
Cette année encore, la chanson qui va bien pour donner l’ambiance du Festival, avec Women Respond to Bass, de Sextile
L’année dernière était une franche réussite, alors on a décidé de se refaire plaisir lors de cette nouvelle édition du Festival Européen du Film Fantastique de Strasbourg. Bon, pour des raisons diverses et variées, notre programme initial de plus de 35 films s’est vu franchement raccourci, revenant à un planning final plus modeste de 28 films : la fatigue, la vie d’adulte et certains autres incidents un peu malheureux auront eu raison de notre ambition. Mais c’est pas grave, ça nous apprendra à nous tailler un emploi du temps un peu plus adapté l’année prochaine : peut-être un peu moins de pures découvertes et plus de rétrospectives, histoire de moins prendre de risques et de mieux encaisser les enchaînements parfois complexes de films vraiment particuliers.
Parce que vous allez pouvoir le constater, je vais devoir légèrement faire évoluer ma méthodologie de classement par rapport à l’année dernière. Si je vais garder l’idée de partir de ce que j’ai le moins aimé pour aller vers ce que j’ai préféré, je vais cette fois découper la progression de ma chronique en 4 parties plutôt qu’en trois : ajouter aux catégories classiques « j’ai pas vraiment aimé »/ »Mouais »/ »J’ai vraiment aimé » la catégorie « je déteste activement ce que ce film m’a proposé et il a fait grimper ma tension artérielle dans des proportions qui inquièteraient sans doute mon médecin ». Heureusement, ces films sont rares ; mais j’ai quand même envie d’en parler aussi précisément que possible.
Alors je vous propose de ne pas traîner.
Depuis le temps que je pratique activement mon goût pour le cinéma, j’en suis venu à croire très fort dans l’idée que le péché capital du 7e art, c’est l’ennui. Dans 90 à 95% des cas, de fait, je préfère très largement toute forme de ratage due à une audace mal calibrée à un ennui né d’une peur panique de tenter quoi que ce soit : je pense que même complètement planté, un film qui essaie de proposer quelque chose sera très souvent préférable à une recette remâchée à l’infinie dont tous les tenants et aboutissants sont tellement prévisibles qu’ils en deviennent aussi insipides qu’une tranche de pain de mie mouillée. Si je peux ressentir une terrible et violente frustration face à un film qui me dit des choses qui me déplaisent ou qui ne parviennent pas à exprimer quelque chose qui pourrait me plaire d’une manière satisfaisante, la plupart du temps je peux au moins respecter la tentative.
Ici, vous l’aurez compris, pour la première entrée dans cette hiérarchisation – très personnelle – croissante de mes séances du FEFFS 2025, on va parler de 5/10% qui font exception à ma règle : un film qui ne m’a certainement pas ennuyé, mais dont le propos et son organisation m’ont tellement fait tourner les sangs que je le déteste activement.
Et ce film, c’est Disforia, de Cristopher Cartagena, qui m’a probablement offert une des pires séances de cinéma de ma vie ; et pas seulement par sa propre faute. Parce que – permettez moi ce léger détour – il faut que j’en parle : certaines personnes ont perdu toute notion de civilité une fois passée la porte d’un cinéma. Je comprends volontiers qu’une ambiance festivalière, et particulier celle très bonne enfant du FEFFS, puisse suggérer une certaine légèreté et une exubérance contagieuse, provoquant des applaudissements groupés ou des rires plus débridés qu’à l’habitude. Mais il y a quand même une ligne de bienséance qui est franchie quand on se permet des commentaires à voix haute ou des discussions absolument pas discrètes au cœur de la salle ; je ne sais pas si c’est juste parce que ces personnes avaient oublié qu’elles n’étaient plus dans leur salon entre potes ou parce qu’elles voulaient faire les intéressantes, mais vraiment, il y a un cercle de l’enfer prévu spécialement pour elles : on s’en fout de vos vannes, gardez les pour vous, merci.
Mais bref, si ce n’était que ça. Pourquoi Disforia m’a autant mis en rogne ? Parce que Disforia est une purge nihiliste et voyeuriste, un torture-porn cynique dont la maîtrise technique ne le sauve absolument pas de ses infâmes défauts d’écriture. Très vite j’ai senti et compris que l’argument d’effondrement civilisationnel décrit au début de ce récit n’était qu’un prétexte logistique feignant et superficiel pour justifier l’isolement de ses protagonistes dans une maison perdue au fond des bois, sans réflexion plus profonde quant à la logique sous-tendant son ensemble : il fallait juste pouvoir avoir ce couple et son enfant dans un endroit retranché pour y mettre en scène une invasion ultra violente sans rien craindre d’une quelconque intervention extérieure. Et du coup, on se retrouve dans une Espagne en crise profonde, qui ne semble plus pouvoir rien matériellement fournir à personne, mais dont le réseau internet fonctionne au poil, permettant à sa tueuse sadique de retransmettre ses crimes en live en 4K. Je hais ce genre de films parce qu’il cache très mal ses pulsions les plus glauques sous un couvert superficiellement réflexif, sans jamais rien vraiment dire au delà d’une perception négative d’une prétendue « nature humaine » considérée avec dédain et fascination malsaine.
Elle vaut ce qu’elle vaut, mais ce film m’a évoqué une image très précise. Je sais pas si vous avez un jour en classe déjà fait cet exercice de pensée : « qu’est ce que je ferais avec 5 millions ? ». Eh bah il y a toujours un ado edgy dans le groupe pour répondre qu’il ferait créer un virus pour éradiquer l’espèce humaine à l’exception de lui-même : c’est cet ado qui a écrit ce film. Et c’était nauséabond de bout en bout.
Et dans une veine similaire mais pas trop, on retrouve Odyssey, de Gerard Johnson. Et là ça ira plus vite : c’est surtout qu’on se fait grave chier. Basiquement, on suit une protagoniste – pour ne pas dire héroïne – patronne d’agence immobilière au bord du burn-out, courant après toutes les opportunités de rembourser ses énormes dettes. Cocaïnomane, adepte déraisonnable du poker en ligne, narcissique, hypocrite, désagréable, ce personnage est assez abject. Et de fait, ça rend assez difficile de ressentir la moindre empathie pour elle alors qu’elle enchaîne les (très) mauvais choix tout le long du métrage, jusqu’à une fin qui m’a fait me dire que le personnage qui y intervenait aurait fait un sujet bien plus intéressant qu’elle. De deux choses l’une : soit ce film se veut être une dénonciation des conditions de vie dans le système capitaliste actuel et c’est raté parce que son personnage est puant, soit c’est une satire officiant une sorte de démonstration par l’absurde et c’est raté parce qu’on s’emmerde et que c’est assez compliqué de comprendre ce que le scénario est censé réellement exprimer. Tout ça sans parler des éléments du scénario et des décors qui sont présents sans aucune justification, créant autant de fausses pistes symboliques et d’impasses dans l’intrigue. On dirait que ce film n’est pas fini, qu’il en manque des bouts. Et puis de toute manière, encore une fois, la fin en mode « on vit dans un monde pourri où il faut manger avant d’être mangé », elle me gonfle, parce que je la trouve là aussi assez nihiliste et cynique.
Pour l’antépénultième film de cette liste à l’envers, je vais aller plus vite, parce qu’il s’agit du film de clôture du festival, Bugonia, de Yorgos Lanthimos, et qu’il va sans aucun doute sortir sur les écrans français dans peu de temps, et je m’en voudrais de spoiler d’une quelconque manière cielles qui voudraient aller le voir à ce moment-là.
Disons sobrement que je commence à comprendre qu’Ari Aster, ici producteur et co-scénariste non crédité de ce remake du film coréen Save the Green Planet ! de Jang-Joon Hwan sorti en 2003, est lui aussi un edgy boy convaincu de son immense intelligence, considérant donc très souvent les sujets de ses histoires avec pas mal de dédain et de condescendance. Ce qui l’amène toujours ou presque – de ce que j’ai vu de lui jusqu’à maintenant – à maltraiter ses personnages pour en tirer des satires abjectes et malsaines, mais sans rien en tirer d’autre que des ricanements cyniques. Il pointe du doigt des choses pour s’en moquer, mais n’a absolument rien d’autre à dire, tout en parvenant à se prendre extrêmement au sérieux quand même. Le genre de projet où j’ai l’impression que le but final n’est pas tant de participer à un projet de compréhension globale de l’humanité, mais surtout projeter une image de compréhension totale : « Moi je sais et le reste du monde est bête à manger du foin ».
En découle ici un film bavard et prétentieux, et surtout tellement arc-bouté sur l’ambition de paraître intelligent qu’il en oublie régulièrement de seulement réfléchir à ce qu’il raconte vraiment, accouchant finalement, à coup de twists nuls et racoleurs , d’une bouillie incohérente. Le tout, vous l’aurez deviné, avec un ton nihiliste. Y a comme un thème qui se dessine.
Notez bien que je suis le premier frustré d’autant me concentrer sur les aspects scénaristiques des films dont je parle jusque là, mais si les trois composantes de ce bloc « films qui m’agressent » sont techniquement tout à fait maîtrisés et proposent quelques petites audaces de mise en scène ou une direction d’acteurices impeccables, je crois aussi qu’une bonne lumière ne justifiera jamais qu’on passe au dessus de l’histoire qu’on raconte. S’agirait de se respecter et de ne pas sombrer dans un esthétisme béat non plus. C’est pas parce que c’est joli que c’est bon, si vous voyez ce que je veux dire.
Mais bref, assez de mauvaises ondes, on peut passer au bloc suivant : les films que j’ai pas aimés. Juste pas aimés : je trouve simplement qu’ils ont raté leur cible, ils ne m’ont pas agressé. Eux.
Et le premier d’entre eux, c’est Que ma volonté soit faite, de Julia Kowalski. Et c’est compliqué. Y a un concept central assez fascinant, avec une vraie voix singulière qui s’exprime ; une famille d’expatriés polonais qui bosse dans une petite ferme à vaches quelque part dans le terroir français. Et il s’avère que la fille de cette famille, qui bosse très dur sur l’exploitation et n’en reçoit pas beaucoup de reconnaissance, elle a semble-t-il hérité des pouvoirs de sorcières de sa mère, disparue il y a de cela des années, apparemment brûlée. Et ces derniers, au retour d’une femme à l’historique problématique dans le village, se réveillent de façon terrible.
Le souci principal de ce film, à mon sens, c’est qu’il commet l’erreur que commettent beaucoup de films faisant le pari de l’angoisse ou de l’horreur : il confond l’atmosphère et l’ambiance avec la lenteur. Ce métrage est à 50% composé de longs silences contemplatifs et de regards perplexes, tentant d’instiller du doute là où il aurait sans doute fallu un peu plus de clarté et d’agressivité dans le montage pour rendre réellement compte des atermoiements de l’héroïne. On tient avec elle un personnage complexe et touchant qui aurait pu vraiment m’intéresser si toute son évolution ne tournait pas encore une fois autour de l’éveil du désir féminin et des questionnements qui vont avec. Et de fait, on se retrouve avec un produit fini assez confus dans son message, pour ne pas dire moralement ambigu, terriblement alourdi par son rythme de vache neurasthénique. Pour en finir avec une touche de mauvais esprit, je dirais que malheureusement, c’est un film qui savait exactement d’où il voulait partir, mais ne savait pas trop où terminer. Et ça se ressent.
Puis, premier film vu pendant ce festival, The Rabbit Trap, de Bryn Chainey. Et c’est un peu la même chose, ici, formellement, ça confond la gravité avec la lenteur, avec ces foutus personnages qui ne posent pas assez de questions ; alors que notre couple central voit son quotidien dans une petite maison de campagne isolée de tout être envahi par eune adolescent·e étrange sorti·e de nulle part. On comprend au fil du métrage que tout ça est une gigantesque allégorie à rapprocher d’Alice au pays des merveilles en version cottage-core, avec un très bon travail du son et de sublimes décors, il faut le reconnaître ; le souci c’est que l’intrigue est complètement décousue et met vraiment beaucoup trop de temps à en venir réellement au fait. En résulte un film frustrant et assez hermétique, dans lequel on se fait malheureusement pas mal chier. Et c’est à nouveau dommage.
The Home, de Mattias Johansson Skoglund, lui, je trouve, tombe dans un autre écueil, et c’est celui du fantastique trop timide. Avec cette histoire d’un jeune homme paumé qui se résout à placer sa mère dont l’état mental commence à se dégrader en maison spécialisée, je crains que le réalisateur vise trop réaliste. Alors certes, ça donne quelques idées de mise en scène plutôt réussies pour représenter l’emprise posthume du patriarche violent de cette petite cellule familiale, mais fondamentalement, ça donne un film trop réaliste, n’osant pas assez assumer le cœur de son concept, et instillant une idée surnaturelle qui à force de superficialité, ennuie. On sent qu’il y a une volonté de bien faire et de dénoncer des problèmes sociaux, mais ça se mélange un peu trop les pinceaux, et c’est, je trouve, vraiment pas inspiré. Trop lent, encore une fois, trop long, et pas assez audacieux.
Problème inverse, d’une certaine manière, chez Junk World, de Takahide Hori, préquelle de Junk Head, du même réalisateur, ancien lauréat du festival (et que je n’ai pas vu). Pour le coup, c’est un film dont nous sommes sortis de la séance avant la fin, et très précisément à la fin du deuxième acte. Ma copine parce qu’elle détestait le film, et moi parce que ce deuxième acte m’avait gonflé et que je suis solidaire.
Je sais que c’est affreusement réducteur, mais ce film est terriblement japonais. Des blagues de cul qui sortent de nulle part, un côté très nawak assumé qui ici est trop mal dosé pour être sympathique, un rythme un peu trop frénétique, ça alourdit un film dont l’animation est pourtant sublime, je dois bien l’admettre. Ce qui m’a décidé à sortir, personnellement, c’est que ce deuxième acte, en dépit d’astuces de scénario et de réalisation franchement super bien foutu, n’est finalement qu’une grosse pirouette inutile : 30 minutes de film qui se terminent par l’idée, basiquement, qu’elles ne se sont pas vraiment déroulées. C’est meta, oui, c’est un peu rigolo, en soi, mais ajouté au reste de mes frustrations avec le film, qui essaie trop de choses de partout, tout le temps, j’avoue que je l’ai mal pris. C’était too much.
On passe maintenant le cap des films mouais, avec The Curse, de Kenichi Ugana. Réalisateur stakhanoviste, avec genre 9 films tournés les trois dernières années, un truc dans le genre, le présentateur de la séance – coucou Bastian ! – nous a prévenu : on est pas sur du grand cinéma. On est plus sur un cinéaste qui a une pile de scénarios chez lui et qui les met en boîte à la vitesse de la lumière, sans forcément un très grand soin pour le résultat final, tant que c’est fait. Mais j’imagine que des fois, ça peut quand même marcher : insérez ici un proverbe à propos des forgerons qui forgent.
Mon ressenti sur ce film est clairement à découper en deux parties : la première est trop lente et franchement ennuyeuse, le temps de la mise en place des enjeux de l’intrigue, trop empruntée, essayant trop d’émuler les classiques du genre ; par volonté d’hommage ou par flemme, je ne saurais dire. Par contre, la deuxième partie, dès lors qu’elle assume pleinement son côté fauché et grotesque, ainsi que son allégorie – pas très subtile, certes – sur la toxicité des réseaux sociaux, j’avoue qu’il s’y passe quelque chose de bien plus intéressant. On rigole bien, et la mise en scène trouve un véritable second souffle, avec un bien meilleur rythme et sa collection de plans et de séquences vraiment chouettes. Alors certes, le scénario est super mal foutu, très démantibulé, mais l’essentiel, c’est que c’est fun. Et moi j’aime bien le fun au cinéma. C’est très imparfait, mais au final j’ai de bonnes choses à en retenir.
Ce qui nous amène à Heart of Darkness, de Rogério Nunes, adaptation du roman éponyme de Joseph Conrad dans un contexte dystopique brésilien. Bon, obligé de le dire, même si c’est injuste, mais c’est comme ça : c’est Apocalypse Now avec une moustache et l’accent portugais. Le plus gros problème de ce film, sincèrement, je pense que c’est plus le manque de budget que le manque d’idées. J’en veux pour preuve quelques réels moments de bravoure, notamment toute sa séquence d’intro, absolument démentielle, qui m’a fait ouvrir très grand la mâchoire sous le choc esthétique. Alors voilà, c’est sans doute un peu trop lent, un poil trop mystique pour mon goût, mais y a du cœur, là dedans, et si je n’ai pas forcément tout compris, je ne peux pas dire que j’ai passé un mauvais moment. Au contraire. Là aussi, j’ai surtout des bons souvenirs simplement entachés par le côté fauché du métrage et les contraintes que cela suggère sur son rythme et la fluidité de son animation.
On peut maintenant passer à Trapped, signé par le réalisateur chinois Qi Zhang, ici sous son pseudonyme de Sagara. Et ça se joue sans doute à pas grand chose. L’idée de ce film, avec ses trois pauvres flics paumés dans une ville isolée et presque à l’abandon, seulement armés d’un revolver et de quelques munitions, contraints de tenter d’endiguer une invasion massive de gangsters, c’est de convoquer la figure tutélaire du western et de la mêler à une ambiance film noir, avec en plus la contrainte des limites thématiques imposées par le régime Chinois. Et de fait, si c’est dans l’ensemble franchement chouette et techniquement très maîtrisé, ça essaie d’en faire un peu trop à mes yeux, notamment lorsqu’il s’agit d’injecter des émotions dans le récit ; ça se fait au forceps et à coup de dialogues grandiloquents qui tâchent un peu dans le rythme par ailleurs assez efficace. Ce qui donne encore une fois un film un peu trop long et un chouïa trop dispersé dans ses enjeux, qui a du mal à bien centrer son ambition, et qui souffre d’une fin sonnant totalement fausse, frappée au coin d’une dictature qui refuse la moindre forme d’expression individuelle dissonante dans son système. Mais disons que quand on sait à quel point un film de genre de ce type peut être compliqué à produire dans ce pays, on se doit d’être un peu plus tendre avec ce qu’il nous propose. Là encore, imparfait, mais plaisant.
Ce qui nous amène à The Surrender, de Julia Max. Encore une histoire très personnelle amenée à l’écran par sa réalisatrice et scénariste, abordant les thèmes du deuil, de la transmission et de l’emprise, comme dans The Home, mais je trouve avec plus d’efficacité et de maîtrise. Tout du moins dans son excellente première moitié, centrée autour d’enjeux extrêmement concrets, autour du pur drame humain de la perte d’autonomie menant à la mort du patriarche d’une petite cellule familiale qu’on devine aussi soudée que disjointe, et donc fragile et très touchante. Le souci de ce métrage, c’est que si on a droit à un slow burn initial franchement réussi, nous donnant à ressentir tous l’éventail des sentiments qu’on peut ressentir dans des circonstances aussi difficiles que celles dépeintes, lorsqu’il passe le seuil de son aspect fantastique, il se perd et nous perd un peu en même temps. Il est évident qu’il y a dans le voyage symbolique effectuée par les deux protagonistes un ensemble de métaphores et d’allégories liées à la perte d’un proche se rapportant aux bilans introspectifs auxquels on peut se livrer dans ces moments difficiles. Le souci ici, c’est que ces métaphores visuelles et l’usage du fantastique sont un peu trop timides et aléatoires, virant par moment au grotesque un peu absurde, et ça gâche pas mal l’effet voulu. Demeure tout de même un film profondément sincère et pour l’essentiel assez inspiré, simplement pas assez affiné. Ça se joue à pas grand chose.
Maintenant, en ce qui concerne Kyma, de Romain Daudet-Jahan, je dois bien dire que mon instinct ne le placerait normalement pas aussi haut dans ce classement. On est sur un film que je qualifierais un peu taquinement de français. Basiquement, même au delà de la présence d’un casting et de thèmes adolescents, ce film est essentiellement un film pour enfants à mes yeux ; dans le sens où il présente une vision du fantastique – et de la SF – extrêmement naïve. Son scénario a des décennies de retard : créature étrange, vilains scientifiques, bande de gosses seuls remparts, enjeux ringards… Soit ce film a été écrit par quelqu’un·e qui ne voulait pas prendre de risque pour obtenir une bourse de financement auprès de vieux barbons que le mot SF effraie, soit il a été écrit sans une once de recherche autour de ce que la SF est devenue.
Mais il n’empêche que ce film a été fait avec du coeur, je vais pas lui retirer ça. Et il est je pense sauvé de la totale ringardise par deux atouts : le premier, c’est une volonté de faire un réel effort sur la mise en scène, avec quelques idées visuelles vraiment chouettes et un rythme assez impeccable. Le deuxième, c’est la prestation de Lucy Loste-Berset dans le rôle de Zoé, qui vole l’écran à absolument tout le monde dès qu’elle ouvre la bouche. Le truc, c’est que les dialogues de ce film sont pour l’essentiel bien trop écrits et assez niais, sauf pour Zoé, qui a été écrite comme une ado edgy complètement hardcore, sans aucun filtre. Et bon, ça peut éventuellement donner des instances un poil vulgaires et too much, mais le contraste avec le reste du métrage bien trop policé et sa véritable qualité de jeu au moment de les exprimer fait que ça passe incroyablement bien : rien dans le film n’a autant provoqué de réactions enthousiastes dans la salle pendant la projection qu’elle. À mes yeux, sa seule performance fait passer le film à un niveau supérieur, qu’il n’aurait probablement pas atteint autrement. Bravo à elle.
Et pour passer du côté des films que j’ai vraiment kiffés, on peut passer du côté de Dog of God, de Lauris et Raitis Abele. L’épithète premier pour définir ce film, ce serait généreux. Film d’animation tourné en rotoscopie, une méthode que je vais peut-être devoir commencer à respecter un peu plus étant donné ce qu’elle m’a offert récemment, il nous offre une sorte de trip doucement halluciné appuyé par une excellente BO aux tons de synthwave jurant délicieusement avec l’ambiance XVIIe de ce village letton perdu entre accusations de sorcellerie et invasion par un loup-garou soldat de Dieu. Encore une fois, mon vieux cœur fatigué de cinéphile aigri se plaindra de quelques soucis de rythme, mais dans l’ensemble, on a surtout un film iconoclaste et audacieux qui tente plein de trucs pour se faire plaisir et partager son enthousiasme pour son sujet. Et de fait c’est visuellement très chouette, régulièrement marrant, avec de la fesse plus provocatrice que vulgaire, et qui se justifie très bien dans son contexte : j’ai passé un vrai bon moment.
Ensuite, Noise, de Kim Soo-Jin. Le cinéma coréen a une qualité immense à mes yeux – du moins celui qui me parvient – et c’est celui d’être extrêmement énervé. Même pour un film d’horreur somme toute basique comme celui-là, il y a un sous texte politique à identifier, et je remercie l’introducteur de cette séance de nous en avoir fait part : en Corée, l’immobilier est un enfer en soi, et on peut facilement se retrouver dans un immeuble de piètre qualité, avec des murs et des sols d’une terrible finesse, créant des phénomènes sonores particulièrement épuisants. Et c’est là tout l’enjeu de ce film, nous racontant l’histoire d’une jeune femme cherchant à retrouver sa sœur, disparue de son propre immeuble, après avoir passé des semaines à se plaindre du bruit, tentant d’en identifier la source et de le faire stopper.
Je trouve que ça manque un poil de créativité et de cohérence dans l’ensemble pour vraiment être renversant, avec un traitement somme toute attendu de son sujet central, mais c’est vraiment sympathique et ça raconte, par dessus tout, une bonne histoire, avec un bon soin apporté à la bande-son et à ses décors. Pas le film de l’année, mais fort honnête. Chouettos.
Honey Bunch, écrit et réalisé par le duo Madeleine Sims-Fewer & Dusty Mancinelli : il y a pas mal de choses à dire. Je vous avoue qu’au début du film, c’était pas forcément gagné ; je trouve son intro un peu trop longue et chargée en une volonté d’atmosphère qui la ralentit. Heureusement, en dehors de ça, on a une super ambiance, avec une esthétique jouant sur une sorte de rétro futurisme situant le récit dans une sorte de mélange improbable mais hyper vivant entre toutes les décennies d’après-guerre jusqu’au années 80, ce qui confère à l’ensemble une sorte d’intemporalité éthéré qui fonctionne vraiment bien. On peut ajouter à ça un couple de protagonistes centraux super sympathiques, mariés à la ville et à l’écran, dont l’alchimie est palpable, fort utile à la prémice du métrage : l’homme du couple amène sa femme multitraumatisée par un grave accident de voiture dans une clinique spécialisée au fonds des bois pour une thérapie expérimentale révolutionnaire censée durer seulement quelques jours et lui rendre sa mémoire et sa mobilité.
Là où le film m’a séduit, au delà de sa grande générosité, c’est surtout qu’avec un tel point de départ, il aurait pu très facilement tomber dans des clichés vus et revus et donc un peu fatigué ; de fait, c’est ce que j’ai cru pendant un bon tiers du film, expliquant sans doute mes doutes pendant son introduction. Sauf qu’à un moment, ça démarre vraiment, et le scénario prend un virage incroyablement malin et extrêmement bien écrit. Et à partir de là, je dois bien dire que le film est un régal de tendresse maladroite et de dialogues aussi légers que profonds sur la nature polimorphe de l’amour. Peut-être quelques facilités çà et là, quelques petits soucis de rythme, parce que malgré tout je n’arrive toujours pas à me faire à l’élongation des standards du cinéma au delà d’1h40, mais l’essentiel est très largement préservé. Un film sincère, singulier et audacieux, porté par un duo central au diapason, c’est assez formidable.
Zéro, de Jean-Luc Herbulot ! Alors ça c’est une chouette histoire au delà même du film lui-même. Le réalisateur, d’origine franco-congolaise, est un fervent artisan d’une implantation durable de l’art cinématographique sur le continent africain, s’efforçant de tourner des films sur place, avec des équipes locales, pour en développer l’expérience, allant démarcher des investisseurs et des professionnels un peu partout afin de réussir à mener à bien ses projets, même fauchés ou incomplets. Je trouve ça super cool ; d’autant qu’avec ce film, il a réussi. On a par exemple Willem Dafoe en voix off et personnage central tout du long, et un chouette rôle pour Gary Dourdan, ce qui ajoute quand même pas mal de cachet au projet.
Et en plus, le projet en lui-même, en vrai, même s’il manque un poil de budget et que ça se voit, conceptuellement parlant, il est franchement cool : un américain en voyage d’affaires au Sénégal se réveille dans un bus avec une bombe attachée à la poitrine et se voit confier un téléphone et une oreillette bluetooth. Une voix dans son oreille lui explique qu’il a huit heures pour effectuer cinq missions, sinon boom. Et oui, sur le papier, c’est pas complètement neuf, je suis d’accord. Sauf que comme toujours dans ces cas-là, le seul fait d’installer ce concept à Dakar, avec des protagonistes américains perdus à l’étranger, ça change énormément de choses. Et du coup, au delà du petit film d’action-aventure nerveux évident que Zéro constitue, son réalisateur lui instille une charge symbolique franchement chouette, notamment avec un propos décolonialiste bien mordant qui fait grave plaisir. À noter que le film a été initialement tourné quelques années en arrière, et qu’il intègre dans son montage de véritables images d’émeutes populaires ayant eu lieu en Afrique pendant la post-production du métrage, rajoutant encore à sa clairvoyance et à la clarté de son propos. Un film qui fait plaisir par sa seule existence et qui en plus fait un super boulot. Très bon moment.
Deathstalker, de Steven Kostanski. Si je croyais au concept de plaisir coupable, on serait en plein dedans. Fort heureusement, je n’y crois pas, donc c’est juste du plaisir. Que vous dire ? C’est parfaitement con. Hommage total à la Sword & Sorcery vieille école, jusque dans le budget famélique et le casting à l’avenant : sauf qu’ici, on sait qu’on a pas les moyens de faire propre, alors on fait du sale maîtrisé. Alors voilà, c’est turbo fauché, mais ça donne du pastiche de qualité, avec une ambiance vieille série télé abonnée au Monster of the Week, sauf que là c’est toutes les dix minutes. Et quand on a pas les moyens de tourner une scène d’action efficace et nerveuse, on louvoie pour au moins la rendre drôle. C’est un délire nostalgique complet, farci de blagues potaches et plus ou moins malines, qui sait toujours jouer avec la limite pour ne pas verser dans le malaise ou le grincement de dents, qui sait même rester tendre quand nécessaire, arrivant même à glisser un hommage à Ray Harryhausen, en plus d’une probable vingtaine de références dont je n’ai pas choppé la moitié. Demeure que j’ai passer un excellent moment à rire avec le film et son équipe, qui s’éclate clairement à faire absolument n’importe quoi. Deux pouces régressifs en l’air.
Entamons si vous le voulez bien un petit détour involontaire mais fort sympathique par la sous-section documentaire de ce classement, avec Boorman and The Devil, de David Kittredge. Classique et efficace dans la forme, passionnant sur le fonds ; l’exploration de l’enfer de production et de tournage qu’a été le fameux Exorciste II : l’Hérétique de John Boorman, de sa génèse à son héritage, avec les interventions de tout plein de gens chouettes, dont Boorman lui-même. J’ai appris plein de choses, c’était cool, et je pouvais pas en demander plus. Et pour autant, bonus, étant donné que c’était clairement une déclaration d’amour sans ambages à un super réalisateur, ça m’a donné envie de voir et/ou revoir certains de ses films, et en particulier son Excalibur, dont j’ai pourtant un très mauvais souvenir. Le bilan est bon.
Et pour clore cette sous-section documentaire aussi vite qu’elle s’est ouverte : Silver Screamers, de Sean Cisterna. Le concept était trop solide pour échouer : un réalisateur en manque de moyens pour réaliser ses projets s’appuie sur une subvention du gouvernement canadien permettant de faire financer des activités de loisirs au bénéfice de retraités isolés en maisons de retraite. Et il engage donc une bande de séniors volontaires sur le tournage d’un petit court-métrage d’horreur, mettant à profit leur bonne volonté et leurs expériences variées dans tout un tas de domaines. Et que vous dire, c’est évidemment formidable. Tout le monde s’amuse, même quand c’est galère, y a des personnages sensationnels à suivre dans une sorte de petite aventure intra-ordinaire, c’est choupi tout plein, ça déborde de bienveillance, d’émotion et de bons moments, c’est super.
Repartons vers la fiction classique, avec encore une incursion du cinéma coréen, et The Old Woman with the knife, de Min Kyu-Dong. C’est pas un film dont il y a tant de choses à dire que ça. Classique et efficace dans bon nombre de ses aspects et de ses mécaniques narratives ; son gros point fort étant évidemment son actrice principale et le fait de lui avoir confié ce rôle. Lee Hye-young, 63 ans, incarnant une assassine experte, chasseuse de « vermines », la meilleure dans son domaine, et marraine d’une organisation tournant autour de son activité. Fan de Cohen le Barbare, évidemment, je ne peux qu’être fan d’une autre occurrence du concept de « ne te frotte pas à une guerrière qui a vécu si longtemps sans réfléchir à comment elle a fait pour survivre jusque là dans un monde si violent ». Peut-être que ça se prend un poil trop au sérieux, par moments, que ça met un peu trop d’emphase là où il aurait à mes yeux fallu peut-être faire plus léger, mais c’est plus une question d’humeurs et de goût que de qualité objective. C’est un vrai chouette film qui fait très bien son travail d’action poisseuse et engageante.
Dans un tout autre registre, une promesse rien que dans le titre : Lesbian Space Princess, film d’animation dirigé par Emma Hough Hobbs et Leela Varghese. Et comment dire. Ce petit film, c’est tout un poème… La princesse d’une civilisation spatiale lesbienne, introvertie et en mal d’affection, se décide à fuir sa planète et ses deux parentes lorsque son ex (toxique) se retrouve otage d’un gang de « Straight White Maliens ».
Disons le tout net, c’est de l’humour Adult Swim, trashouille, volontiers vulgaire et provocateur, mais à la sauce queer++. C’est violent, c’est un peu couillon, c’est parfois même un peu lourd, mais dans l’ensemble, c’est surtout une super petite histoire de découverte de d’acceptation de soi adaptée à la narration moderne voire post-moderne. Y a de la blague meta, de la blague fine, et des blagues moins fines, mais l’ensemble est quand même super bien dosé et parvient régulièrement à identifier la ligne à ne pas passer pour vraiment fauter.
Alors certes, en terme de militantisme, un public renseigné et un peu habitué aux luttes évoquées par le biais des antagonistes n’aura rien à apprendre et pourra même considérer que la lecture desdits sujets est un peu trop superficielle pour pouvoir profiter à fonds des ricanements narquois du film ; on est dans le B.A.-BA de l’activisme, pas dans une déconstruction exigeante. Donc il faut accepter qu’on est plus dans une comédie très potache et un peu cruelle que dans un réel effort de réflexion sur des sujets profonds. Une fois que c’est fait, franchement, je pense qu’on peut juste profiter à fonds d’une animation très chouette et d’un bon paquet de vannes qui font mouche.
Et pour encore changer de braquet, ici, j’ai envie de parler de Mārama, premier film de Taratoa Stappard, réalisateur néo-zélandais. Et c’est un film absolument remarquable, en dépit de ses quelques défauts, à savoir un rythme un peu haché – je sais, je sais… – et un propos un chouïa trop didactique. Mais ce ne sont là que quelques scories formelles mineures à mettre en balance avec l’excellence du reste, à savoir une déconstruction brillante du gothique britannique dans le cadre d’une charge décoloniale tout à la fois chirurgicale et explosive. Si si c’est possible.
Ce que j’adore avec ce film, c’est l’intrication des deux mondes du royaume-uni impérialiste et de la Nouvelle-Zélande colonisée au travers de la figure de son héroïne, ingénue d’ascendance maorie, conviée par un ancien colon britannique à le rejoindre en Angleterre pour qu’il puisse l’entretenir des identités et des destins de ses parents inconnus, et très vite obligée à travailler pour un autre lord de ses amis, lorsqu’elle apprend que son hôte initial est mort durant son trajet pour le rejoindre. De là commence ce qui pourrait ne ressembler qu’à un récit gothique classique, à coup de maison hantée et de présences fantomatiques ; sauf que non, et que quand le récit prend son virage décolonial, il le fait de façon magistrale, et surtout : furieuse. Et bordel, que ça fait du bien. Le réalisateur multiplie les symboles et les révélations en invoquant le combat perpétuel entre les traditions opprimées et les errements moraux des dominants au travers d’un bon paquet de scènes d’anthologies, chargées en grands moment d’émotion et de frisson. Un film important.
Et maintenant on attaque le gros œuvre.
TOP 5, BABY !
Premier super moment de ce festival et sans doute la raison pour laquelle j’y serais éternellement attaché en dépit de sa cinquième place : La Città Proibita, de Gabriele Mainetti.
Je crois que si j’ai autant aimé ce film, c’est parce qu’il réussit parfaitement la mission que la petite vidéo du réalisateur en intro assumait vouloir remplir, et que cette mission étant audacieuse, elle fonctionne d’autant mieux : une hybridation entre le film d’arts martiaux chinois et le film social italien (avec une petite touche de mafia).
À noter en premier lieu la performance exceptionnelle de Yaxi Liu, son interprète principale, doubleuse et cascadeuse baston dans le civil, que Gabriele Mainetti est allé débaucher lui-même pour pouvoir avoir une certaine cohérence entre le jeu et les chorégraphies de bagarre. Je ne peux que saluer ce choix, puisqu’elle crève l’écran à tous les niveaux ; et oui, en particulier quand il s’agit de tabasser du sbire. En lien avec ce premier point fort, lesdites séquences de tabassage sont formidables. Superbement rythmées, hyper créatives – provoquant à l’occasion les applaudissements enthousiastes de la salle – et prenant juste la place qu’il faut, rien que pour ça, le métrage vaut le coup d’être vu.
Mais on peut ajouter à ça la dimension plus humaine du film, avec ses dialogues ciselés et sa superbe maîtrise des émotions et du timing comique, notamment, enrichissant le film d’un propos allant au delà de son histoire de recherche et de vengeance. Alors oui, peut-être quelques légères longueurs et évidences un peu tardives à dévoiler sur la fin, mais c’est vraiment du pinaillage en regard de tout ce que l’équipe de ce formidable film a réussi à lui faire exprimer par ailleurs. Un vrai, beau, puissant moment de pur cinéma. C’était super cool ; le genre de film que j’aimerais revoir dans quelques années.
Numero quatro : Luger, de Bruno Martín !
Bon, je suis un peu gêné, parce que j’ai absolument adoré ce film, et je n’arrive pas à formuler un autre compliment que « C’est du Guy Ritchie, mais en Espagne ». J’aime pas faire ce genre de critique, même pour être gentil, parce que c’en est pas une. Sauf que bon… Certes, on est dans une zone industrielle mal famée de la banlieue madrilène (je crois), mais en dehors de ça… Des voyous pas très malins mais extrêmement attachants – mention spéciale au formidable Mario Mayo dans son rôle de la brute sensible – qui se retrouvent mêlés à une histoire criminelle bien au delà de leurs capacités professionnelles et cognitives, amenant le récit dans un crescendo narratif effréné, violent et cinématographiquement ludique, où on sent l’amour du cinéma et de l’équipe à travers chaque plan… Bah voilà, du Guy Ritchie. Du cinéma qui sent un peu la sueur, la connaissance de la galère et l’importance d’un réseau de soutien émotionnel solide. Du putain de bon cinéma qui fait se claquer la cuisse de contentement à intervalle régulier, qui refuse l’option de l’ennui et qui n’a que de l’amour à partager, même quand il nous raconte le pire.
Ah bah ça va en fait. Bref, c’est de la comédie crapulesque un peu noire mais pas trop, c’est fort fort chouette.
N°3 : Yadang : The Snitch, de Hwang Byeong-gug.
Des fois, c’est simple comme une bonne histoire bien mise en scène. Polar d’action un peu noir, avec crimes, trahisons, re-crimes et re-trahisons, alliances surprises et crimes de trahison, tout le tintouin ; à croire qu’il suffit parfois de bêtement raconter les choses dans le bon ordre et avec le bon rythme, et hop, ça fait un carton.
À noter d’abord, je pense, la rigueur du réalisateur qui s’est infiltré à ses risques et périls dans la pègre de Corée du Sud pour y apprendre un maximum de choses autour du trafic de drogue, énorme sujet politique sur place et injecter tout ce réalisme à son film ; ce qui est sans nul doute à mettre en lien, encore une fois, avec la plus grande qualité du cinéma coréen à mes yeux, à savoir le fait qu’il est turbo-vénère contre son gouvernement et sa corruption, et qu’il n’a pas de problème à lui en mettre plein la gueule. C’est bien simple, ce film est une démonstration éclatante de l’idée que le combat contre la drogue est une usine à gaz politique, uniquement là pour permettre à des institutions fatiguées de garder des ressources d’influence et de manipulation de l’opinion sous la main ; on ne lutte pas réellement contre le trafic de drogue, on lutte pour le maintenir dans un état politiquement profitable. *Signe amical de la main à nos propres institutions corrompues et impuissantes*
Mention spéciale également à l’interprète principal du film, monstre de charisme et de sympathie, dont la trajectoire entière dans le film est merveilleusement entière et organique, rendant toute sa progression fascinante et enthousiasmante à suivre. C’est malin dans l’écriture, efficace dans l’exécution, c’est formidable. Bravo la Corée.
N°2 ! New Group, de Yûta Shimotsu.
Là aussi, c’est très japonais, mais pour le meilleur. On est sur la quintessence du film d’horreur sociale, avec cette pyramide humaine formée sans aucune raison ni objectif conscient ou clamé, qui aspire tout le monde sauf notre protagoniste et quelques unes de ses connaissances, donnant lieu à des tableaux de gymnastique collective hallucinée et agressive traversant son lycée et le monde entier tout autour. C’est rempli de moments d’absurde aussi délicieux qu’angoissants, et on est en permanence sur une ligne de crète entre le rire et le grincement de dents.
Et au travers de tout ce marasme joyeusement frénétique et déjanté, transparaît tout doucement un plaidoyer profondément bienveillant et humaniste, nous enjoignant à ne pas céder à la pression collective, de quelle nature qu’elle soit, mais surtout au fatalisme et à la résignation. C’est hyper resserré, redoutablement efficace, d’une ironie mordante autant que d’une tendresse désarmante, c’est absolument formidable.
Et enfin, le coup de cœur. Comme l’année dernière, en le voyant je savais qu’il serait intouchable pour le reste du festival tant il coche à mes yeux toutes les cases possibles : La Valle dei Sorrisi, de Paolo Stripoli.
C’est bien simple, en dehors d’un tout petit petit creux de rythme à la grosse moitié du film, je considère que c’est un sans-faute. La grande force de ce film, c’est sa profonde originalité et sa capacité à surprendre sans jamais surjouer le moindre de ses effets. Avec un scénario de départ tel que celui ci, posant un ex-sportif désabusé et détruit par un deuil qu’on devine insurmontable dans une petite ville reculée le temps d’assurer le poste de prof de sport auprès d’une jeunesse désœuvrée, découvrant un de ces jeunes gens doué du pouvoir d’effacer la douleur des gens qu’il enlace, on pourrait d’attendre à beaucoup de clichés.
Sauf que non. Tous les écueils me semblent évités, et toutes les surprises fonctionnent. On a une histoire qui tombe pile à l’intersection parfaite entre matérialisme et allégorie, avec une polysémie merveilleuse des symboles qui offre une pléthore d’interprétations intersectionnelles merveilleuses, jusqu’à une fin en apothéose, d’une intensité rare et d’une beauté à couper le souffle. J’adore ce film parce qu’il est riche, généreux, intense, créatif, et par dessus tout, puissant. Il se passe quelque chose à chaque plan, et sa mise en scène, quoique sobre, nous en met plein la vue via une excellente direction d’acteurices et une écriture fine de tous ses sujets. On parle religion, diversité, isolement, deuil, famille, pouvoir, traumatisme individuel et collectif, spiritualité, et encore d’autres thématiques, sans qu’aucune ne semble abordée superficiellement ni sombrer dans la moindre pontification prétentieuse ou amphigourique. C’est juste un film profondément humain, avec tout ce que ça peut impliquer de touchant ou d’émouvant.
Absolument formidable.
Et un tout dernier détour, pour une mention spéciale hors-concours, avec Good Boy, de Ben Leonberg, clairement le film que j’attendais le plus de ce festival, et que je n’ai finalement pu voir qu’en dehors du contexte du FEFFS, pour des raisons pénibles à expliquer ici. Disons simplement qu’on devait le voir pendant le festival, et qu’en fait on l’a vu une semaine plus tard, expliquant en partie le délai de sortie de cette chronique.
Mais bref, pourquoi hors-concours : parce que doggo, et parce que délai, justement. La présence d’un bon chien en interprète principal de ce film me rend forcément terriblement biaisé, et en plus je n’ai pas pu vraiment intégrer ce métrage à mon classement dans la même dynamique que le reste. Sans parler du fait que j’aime beaucoup mon top 5, et j’ai pas envie d’en éjecter le moindre lauréat.
Parce que oui, la force de ce film, c’est à mes yeux de ne pas être qu’un gimmick, et si j’avais du le classer il aurait été dans mon top 5. En dehors de son choix logiquement fort mis en avant de centrer son intrigue et sa mise en scène autour de son formidable acteur canin, entraîné pendant trois ans par son maître et réalisateur, il y a une claire et nette volonté de soigner cette histoire ; qui a mes yeux fonctionne à plein.
Parce qu’il faut bien le dire, en toute honnêteté : si la performance d’Indy le chien est exceptionnelle de précision et de discipline, elle est fort habilement soutenue par un travail tout aussi précis sur la lumière, la mise en scène et le montage, tout étant pensé, et très bien pensé, autour de lui. Si ses expressions et ses mouvements sont impeccables et nous livrent les bons sentiments et les bonnes impressions au bon moment, c’est aussi par un usage très habile et malin de l’effet Koulechov par capillarité atmosphérique, et par un récit très resserré – 72 minutes – qui ne laisse pas beaucoup de temps à la moindre interrogation trop métaphysique.
Ce qui nous amène à l’étiquette « film d’horreur » du métrage, qui a mes yeux est sans doute un peu galvaudée. On a certes droit à quelques scènes un peu flippantes, à deux trois jump scares très bien foutus, mais la contrainte d’interprétation et la volonté assez claire de ne pas traumatiser la brave bête en multipliant les moments d’agression, même simulés, font que c’est la post-production qui joue le rôle de vilain esprit frappeur dans ce film, et c’est quand même un peu compliqué de se laisser totalement prendre au jeu à ce niveau là. Ce qui, personnellement, en y ajoutant le sujet central du film, à savoir, finalement, la perception par un chien dévoué de la maladie progressant dans le corps de son maître, m’amène plutôt à considérer ce film comme un drame existentiel, ou à la rigueur un film d’angoisse. Si j’ai ressenti des émotions devant ce dernier, c’est avant tout la tristesse et l’anxiété, et je ne considère certainement pas ça comme un signe d’échec. Au contraire, j’étais à fond dedans, et un peu ému par le drame très humain qui se déroulait devant mes yeux : parce qu’on ne mérite pas les chiens.
Donc ouais, pour un tel pari, c’était vraiment une très belle réussite. Un film finalement très honnête, et très chouette.
Et voilà qui conclue officiellement cet arc FEFFS 2025 !
Encore une très bonne édition. Je sais pas si j’ai vraiment besoin d’en rajouter.
Alors dans le doute, je ne vais pas le faire.
Merci aux équipes, aux bénévoles, pas merci à Ancel pour le sponsor à coup de paquets de bretzel offerts avant les séances, mais merci quand même pour l’argent qui permet à ce festival de vivre, ma misophonie est un maigre sacrifice face aux rares richesses cinématographiques qui me sont offertes, et merci à l’immense majorité du public qui sait se tenir dans la salle ou dans les files d’attente. On se concentre sur le positif, même si ça me condamne à un peu de passif-agressif.
Nan mais blague à part : vraiment un immense merci aux équipes, sans qui clairement, ce festival ne pourrait jamais se dérouler aussi fluidement et agréablement qu’il le fait.
À l’année prochaine avec un programme réduit pour cause de cinéma principal en travaux, si j’ai bien suivi.
Au plaisir de vous recroiser.
En attendant, que votre avenir soit rempli d’étoiles. 😉
