c’est quoi, bon sang, son fichu problème, à Zelazny, avec l’immortalité ? Je vous jure, j’en arrive quand même à un stade où je l’ai plutôt bien côtoyé, le bonhomme, et pas un seul de ses récits n’est dépourvu d’une étude plus ou moins approfondie sur ce thème, d’une façon ou d’une autre. Toujours un dieu, une créature mystique ou un homme millénaire qui traine quelque part, à s’interroger sur sa propre nature ou son rapport au monde. C’est pas gênant, hein, chacun·e ses obsessions, au fond, mais c’est quand même fascinant de voir que Roger Zelazny était vraiment à fonds sur le sujet.
Et bref : c’est pas mal du tout. On a un concept en béton armé, avec ces espèces de surhommes ancêtres de l’humanité, vivant encore en son sein, en tant que personnes ordinaires ou en tant que divinités plus ou moins cachées derrière un réseau religieux plus ou moins impliqué dans le processus. On a un univers solide qui se dessine en creux, où tout est sujet à interprétation quant à l’implication de ces étranges « Premiers », semblant jouer avec la destinée de l’humanité comme un enfant trop riche, mais vaguement conscient de ses responsabilités quant à ses sujets/jouets.
Le souci, c’est évidemment que l’exécution proposée par Zelazny n’est pas celle d’une nouvelle à proprement parler, ce qui nous donne une intro terriblement longue menant à un cœur de récit divertissant, mais à la conclusion un brin expédiée, et évidemment frustrante, puisque appelant de nouvelles questions, dont on aura jamais les réponses. J’imagine qu’en tant qu’intro de roman, ça passerait beaucoup mieux, et que le roman en lui-même doit proposer des choses sympathiques. En restant prudent, considérant les deux occurrences un peu étrange de racisme à base de n-word dans une note du traducteur et d’un dialogue borderline transphobe mais sans doute bien intentionné compte tenu de l’époque, je serais curieux. Mais beaucoup moins de la deuxième nouvelle extraite dudit roman, évidemment.
Viens sur Vénus, Mélancolie, Thomas M. Disch
Pas mal du tout, ça ! Deuxième rencontre avec l’auteur, après une première expérience très frustrante, et on peut dire sans trop de mal que ça redresse spectaculairement la barre. D’abord parce qu’on est sur un très bon concept extrêmement bien réalisé, avec cette IA domotique à l’origine bien glauque abandonnée par son propriétaire, désespérée de retrouver un peu de compagnie ; mais surtout parce que Thomas M. Disch m’a ici donné, pour la toute première fois, une exemple réussi d’un trope littéraire qui ordinairement me débecte et m’éjecte de toute lecture l’utilisant. À savoir l’écriture d’un monologue à l’aveugle, où on ne lit qu’un personnage – souvent, comme ici, læ narrateurice – s’adresser à un·e interlocuteurice ne lui répondant jamais dans le flux du récit. Et si d’ordinaire, ça m’agace, parce que ça donne au texte l’air d’avoir été écrit comme un mauvais sketch où notre personnage fait les questions et les réponses pour nous donner toutes les informations, au risque de défoncer le quatrième mur en même temps que toute illusion de réalité ; ici, Thomas Disch parvient à créer les conditions matérielles et narratives pour que ça passe absolument tout seul et soit complètement crédible, à tous les niveaux.
Et au final, ça nous donne un texte bien triste, bien cruel, rempli d’un pathos extrêmement bien équilibré, avec en plus le luxe d’une certaine vision sur ce qui pourrait aujourd’hui constituer le scénario d’un bon épisode de Black Mirror, pour faire dans la référence facile. Et pour être taquin, sur le rapport qui pourrait émerger avec certaines applications malsaines de modèles actuels d’IA génératives. Mais j’extrapole sans doute.
L’essentiel, c’est que le texte, il est malin, très bien construit, honnête sur le thème de la mélancolie, et logiquement fort. De la bonne.
Cauchemar rose, Alain Dorémieux
Oh on souffle. Pas de volonté de laisser croire que cette nouvelle n’est présente dans ce numéro qu’aux seules grâces du nom et de la fonction de son auteur au sein de cette revue, mais je suis obligé de soulever l’hypothèse, face à un texte si visiblement médiocre. Ce n’est pas tant la faute de son concept central, classique mais toujours intéressant à manipuler ; celui du travailleur spatial isolé sur une planète hostile aux menaces endémiques, ni à la nature franchement intéressante de ladite menace, révélée en fin de texte par Dorémieux. Non, le pêché cardinal commis par ce dernier, c’est que c’est d’un fade, stylistiquement, d’un plat, en terme de tension ! Disons le tout net, on se fait chier. La faute, pour le coup, à une narration sèche comme un jour de canicule, ne sachant pas sur quel pied danser en terme de perspective, ni instaurer la moindre ambiance ou sensation d’atmosphère. Il n’y a ici que le squelette jaunie d’une histoire fatiguée alors qu’elle n’a pas fourni le moindre effort, que les éléments de base d’une histoire à laquelle on refuse ostensiblement le droit de provoquer la moindre émulation, la moindre synergie. Cette nouvelle n’est qu’un long pitch ennuyeux d’un texte potentiel. Infiniment frustrant.
Ah et misogyne, en plus. Parce que hein.
L’enfer de Balgrummo, Russel Kirk
Oh c’était pas bien non plus, ça, oulah. Alors pas de problème avec le concept central, en soi : un cambrioleur qui se rend dans un manoir où il n’aurait pas du se rendre pour y voler les tableaux d’un propriétaire aussi mystérieux que potentiellement dangereux. Mais alors mes aïeux que ça se traîne pour rien, et que ça fait des effets de manche de partout pour essayer de conférer de la substance à un récit qui n’a fondamentalement rien à dire, c’est affreux. Des analepses en pagaille, une structure narrative complètement aux fraises – prouvant encore que l’éclatement chronologique d’un récit ça se justifie et ça se maîtrise avant de faire n’importe quoi avec – des descriptions qui vident la nouvelle du peu d’atmosphère dont elle aurait pu jouir, une exposition confuse et ampoulée ; les seuls rares éléments intéressants mobilisés par l’auteur sont complètement noyés dans une logorrhée d’un ennui écrasant. On passe.
Journal d’un ambassadeur malheureux, Jean-Michel Ferrer
Vous allez dire que je deviens aigri, mais c’est encore une fois vraiment pas terrible. Autour de l’idée d’un empire stellaire s’exprimant caricaturalement comme à l’époque de Louis XIV, on lit exactement ce que le titre de cette nouvelle peut suggérer. Et bah… c’est pauvre en fait. En dehors de l’esthétique convoquée et du ton clairement ironique du texte, il n’y a vraiment pas grand chose à se mettre sous la dent, du début à la fin. Et ce sans compter qu’il y a une chute derrière la première chute ; que la première est juste bête, et que la seconde tombe complètement à plat. Je souffle un peu. Ah et c’est un peu misogyne, aussi. Parce que hein. (Vous le sentez mon gros running gag qui s’installe doucement ? J’arrive pas à croire que j’en ai pas eu l’idée avant.)
Une découverte dans les bois, Graham Greene
Hmmmm. Il s’est passé un truc, ici, je l’admets. Évacuons d’emblée les deux occurrences bizarres et crades d’évocations bien trop précises de l’anatomie de la seule jeune fille peuplant ce récit et concentrons nous sur les ambitions de ce texte singulier. L’idée est toute simple : une bande de gamins part en exploration, sans doute un peu trop loin, pour aller cueillir des mûres. Et il y a une ambiance, c’est indéniable. Certes, ça traîne un peu, et les relations entre les gosses sont un peu glauques, voire carrément gênantes, mais les gamins ça peut être cruel, et franchement, si ça va peut-être un peu loin, ça reste crédible, dans l’ensemble. L’astuce du texte, c’est bien de rester à la hauteur de ces gosses qu’on devine aussi pauvres que désœuvrés, et de tout nous raconter au travers d’eux. Et Graham Greene réussit, assez subtilement – pour ne pas dire sournoisement – à nous installer petit à petit des détails discrets, un faisceau d’indices de plus en plus visibles, pour finalement arriver à un retournement final projetant une lumière nouvelle sur l’ensemble du texte ; une chute franchement super réussie. Qui excuse ses errements et justifie certains de ses choix les plus déroutants. Pas mal. Un peu longuet, peut-être, et pas forcément facile d’accès, mais réussi, je crois. Une bonne surprise, à défaut d’être belle. On finit bien la section nouvelles, in extremis.
Et on peut donc attaquer la section critique de ce numéro, avec une chronique de Jacques Goimard consacré au roman Les océans du ciel de Kurt Steiner. [Qui, me souffle la camarade Hélène Collon, est le pseudonyme d’un certain André Ruellan, très bon ami de Goimard : ceci explique sans doute une partie de ce qui suit. Notre monde est tout petit.]
En introduction, Goimard nous parle de la collection Fleuve Noir Anticipation, dont est issu le roman du jour ; et il est très amusant pour moi de l’y lire évoquer ce monument ambivalent de la SF française dans des termes qui me semblent, avec le recul, extrêmement juste. S’il admet avoir traité cette collection à la politique extrêmement mercantile avec le même mépris que beaucoup de ses collègues, il admet aussi y avoir trouvé beaucoup d’excellents textes, dont un certain Aux armes d’Ortog, du même Kurt Steiner, qu’il considère comme un chef d’œuvre injustement introuvable à cause des faibles et éphémères tirages de FNA. À l’instar de quelques rares autres titres sortis de ces presses singulières, Goimard estime que le rendement à tout crin et la production frénétique associées à une véritable volonté de payer les auteurs a permis à quelques noms de sortir du rang à la grâce d’une certaine libération des carcans des modes de l’époque. Je veux bien y croire. À tel point que le curieux que je suis, avec un traitement aussi honnête et me semble-t-il juste de la question, doit bien admettre être fortement titillé. Je me note cette référence, et avec un peu de chance, je reviendrai un jour vers vous. Super intro pour enchaîner sur le roman du jour : il semblerait que Kurt Steiner soit un auteur intéressant, quand bien même dans sa production se mêleraient « l’or pur et le plomb vil ».
Et donc, Les océans du ciel. On est semble-t-il sur un roman de SF honnête, mais écrit par quelqu’un qui aurait pu écrire quelque chose d’autrement plus ambitieux, et qui a simplement décider de s’en moquer, pour se faire plaisir et faire plaisir. Ça convoque les tirages de lignes de Dumas et la vacuité rhétorique de Pierre Dac. J’avoue qu’en tant que prosélyte du divertissement éclairé : ça me parle, et pas qu’un peu. Bon, après, Goimard explique qu’en fait c’est peut-être un peu le boxon quand même, la faute à un auteur qui se bat contre lui-même et le volume à donner à son roman, avec des péripéties démantibulées et une humeur changeante tout le long du récit. Peut-être bien, aussi, que le critique, ici, fort de son appréciation initiale pour l’auteur, me donne le sentiment d’en faire des caisses à l’aune de cette appréciation, quitte à aller un peu trop loin dans l’analyse. Ça fait même un peu des phrases, si vous voulez mon avis.
Et au final, je sais pas si ce roman là, je veux le lire. Aux armes d’Ortog, oui, ça, je suis curieux. C’est déjà ça de pris.
Ensuite, encore un gros morceau, avec Gérard Klein qui nous fait une trois-en-un, chroniquant tout en même temps L’Aleph de Borges, Six problèmes pour Don Isidro Parodi, du même Borges et d’Adolpho Bioy Casares, et Entretiens avec Jorge Luis Borges, signés Georges Charbonnier. C’est ce qui s’appelle ne pas faire les choses à moitié.
Ce qui est amusant, ici, c’est que Klein évacue assez vite les deux premiers ouvrages, se reposant sur l’évidence du talent et de l’héritage de Borges, se contentant d’en dire du bien en quelques paragraphes pour enchaîner assez clairement sur sa véritable cible, des Entretiens qu’il qualifie d’entrée de jeu comme « l’un des livres les plus inutiles et les plus fascinants que j’aie jamais eu l’occasion d’ouvrir ». J’avoue qu’après qu’il m’ait vraiment donné très envie de découvrir un travail de l’écrivain argentin dont je n’avais jamais entendu parler (le deuxième de la liste), le voir déraper aussi vite et aussi fort vers ce qui ressemble à une exécution en règle m’a pris par surprise.
Assez ironiquement, même si Gérard Klein développe autant que faire se peut son argumentaire visant à accuser Georges Charbonnier d’être un très mauvais intervieweur gâchant la chance immense qui lui est offerte de s’entretenir avec Borges, le fonds de l’affaire est assez vite entendu, et je me dis qu’une si longue chronique consacrée pour une si grande partie à son tiers le plus négatif, c’est quand même dommage. Mais bon. J’ai appris deux trois petites choses. Youpi.
On avance : Alain Garsault nous parle maintenant de L’Homme artificiel, de L.P. Davies.
Probablement pas un bon roman, et pas la meilleure chronique de Garsault : trop de résumé, pas assez de développements critiques, ça ne donne pas envie, et ça tombe bien parce que c’est pas fait pour.
Passons alors à la chronique de L’île des dauphins d’Arthur C. Clarke, par Martine Thomé, nouvelle dans mon paysage critique. Et première surprise : je ne me serais pas attendu à croiser un roman estampillé « juvénile » dès 1967. Comme quoi, on ne peut jamais être sûr de rien. Mais ce sera guère tout. Le roman n’a pas l’air d’être un ouvrage majeur dans la bibliographie de Clarke, et son positionnement scientifique, bien que rigoureux, avec le temps, a sans doute pris du plomb dans l’aile. Allez hop.
Au tour de Roland Stragliati, maintenant, qui va nous dresser un nouvel inventaire de ses Lectures insolites.
Et pour être honnête, peut-être que j’éprouve une certaine fatigue, mais je trouve que cette chronique est un sacré bordel. On commence sur Algernon Blackwood pour enchainer sur les productions ésotériques de Conan Doyle en nous dressant des inventaires sans fin, évoquant un sujet puis l’autre ; c’est pénible à suivre.
Et sans autre transition qu’un saut de paragraphe, on enchaîne sur Bulande de Jean Briance. Et toujours pour être honnête, si cette chronique avait été mieux écrite et découpée, j’aurais peut-être fait un effort pour vous faire une retranscription précise de l’ensemble. À ce stade, je manque cruellement de motivation. Donc on passe.
Dernière section, toujours aussi dense, toujours aussi foutraque : il paraît que Marcel Thiry, aux dires de Stragliati, est un maître. Ok, je note. On sait jamais.
Allez, finissons en : Courrier des lecteurs !
Premier courrier : un certain Marcel Thaon [Psy auteur exégète de Philippe K. Dick, me souffle encore la formidable Hélène Collon, tout-petit-monde strikes again] fait le travail de la rédaction à sa place et retrouve le titre VO d’une nouvelle d’Asimov parue dans le numéro 159 mais pas identifiée. C’est pas banal. Le même lecteur, derrière, exprime son jugement un brin acide mais j’imagine relativement équilibré envers la revue, à la demande de la rédaction de cette dernière. C’est sympa, ce rapport au lectorat. J’aime bien.
Deuxième courrier : pot-pourri de remarques d’un fan enthousiaste convaincu qu’on ne fera jamais mieux que Fondation. Et qui trouve que Jimmy Guieu n’a rien à envier aux auteurs anglo-saxons. On se contentera de pouffer poliment et de passer à la suite ; on est pas là pour juger. Mais on juge un peu quand même. Disons que c’était vraiment une autre époque.
Troisième courrier : celui d’un jeune lecteur de SF s’attristant que le style des chroniques contenues dans la revue soient trop techniques et arides, demandant humblement à ce qu’elles soient peut-être rendues un peu plus accessibles. Ce à quoi la rédaction répond en note de bas de page : « on ne peut pas tous les trois ans repartir de zéro ». Dur.
Le quatrième courrier est suspect à mes yeux : maintenant que je sais grâce à un certain druide de la traduction – trésor national sur son temps libre – que certains des courriers de Fiction étaient manufacturés pour le bon plaisir de la rédaction par certains de ses propres membres histoire de faire du volume et de créer de la controverse artificielle à laquelle répondre pour se donner le beau rôle… Le style déployé ici est très précieux. À la limite de la parodie. Et de fait, si on ajoute à ça une acrimonie de l’auteur au nom si léger de J-C. Dinguirard contre le mauvais maniement présumé du terme de réalisme dans les notules introductives des nouvelles présentées dans Fiction, prétexte à une saillie franchement hilarante sur la fascination scatophile des auteurs, j’avoue que je mettrais ce courrier en tête de liste des suspects à la contrefaçon. Le fonds de l’affaire, ici, ce n’est rien d’autre que ce bon vieux sense of wonder, ses liens avec le divertissement et l’évasion. Débat éternel qui vaut le coup d’être sans doute rebattu à intervalles réguliers, mais peut-être juste pas comme ça. Ce que je retire de ce courrier, c’est surtout qu’il est très rigolo.
Cinquième courrier plus light mais assassin, en creux : « Bon bah puisque les auteurs français sont nuls et ne font que pomper les moins bons des auteurs américains, pourquoi vous n’iriez pas chercher du côté des soviétiques ? ». Une autre époque, qu’on vous dit.
Et les deux derniers courriers sont d’un tonneau similaire, mais à la saveur plus fade, alors je passe.
Et c’est fini pour aujourd’hui.
Fiction c’est bien. Je ne vais même pas prétendre essayer d’en dire plus.
On se retrouve très vite.
Au plaisir de vous recroiser.
En attendant, que votre avenir soit rempli d’étoiles. 😉
