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Fragment d’envie – 2

Le début est .
[…]

Dans un musée des horreurs, remarquable d’austérité et de dégueulasserie old school. À vrai dire, je suis presque déçu par l’absence de génie du mal m’attendant patiemment dans son fauteuil pivotant en caressant son chat persan ; les clichés ont la vie dure.
Non, personne ici, en dehors des pauvres bougres et bougresses isolé·e·s dans des grands fûts en verre, baignant dans un liquide clair et sirupeux. Je ne serais pas aussi stressé, je laisserais échapper un grand soupir de lassitude: ça doit faire la troisième fois qu’on me fait le coup, et c’est épuisant. D’un coup, évidemment, tout s’éclaire ; ce bordel n’est rien d’autre qu’une usine, auto-alimentée par sa propre rumeur.
Alors je dis « rien d’autre », comme si ça se faisait tous les jours dans le business des forces du mal ; non, bien entendu, ce genre de piège est plus ponctuel que régulier, mais c’est un truc qu’on voit souvent, simplement jamais à cette échelle.
C’est tout bête. Imaginez, z’êtes un gros vilain pas beau qui a décidé que la magie et les spectres, c’était l’occasion rêvée de vous faire de l’argent facile plutôt que d’aider votre prochain, comme votre serviteur : bon bah vous avez juste à faire quelques recherches. Vous vous dégottez un endroit où s’est passé une catastrophe, un drame humain quelconque, du genre incendie, mauvais traitements, meurtre, tortures, un bon concentré bien affreux d’énergie négative. Et au lieu de nettoyer le bouzin, d’apaiser les esprits restés sur place, vous les enfermez encore plus.
Un enchantement, ou pire, une reproduction – même minimale, hein – des événements responsables du bordel de départ, histoire d’empirer l’état d’excitation des esprits, un autre enchantement mineur par dessus histoire de récolter l’énergie négative qui en résulte, et hop ! Vous avez une dynamo à saloperie. Et après ça, une petite rumeur balancée au bon endroit ou dans les bonnes oreilles, avec juste assez d’entretien et de maintenance avisée, vous avez un parfait petit vortex à merdier ectoplasmique.
Débarquent alors des pauvres gamins en quête d’urbex mortel ou des enquêteurices du paranormal sans formation adéquat, et pouf, y a plus qu’à se pencher pour ramasser leur matos et/ou leurs cadavres encore chauds.
Alors là – parce que je vous vois venir, hein – on est pas exactement dans ce cas de figure, sinon, je me serais pas fait avoir aussi bêtement, en tout cas j’espère pas, ce serait la honte. Alors que j’explore précautionneusement ce qui doit être le quartier général de cette machinerie spectralo-bourgeoiso-maléfique, je bricole une hypothèse :
L’endroit a été conçu comme ça, au départ, il y a de ça quelques siècles. Ce qui expliquerait les spectres enfermé dans l’illusion,les assemblages immondes croisés au fil des étages et les personnes emprisonnées dans les fûts.
À y regarder de plus près, leurs costumes – ou du moins ce qu’il en reste – sont extrêmement variés. Un col à jabot ici, un pantalon à pattes d’eph’ là, des favoris, des grosses moustaches et des coiffures difficiles à défendre, le piège est exceptionnellement actif depuis des générations. Mais entre la poussière et la facilité avec laquelle j’ai pu accéder au saint des saints, je n’ai aucun doute : l’architecte n’est plus de ce monde depuis longtemps.
Même les plus puissants des mages ne peuvent pas résister éternellement à la faim de la Grande Faucheuse.
Et je commence à faire des phrases, le signe décisif que je dois vite me remettre au boulot.
Je trouve très vite la console centrale qui régit le fonctionnement de l’assemblage magique du lieu, bien planquée au fond de la pièce, dans une petite alcôve faisant aussi office de bureau, si j’en juge par l’amas bordélique de vieux papier jauni et sec, accompagné, comme il se doit, de plumes, d’encriers vides et de petites fioles scellées contenant des liquides à l’allure méphitique.
Je ne touche à rien, pour ne pas risquer la moindre contamination accidentelle, j’enfile même un masque sorti de ma besace, par prudence. Mais un regard attentif me raconte tout ce que j’ai besoin de savoir, confirmant mon hypothèse : le responsable de toute ce carnage était un mage extrêmement puissant, quoique fatalement dévoré par sa propre ambition. Je ne serais même pas surpris, à terme, de découvrir qu’il fait partie des personnes balancées dans un de ces fûts ou démembrées pour faire partie intégrante de la machinerie organique animant l’immeuble.
Alors, par professionnalisme et générosité, je vais vous faire un petit topo sur ce qui s’est passé ici, mais n’attendez pas de moi autre chose qu’une vulgarisation expresse, j’ai horreur de la technique.
Donc, notre mage noir – très noir – sans doute coupable des exactions primaires sur les pauvres spectres rencontrés plus tôt, et sans aucun doute propriétaire des lieux, a un jour décidé qu’il voulait plus de puissance, parce que c’était un salopard de bourgeois. Et donc, après avoir massacré tout son petit personnel dans le grenier d’une manière qui m’échappe encore, a passé quelques temps à faire enrager leurs esprits histoire de les monter à bloc.
Preuve en est, un immense pentacle de sang, tracé à même le plancher, sous le tapis gorgé de poussière, ainsi qu’un monstrueux stock de bougies dans la malle anciennement verrouillée dans un coin du grenier.
Une fois les spectres bien chargés en rage, môssieur la proto-liche a déménagé dans un autre de ses logements en prétextant sans doute le traumatisme du terrible drame dont il ne pouvait évidemment pas être le responsable, hein, puisque avoir de l’argent est une ultime preuve de moralité, mais je m’égare. Puis il l’a revendu au plus offrant, compensant la perte financière par une plus-value ectoplasmique de premier ordre. Au fil des ans et des disparitions accidentelles malheureuses, il lui aura sans doute suffi de revenir à intervalles réguliers pour récolter le fruit de sa récolte.
Sauf que, sauf que… Ça n’explique pas tout à fait la présence des fûts ni l’évidente nécessité des assemblages d’organes. Son plan allait clairement plus loin qu’une simple ecto-culture, aussi crasseuse soit-elle.
Tandis que je gratouille machinalement le cou de Louloute ronronnant dans mon cou, je pousse mon investigation un peu plus loin. Il va me falloir déranger un peu tout ce zbeul pour y voir plus clair, quitte à risquer ma santé. Cette affaire pue. Elle pue dans des proportions dantesques, même. Quand bien même notre proto-liche était extraordinairement puissant, au point de faire perdurer un enchantement de cette magnitude au-delà de sa mort, il y a dedans une logique ou un but qui m’échappe.
Je ressors la craie de ma poche et trace quelques enchantements basiques de protection sur la porte pour me donner encore un peu plus de temps avec les spectres enfermés dans la cuisine. Ainsi qu’un enchantement partiel de bouclier à côté du bureau, que je n’aurais qu’à compléter d’un petit coup de poignet rapide, au besoin. On est jamais sûr de rien.
Bon, procédons par ordre : qu’est ce que j’ai raté ?
Les mains sur les hanches, planté au milieu de la pièce, j’en fais le tour du regard en laissant échapper un souffle las. Un reflet lumineux m’éblouit un court instant et me fait remarquer un oeil-de-boeuf discret planqué au milieu des combles, tout au fond. Je m’en approche, curieux, obligé à me voûter par la disposition des lieux.
Et à première vue, rien de particulier à signaler : les toits de Paris, faiblement illuminés par un chiche soleil d’automne ; le reflet qui m’a interpellé n’est que celui renvoyé par une girouette en inox tout ce qu’il y a de plus banale. Tout ce qu’elle me signale, c’est que la journée n’est pas encore finie, et que j’ai bien fait de venir tôt le mâtin pour m’éviter les aggravations fantomatiques dues à la nuit. Faux espoir, donc.
Sauf qu’en faisant demi-tour, un peu dépité, le grincement du plancher sous mes pieds rend un son étrange. Le genre d’étrangeté qu’on ne repère qu’avec quelques années de métier : un écho trop long de quelques millisecondes, un frottement sinistre qui vous fait dresser les poils là où vous en avez en trop. Moi c’est la nuque et les épaules, chacun sa croix.
Mais fier et brave, je ne m’en laisse évidemment pas compter, rassurant même d’une caresse magnanime la pauvre Louloute qui s’est réveillée de sa sieste en même temps que moi, à l’écoute de nos instincts respectifs.
Je tapote le sol du talon, histoire de repérer un nouvel indice sonore, en vain. Je me laisse tomber à quatre pattes avec un grognement, tous les sens à l’affût. C’est le toucher qui me délivre du doute : là, un mince filet d’air un poil plus frais que l’atmosphère lourde et poussiéreuse du grenier. Quelques coups de phalanges rendant un son juste assez creux pour trahir une trappe habilement dissimulée, et nous voilà back in business.
Tenant compte de la puissance et de la malveillance de notre hôte, je subodore un piège, et je m’arme aussitôt de ma fidèle craie afin de tracer un petit enchantement de contention, histoire de nous éviter un accident bête, puis je rallume mon encensoir ; juste assez pour révéler d’éventuels tensions magiques à proximité du passage secret. Et bingo, un joli piège nécrotique bien dégueulasse : le doigt dans la mauvaise fente, et vous voilà transformé en steak tartare momifié.
Heureusement, je suis un professionnel ; quelques passes prudentes mais déterminées me suffisent à dénouer l’enchantement un peu vieillot dans ses mécanismes. Je peux donc sereinement, quoique tout doucement, glisser ma main entre les planches pour mettre au jour une échelle de bois menant à un tunnel me semblant se diriger tout droit vers l’immeuble voisin.
Bon, ça ne m’explique pas tout, mais au moins, je pense tenir là le moyen qu’avait notre grand vilain pour rendre visite à son repère secret sans avoir à défaire lui-même son illusion à chaque récolte.
Je m’apprête logiquement à descendre dans l’étroit passage, mais un grognement inhabituel provenant de ma nuque m’interpelle. Louloute me bave dans le cou dans des proportions poisseuses.

[…]

La suite (et fin) est .

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