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La Planète de Shakespeare, Clifford D. Simak

Wake Me Up (Acoustic) – Aloe Blacc (extrait de l’album Lift Your Spirit)

En attendant mon dernier SP de J’Ai Lu, et ne sachant pas vraiment quand il va arriver, je suis obligé de partir sur des projets plus légers, plus courts. Histoire de pouvoir finir vite et enchaîner encore plus rapidement quand le moment viendra.
Alors : un petit Simak. Hop là. Quitte à devoir faire des choix, autant que certaines de mes options soient enthousiasmantes. Je n’ai certainement pas besoin de vous expliquer pourquoi je suis maintenant toujours content de pouvoir lire le travail de cet auteur sublime.
Même si bon, là, l’ironie est mordante : le bouquin il est pas mauvais. Mais c’est quand même le moins bon que j’ai lu jusqu’ici. Fallait bien que ça arrive. Après c’est du Simak quand même, donc on évite le pire ; il y a quand même des choses à dire.
Alors disons les.

Carter Horton est le seul passager rescapé d’un vaisseau terrestre envoyé à travers l’espace pour trouver une planète habitable. Suite à une avarie majeure dans son Navire piloté par une synergie de trois esprits humains travaillant plus ou moins en harmonie, il a été sauvé par Nicomède, son rustique mais diligent robot de bord, qui n’a pas pu faire mieux que de ne sauver que lui, laissant périr les trois autres membres d’équipages. Et les voilà qui débarquent sur une planète étrange, où ils rencontrent un certain Carnivore, non moins étrange créature, qui leur explique qu’il vient de dévorer – à sa demande – son ami humain, Shakespeare.

C’est un bouquin étrange. Déroutant, pour le moins. Et s’il n’avait été sa fin et quelques uns de ses éléments les plus explicites, j’aurais osé l’épithète « confus » ; je me contenterais plutôt de nébuleux. Très clairement, si je devais verbaliser le plus criant défaut de ce roman, je dirais qu’il n’est pas aisément accessible, à aucun niveau. Ça manque d’une intrigue claire, d’un axe évident autour duquel faire graviter l’ensemble des scènes et enjeux que nous propose l’auteur. Beaucoup de dialogues philosophiques, certainement pas dénués d’intérêts en eux-mêmes, mais comme trop finement rattachés aux événements du récit, ce qui donne du mal à s’immerger dans leurs interrogations, d’autant qu’elles sont formulées d’une manière très éthérée, au travers d’une multiplicité de prismes symboliquement très éloignés les uns des autres.
Ça donne, dans l’ensemble, une impression démantibulée, un terrible manque d’ampleur ; j’ai eu à plus d’une reprise le sentiment que la profondeur des questionnements de Simak au travers de ses personnages-vecteurs n’était pas méritée, qu’elle ne collait pas vraiment à l’urgence de la situation initiale dépeinte.

Mais le truc, c’est qu’avec cette ambiance volontairement épaisse, chargée de non-dits et d’inconnues, j’ai aussi vite eu le sentiment qu’on n’était de toute manière pas là pour l’intrigue ou la moindre réponse finale. C’est même assez explicitement dit par le triumvirat mental du vaisseau spatial au fil d’une de leurs conversations, au travers d’un de leur reproche adressé à l’espèce humaine dans son ensemble ; à force de technologies et de pensée mathématique, on pense trop en termes de finalités et pas assez en terme de parcours ou d’intuition pure du fonctionnement. Arc-boutés sur l’idée que tout doit avoir du sens, on en oublie parfois de simplement kiffer, de vivre les choses. Je dois bien admettre que ça me parle, et pas qu’un peu. Clifford D. Simak, ici, utilise la très jolie et frappante formule de « fétichisme de la compréhension ».
On serait donc dans une histoire qui fait elle-même la démonstration pratique de la théorie qu’elle s’efforce de verbaliser : dans le cas de cette théorie précise, c’est particulièrement casse-gueule. Et de fait, je ne dirais pas que c’est complètement réussi, mais c’est sans doute parce que tout corrompu par la société technologique dans laquelle j’ai baignée toute ma vie, dans laquelle « [on] se fiche de tout, du moment que les machines fonctionnent et que les équations sont justes », je ne parviens pas encore à suffisamment me détacher de mon paradigme d’existence pour le juger avec le recul suffisant, fut-ce au travers d’une œuvre de (science-)fiction.
Toujours est il que même si je ne suis pas forcément fan de la démarche, ou du moins de son résultat final, je la comprends complètement : toutes les histoires ne sont pas faites pour être complètement satisfaisantes ou expliciter clairement un message au travers de leur intrigue. Une intrigue à proprement parler n’est pas d’ailleurs totalement nécessaire pour produire un texte cohérent et pertinent. Ici, l’idée, c’est plus de nous présenter une sorte de tranche de vie, avec son poids d’étrangetés, d’éléments inexplicables et frustrants, aux côtés d’autres éléments finaux et satisfaisants.

On retrouve d’ailleurs toute la voix singulière de Clifford D. Simak l’auteur bienveillant et tendre par excellence, avec toujours cet adversité désincarnée et son absence radicale d’antagoniste, ces personnages foncièrement gentils et patients, résilients et plus prompts à la coopération qu’à la méfiance, y compris dans un contexte particulièrement propice à la défiance. Ça, je dois bien le dire, même dans un roman aussi complexe à appréhender, je trouve ça extrêmement réconfortant. Dans tout ce que j’ai lu de Simak, il y a toujours ce côté chaleureux et ouaté, qui fait que même quand je ne suis pas certain de capter l’intention d’emblée, je suis bien. Je demeure curieux et fasciné, déterminé à faire un effort, à comprendre de quoi il va vraiment être question. Il y a fort à parier qu’un texte pareil, avec un tel point de départ, écrit par quelqu’un d’autre – et je conserve le masculin volontairement – j’aurais été turbo soulé à vitesse grand V, à peine arrivé au tiers. Dans l’écriture de Carnivore, dans les réactions des autres personnages envers lui, ou dans les implications de tous les mystères se déroulant sur cette planète, il y avait une infinité de moyens de se planter violemment, à coup de cynisme, de nihilisme ou de pontifications pédantes.
Quant à cette dernière possibilité, je ne dirais pas que Simak s’est complètement prémuni de l’échec ; sa soif de spiritualité et de philosophie l’a sans doute amené à en faire un chouïa trop, par moments. Mais pour autant, pour le reste, je trouve quand même qu’il a réussi quelque chose d’un peu balèze. Il a su imprimer à ce récit singulier sa propre singularité, encore une fois. Et plus je vous en parle, en dépit de mon indéniable confusion au moment de le refermer, plus je me dis que merde, encore une fois, il m’a peut-être eu, ce saligaud. Peut-être bien qu’en dépit de tous les défauts bizarres que je dois « objectivement » lui reconnaître, ce roman réussit sans doute plus de choses qu’il n’en rate. Peut-être bien qu’on est dans le genre de lecture à emporter sur laquelle mon cerveau va revenir, encore et encore, parce qu’il s’y est malgré tout passé quelque chose.
Peut-être bien que Clifford D. Simak fait définitivement partie de ces auteurs tellement géniaux que même leurs œuvres mineures sont les majeures dont d’autres auteurices rêveront toutes leurs vies. Peut-être que la vie est injuste comme ça.
Peut-être.

Je ne suis sûr de rien. Ce bouquin contient autant de fulgurances que d’étranges moments de flottement et d’étrangetés ambivalentes. Ce bouquin tente des choses avec une audace et une cohérence respectables, même s’il ne réussit pas vraiment tout dans sa démarche de cassage des conventions. Mais ce bouquin, quoi qu’il tente et quoi qu’il fasse, il le fait toujours avec Clifford D. Simak qui tient le stylo. Et ça, mine de rien, ça change quand même beaucoup de choses. Du coup, même si je pense sincèrement que c’est le roman le moins convaincant que j’ai lu signé de son nom, il demeure que c’est un roman signé de son nom tout de même ; il fait plus de bien qu’autre chose, et même les silences confus qu’il provoque portent sa marque. Il y a du beau là-dedans, je veux lui reconnaître son mérite.

Au plaisir de vous recroiser.
En attendant, que votre avenir soit rempli d’étoiles. 😉

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