
Abandon à la page 205/285
Quelle honte d’abandonner encore une fois si proche de la fin. Mais que voulez-vous : quand ça veut pas, ça veut pas.
J’ai décidé de piquer ce bouquin dans la bibliothèque de mon père à l’occasion d’un mini-pillage de ses reliques, issues d’un temps où il avait mon âge et découvrait son amour pour la science-fiction ; d’abord parce que s’il était encore là depuis le temps, c’était sans doute pour une bonne raison, et surtout parce que je suis détenteur d’un exemplaire des Chroniques du pays des mères depuis un bout de temps, et qu’il me fait peur. Au delà de son volume conséquent, c’est surtout sa réputation qui m’effraie, comme pour beaucoup de ces classiques unanimement acclamés ou presque. Depuis le temps, je me connais, et je ne goûte que peu la prise de risque de devoir encore une fois me déclarer dans le camp de la minorité.
Et du coup, un recueil de nouvelles, signé de la même autrice, je me suis dit que c’était une bonne alternative ; une manière de me mouiller la nuque avant de plonger une bonne fois pour toutes dans le grand bain, de voir un peu de quel bois cette autrice était faite, pour me préparer au mieux.
Et là vous vous dites, logiquement : aïe, s’il abandonne un recueil à 80 pages de la fin, en plein milieu d’une nouvelle à laquelle il ne devait pas rester grand chose, c’est mort. Eh bah pas forcément, aussi étonnant et paradoxal que ça puisse paraître.
Le truc, c’est qu’effectivement, pour l’ensemble, au delà de simplement me décevoir, ce recueil m’a profondément déplu, et ce assez vite. Quasi instantanément, dans le style et dans les ambitions littéraires d’Elisabeth Vonarburg, j’ai senti comme un mur. Une opacité intentionnelle assez terrible, du même genre que celle que j’ai pu ressentir en lisant Les Quatre Vents du désir d’Ursula Le Guin, même si ma comparaison s’arrête factuellement à mon ressenti plus qu’à leurs talents littéraires propres, évidemment. Trop vite, donc, j’ai eu le sentiment d’être laissé sur le côté alors que passaient devant moi des récits dont j’étais incapable de saisir la moindre substance. Des histoires, des événements, des personnages, des mots les uns après les autres, formant des touts cohérents, mais terriblement nébuleux ; je n’ai jamais à mon corps défendant su seulement comprendre de quoi il était réellement question. Si des symboliques quelconques ou des messages devaient se cacher là-dedans, j’aurais été incapable, comme je le suis maintenant, de vous dire exactement quelles devaient être leurs natures. Stylistiquement, c’était assez irréprochable, et il y avait ponctuellement de jolis moments littéraires, au niveau des formules ou des images évoquées, mais ça n’a jamais été assez pour moi.
Et de fait, bien que je saisissais des concepts techniquement intéressants, comme certaines de leurs potentielles ramifications, j’avais toujours le sentiment écrasant et terriblement frustrant que l’autrice n’en faisait jamais vraiment rien, commençant ses histoires trop tard ou les arrêtant trop tôt, sans jamais sembler daigner m’exprimer même indirectement ce qu’elle y voyait d’intéressant à ses yeux.
À l’exception notable de La machine lente du temps, troisième nouvelle du recueil, celle me faisant fugacement croire qu’il allait enfin se passer quelque chose entre nous. Là, j’ai trouvé une histoire touchante et remarquablement construite, profitant sans doute d’un temps de développement plus long et plus soigné, jouant de son concept pour aller chercher quelque chose de plus ; ce supplément d’âme que je recherche dans toutes mes lectures. Si je me laisserais tout de même aller à y regretter quelques détails un peu gênants vis-à-vis de mes valeurs personnelles, je me dis que ces détails ne sont pas essentiels et même aisément rétractables, laissant toute la place à l’excellence de l’exécution du reste du récit, qui en constitue le cœur. Un petit bijou de mélancolie heureuse et d’optimisme dans un écrin de science-fiction exigeante et technique juste comme il faut : des nouvelles comme ça j’en prends tous les jours. Et c’est donc partiellement rassuré et un peu plus enjoué que j’ai repris ma lecture, espérant retrouver cette émotion singulière par la suite.
Sauf que derrière, une autre nouvelle terriblement longue avec un concept central prometteur mais exploité d’une manière me laissant confus et sur ma faim, notamment à cause d’une conclusion beaucoup trop énigmatique à mon goût. Puis une reprise de l’univers développé dans La machine lente du temps, dans une autre nouvelle efficace mais nettement moins satisfaisante, et voilà que le soufflé retombe. Le coup de grâce m’a finalement été donné par Dans la fosse, sur laquelle je vais devoir négativement m’étendre un petit peu plus pour expliquer à défaut de justifier mon manque de courage. Je déteste profondément les textes écrits avec la prétention de retranscrire un soliloque, où le personnage répète à voix haute les questions de son interlocuteurs pour y répondre, ou note tout ce qui se passe autour de lui au sein de son discours. D’abord parce que je trouve que c’est un procédé d’une feignantise terrible, et surtout parce que je ne peux pas les lire sans en être sorti toutes les trois phrases, trop conscient que je suis en train de lire un texte. Les bases comme les personnages peuvent être aussi solides que possibles, si la construction du récit ne fait pas le travail nécessaire à mon immersion en me faisant oublier l’auteurice de l’autre côté de la page, je n’ai pas l’énergie pour compenser ce que je considère, en tant que lecteur, comme une faute.
Et si à ce moment-là, je me suis dit que je pouvais simplement sauter cette nouvelle, je me suis surtout dit que ce recueil n’était simplement pas pour moi. Évidente incompatibilité d’humeurs, et surtout, fatigue anticipée à l’idée de me dire que j’allais devoir potentiellement répéter le processus pour les nouvelles à venir. Je confesse sans mal une certaine pusillanimité à cet égard, évidemment, mais vient un moment où il ne faut pas se faire du mal pour rien ; si j’ai raté un autre texte pouvant me plaire, tant pis, j’en ai déjà raté une infinité au fil de ma vie en choisissant de ne pas lire certains bouquins.
Ceci étant dit : je me dis que la nouvelle et le roman sont des exercices complètement différents. Et si avec les deux nouvelles liées qui m’ont effectivement plu, développant un univers partagé passionnant et prometteur, Elisabeth Vonarburg a su me convaincre pendant un temps, je me dis qu’elle pourra le refaire sur un temps plus long. Je ne désespère donc pas, à terme, de trouver la motivation à lire ses Chroniques du pays des mères.
C’est toujours ça de pris.
Au plaisir de vous recroiser.
En attendant, que votre avenir soit rempli d’étoiles. 😉
