search instagram arrow-down

Si vous ne me suivez par sur les réseaux sociaux, où je suis le plus actif, vous pouvez être prévenu.e par mail à chaque article.

Rejoignez les 133 autres abonnés

Infos Utiles

Mes réseaux

Archives

Je suis une légende, Richard Matheson

Born for Greatness – Papa Roach (extrait de l’album Crooked Teeth)

Toujours un train à prendre demain, et j’ai été trop rapide à la lecture de Demain, une oasis pour pouvoir étaler sa lecture sur deux jours. J’aurais pu, il est vrai, me contenter de ne rien faire niveau lecture aujourd’hui, et de me reposer, mais ce serait mal me connaître : le fait est que j’aime trop les livres pour ne pas essayer d’optimiser mon programme.
Et donc, tant qu’à lire un bouquin rapide en passant, autant me faire un classique parmi les classiques. Pas tant par une quelconque soif de découverte, étant donné que Je suis une légende est quand même un bouquin trop connu pour ne pas m’avoir été spoilé un bon paquet de fois, fut-ce par procuration, directement, ou juste à l’occasion d’un agacement relativement mérité à l’encontre de l’adaptation de 2007, que j’avais vue à l’époque.
Et qui avec le recul me paraît être une assez terrible trahison du travail de Matheson. Sans aller jusqu’à détester le film, qui se contente finalement de recouvrir le scénario original d’une couche de peinture bien américaine et bêtement triomphante, je pense quand même qu’il a raté une très belle occasion de mettre en valeur les immenses qualités du travail de l’écrivain.
Puisque oui, exactement comme pour L’Homme qui rétrécit, je ressors extrêmement séduit par ce qu’a proposé l’auteur. S’il y a des classiques qui méritent amplement leur statut, Je suis une légende est sans aucun doute de ceux là.
Et ce pour pas mal de raisons différentes. Que je vais me faire un plaisir de détailler.

Et bon, d’abord, bien évidemment, c’est une fichtrement bonne histoire que nous propose ici Matheson, qui s’offre le double luxe d’être familière et originale tout à la fois ; dans le sens où certes, on est dans le thème du dernier survivant en lutte avec un monde devenu radicalement hostile, l’introduction est simplissime et ne nécessite pas de longue introduction, mais tout de même, Matheson le fait d’une façon singulière et terriblement efficace. On sent le scénariste dans son écriture, ne s’embarrassant d’aucun faux-semblant, d’aucune perte de temps d’aucune sorte : on va droit au but, avec une approche très matérialiste, pragmatique, s’intéressant presque plus à la logistique qu’aux sentiments de son personnage. Ce qui est logique, quelque part, et qui fait quand même brillamment office de présentation psychologique de ce dernier, puisque son esprit entier est tourné vers la survie et l’organisation de cette dernière ; la façon de (sur)vivre de Robert Neville est finalement le meilleur portrait possible que Matheson pouvait nous en livrer sans se perdre en tartines narratives.
Le récit est à l’os, et c’est pour le meilleur, je trouve, dans un contexte tel que celui d’un roman pareil.

Ensuite, exactement comme pour L’Homme qui rétrécit, je trouve l’enchâssement narratif et thématique extrêmement élégant, avec cette écriture en creux du deuil et de la solitude, où tout ce que raconte Matheson peut être considéré de façon purement matérielle ou de façon plus allégorique. En poussant un petit peu le potard de l’analyse et en débordant même un peu sur le territoire de la sur analyse, je pense qu’on pourrait coller à la va-comme-je-te-pousse le modèle Kübler-Ross des étapes du deuil sur la progression de Robert Neville au fil des pages, quitte à la faire dans le désordre. Plus sérieusement et sans aller jusqu’à abuser des potentielles idées d’applicabilité, il demeure que je trouve encore une fois le portrait de cet homme brisé confondant de précision et d’organicité. Si on peut un brin regretter la considération globalement datée faisant du sexe la finalité du couple au lieu de la tendresse, de la complicité et du partenariat, force est de reconnaître que ça ne prend quand même pas tant de place que ça à l’aune du roman entier, et que ça participe quand même de la superbe construction de notre héros qui, pour l’époque de sa rédaction, pour une fois, mérite amplement son statut à mes yeux. Tout simplement parce qu’en dépit d’une écriture très factuelle et intériorisée de son protagoniste, Richard Matheson parvient à nous en livrer beaucoup de nuances et de progressions, par le déroulé des faits ou par les reflets que son environnement peut lui renvoyer.

Et tout ça, évidemment, sans considérer sa conclusion, probablement un des twists conceptuels les plus intelligents et les plus légendaires de l’histoire de la littérature de science-fiction, notamment par sa dimension extraordinairement simple et évidente, et de fait rendu encore plus écrasant de violence symbolique. Et ça marche d’autant mieux que Matheson, tout à la sécheresse de son intrigue et de son concept, nous livre quand même en amont un travail science-fictif d’une qualité rare, avec tout son travail de reconstruction prosaïque du mythe vampirique, qui participe doucement mais sûrement de l’établissement discret des conditions pour que ce twist qui n’en est pas vraiment un fonctionne justement de cette manière. En nous vulgarisant patiemment tous les éléments les plus techniques de son intrigue, là où on pourrait ne lire qu’un écrivain qui fait mumuse et se la pète un poil avec toutes ses recherches scientifiques, Matheson nous piège doucement dans les conditions d’existence de Robert Neville. On se prend au jeu de vouloir appréhender tout comme lui exactement ce qui se passe, et quand il est temps de comprendre exactement de quoi il s’agit, il est trop tard. Et hop, en une page, quelques phrases, c’est plié. Et tous les sens possibles du roman se rebouclent les uns sur les autres pour une conclusion implacable, et à mes yeux absolument brillante de concision et de brutalité.

Comme je disais, certains classiques le sont pour une raison. Je suis une légende en est un parce qu’il a réussi un tour de force conceptuel et narratif impossible à reproduire en l’état dans une autre histoire. Il est de ces romans qui, je pense pouvoir le dire sans prendre trop de risque, ont posé un jalon indépassable dans l’histoire du genre et de la littérature en général. Je suis une légende est un roman dont on s’inspire ou qu’on imite en sachant pertinemment ne pas pouvoir en reproduire certains des aspects les plus spectaculaires et, de fait, légendaires. Simplement parce qu’il est, à jamais, le premier.
Alors mes connaissances étant ce qu’elles sont – c’est à dire éternellement lacunaires – peut-être bien que quelqu’un·e d’autre a réussi avant lui et que Richard Matheson a bénéficié à cet égard d’une certaine ignorance collective, c’est possible. Mais n’empêche que parfois, l’imaginaire collectif est injuste. C’est comme ça.
Bref. C’était bluffant, y a pas d’autre mot. J’avais beau savoir à quoi m’attendre, il demeure que j’ai fait encore une découverte de taille à propos d’un auteur qui gagne clairement à être connu. Y a des vieux auteurs qui méritent de survivre à l’épreuve du temps. Et je trouve ça chouette.

Au plaisir de vous recroiser.
En attendant, que votre avenir soit rempli d’étoiles. 😉

Laisser un commentaire
Your email address will not be published. Required fields are marked *