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Un reflet de lune, Estelle Faye

Sweet True Lies – Beast In Black (extrait de l’album From Hell With Love)

J’ai beaucoup de mal à choisir mes lectures, ces derniers temps. Ou du moins, à me décider avec un réel enthousiasme, une envie viscérale et définitive. On peut mettre ça sur le compte de l’air du temps, sans doute, ou d’une certaine lassitude littéraire, peut-être ; il est vrai que j’ai lu tellement de choses renversantes depuis le lancement de ce blog avec une telle régularité qu’il devient difficile pour moi d’avoir la conviction de pouvoir découvrir des choses vraiment surprenantes. Alors heureusement, ce n’est qu’une passade un peu sombre, et il m’arrive constamment de me rendre compte que j’ai tort d’être aussi négatif.
Mais n’empêche que faire des choix dans ma PàL, en ce moment, c’est compliqué. Et par un twist cruel du destin, j’ai appris avant-hier qu’ActuSF allait devoir fermer ses portes, suite à une de ces bêtes et sournoises contraintes du terrible monde capitaliste dans lequel nous vivons. Sur le coup, au delà de l’évident et injuste drame humain que cette très mauvaise nouvelle suggère, je n’ai pris ça que comme une de ces informations nulles sur laquelle je n’ai aucune prise avec laquelle j’allais devoir composer. Après tout, je ne me suis jamais vu comme un ultrafan du travail de cette maison. J’en voyais passer quelques sorties, ponctuellement, avec un œil curieux ou plus rarement fiévreux, mais sans jamais vraiment me dire qu’il me fallait surveiller leur catalogue à tout prix pour n’en rien rater.
Sauf qu’en lisant le merveilleux billet de la camarade Yuyine à ce sujet, je me suis rendu compte qu’en fait si, d’une certaine manière. ActuSF était et est encore une maison très importante dans mon paysage littéraire. Sans ActuSF, pas de Dernière Geste. Pas de Poisons de Katharz. Pas de Meute. Pas de Testament. Pas autant de ces découvertes dont je ne parle pas forcément assez quand il s’agit de faire des recommandations passionnées, et auxquelles je ne pense même pas maintenant – en me sentant coupable, croyez le bien – à l’écriture de cette chronique, mais qui font partie intégrante de mon parcours de lecteur et de bibliophile patenté.
Sans ActuSF, combien de ces textes importants, essentiels, pour moi comme pour tant d’autres comme moi, nécessaires à la découverte de potentiels littéraires rares ou inexploités. Le réponse tient en un seul mot : trop.
Alors finalement, le choix a été facile, une fois imposé à moi : j’ai du ActuSF dans ma PàL, on va le lire, et on va en dire exactement ce qu’on en pense, comme pour tous les autres bouquins qui passent entre mes mains. On a les hommages qu’on peut, mais ça me semblait important de le faire ; peu importe que ce Reflet de lune et son Chet adoré – à prononcer « Cheeeeeeeeeeeeeeeet ! » avec une voix aigüe, si j’ai bien suivi – par tant de personnes m’ait fait peur tous ces mois à attendre coincé entre d’autres bouquins qui m’ont donné spontanément plus envie.
Peu importe que je craigne ne pas y trouver quelque chose pour moi, quand je sais pertinemment que tant d’autres ont pu y trouver quelque chose pour iels. L’important, c’était de le lire, jusqu’au bout, et d’en parler. De parler d’ActuSF, de leur travail et de leur positionnement éditorial.
Et c’est ironiquement assez amusant à constater, avec le bénéfice du recul : le destin peut parfois faire des clins d’œil taquins. Parce que je crois que ce Reflet de lune était parfait pour ça.
Si vous voulez bien pardonner cette intro beaucoup trop longue mais ô combien nécessaire à mes yeux : procédons.

Commençons par mon pinaillage habituel sans même passer par le traditionnel résumé, histoire de continuer cette chronique sur un ton à l’aune de son introduction ; ce bouquin, c’est, je trouve, techniquement un poil le boxon. Ça va à deux cent à l’heure, et une fois arrivé au bout, je ne suis pas certain d’avoir absolument tout compris aux tenants et aboutissants de son intrigue. Comprenez par là que j’ai quand même saisi l’essentiel, parce qu’Estelle Faye, c’est quand même une autrice solide, mais que j’ai peut-être trouvé que tout ça un tantinet trop frénétique pour en goûter toutes les implications imaginaires de façon exhaustivement satisfaisante. Voilà, ça c’est dit : j’aurais clairement aimé que ce soit un peu plus dense, avec quelques respirations ponctuelles pour rythmer plus tranquillement l’ensemble et m’y sentir plus confortablement installé.

Ceci étant dit : Chet. Comme je l’ai dit plus haut, la réputation de notre protagoniste du jour l’avait précédé, et mon côté analytique en avait assez peur. Tout à mon déficit émotionnel, j’étais très craintif, en ouvrant ce roman, d’arriver à son terme avec une moue dubitative, ne comprenant pas vraiment tout l’emportement à l’égard de son héros, tout singulier puisse-t-il être. À cet égard, j’ai très vite été rassuré ; quand bien même je ne peux pas du tout me compter dans les rangs de ses fans, n’étant pas personnellement sensible à ses charmes, je peux aisément comprendre pourquoi tant de personnes en sont. Et d’une certaine manière, finalement, en fait, bah, j’en suis, quoique d’une façon plus discrète, à ma manière.
Parce que la personnalité de Chet et la façon qu’a de l’écrire Estelle Faye annule complètement mon pinaillage initial. Si j’ai pu trouver, au long de ma lecture, que ça allait un peu vite, et que les éléments de l’intrigue pouvaient parfois être un peu confus, c’est précisément parce que tout se passe au travers des yeux de ce héros si délicieusement atypique dans mon paysage. Et je devine que c’est cette singularité comme son traitement, précisément, qui le rendent si précieux aux yeux de tant de personnes qui ont besoin de cette représentation, dans sa frontalité comme dans sa bienveillante pudeur.

Combien de fois ai-je pu, dans les lignes de ce blog, professer ma gêne à l’égard d’une écriture trop vulgaire ou crasse de la sexualité, du regard libidineux de certain·e·s auteurices, en écrivant trop sur un sujet complètement annexe à ce qui était essentiel au récit, au profit d’un voyeurisme malaisant, je ne saurais plus le dire. Or, comme à chaque fois que j’ai pu rencontrer une écriture de la chose réussie – saluons à cet égard La Séquence Aardtman récupérée par ActuSF chez Hélios, tiens – il me faut la saluer avec un enthousiasme inversement proportionnel à ma fatigue régulière. Si Chet est un héros extrêmement sexualisé, il n’est jamais écrit avec vulgarité ou voyeurisme, au contraire, mais avec une sensualité d’une classe folle, participant non pas d’une contrainte littéraire, mais de sa personnalité complexe. Là où tant d’autres auteurices auraient foncé sur l’occasion de jouer avec le trope du détective séducteur, Estelle Faye en joue pour construire un personnage aux antipodes de vieux clichés fatigués et fatiguant, presque comme une étrange malédiction, dénuée de tout jugement de valeurs.

Et à cet égard, là aussi, le côté parfois frénétique du récit, à la limite du fantasmagorique, s’explique d’autant plus par la démarche littéraire de cette autrice décidemment fort habile ; où la forme participe du fonds, et inversement. Je ne nierais pas avoir douté à quelques moments du récit, ne comprenant pas exactement où on en était, comme ce qui pouvait lier ses différents éléments les uns aux autres. Sauf qu’à force de voir les choses au travers de Chet, et de Chet seul, tout s’est mis en place avec une acuité assez impressionnante. Alors j’accepterai volontiers les procès en surinterprétation, d’autant plus que je suis sans doute mal placé pour le lire, mais dans son parcours comme dans son monde d’un Paris post-apo, j’ai trouvé un codage queer d’une actualité assez frappante, comme une réécriture à peine exagéré des turpitudes socio-politiques que nous vivons actuellement. Peu importent les circonstances, les victimes prioritaires et les bouc-émissaires seront toujours les mêmes ; et il est important de l’écrire encore et encore, pour que le message passe, même eune lecteurice à la fois. Et ce message est si essentiel que ça excuse bien quelques raccourcis techniques ou narratifs. Au contraire, même, ça les justifie en plein, à mes yeux, parce que ça rend compte en plus du ballotage incessant dont sont victimes des gens qui ne méritent certainement pas le quart de ce qui leur arrive.

Alors voilà. Est-ce que j’étais le public cible de ce roman ? Pas forcément. Par mes accointances et mes valeurs, un peu, d’une certaine manière, même si en ne s’arrêtant qu’à cet hypothétique message, le roman prêchait un converti. Par son parti pris narratif et ses choix de rythme, il s’est un peu compliqué la tache dans l’optique de littérairement me séduire, c’est sûr. Mais il n’empêche qu’au bout du bout, en prenant en compte tous ces éléments, il a su me convaincre à plein.
J’admettrais aussi, même si du bout des lèvres, que Chet m’a sans doute un peu séduit, lui aussi, ce pauvre bougre ; et que j’en reprendrais bien une part, de son gâteau de malheurs, aussi aigre-doux qu’il soit. J’aime bien les héros cabossés qui font de leur mieux vaille que vaille, conscients de leurs soucis et du chemin qui leur reste à parcourir. Je suis un peu touché par cette idée de savoir qu’on est pas parfait mais qu’on fait de son mieux, j’avoue.
Et maintenant, je reboucle sur ActuSF : je ne sais pas si une autre maison que celle-là aurait pu éditer un texte pareil. Si évidemment personnel dès qu’on connait un peu son autrice et ses passions, si singulièrement écrit et pensé, si frontal. Peut-être que si, peut-être que non, peu importe, au fond : l’essentiel c’est bien qu’il l’a été, et dans un écrin à sa mesure, qui plus est.
Faisons fi un instant des préférences personnelles et des favoris : il est important qu’une maison comme ActuSF puisse exister pour donner des voix à des auteurices comme Estelle Faye, et tou·te·s les autres comme elle. Mon côté optimiste et peut-être un poil idéaliste ne peut que rêver que la fin de cette aventure ne soit que le début d’une autre. Quoiqu’il arrive, je préfère comme toujours sourire à l’idée que c’est arrivé plutôt que pleurer que ce soit terminé.
Et quand je croiserai à l’avenir le logo ActuSF sur un bouquin d’occasion, j’y réfléchirai à deux fois avant de me dire que ce n’est pas pour moi : il m’a trop souvent donné tort, pour mon plus grand bonheur.
ActuSF est mort, vive ActuSF.

Au plaisir de vous recroiser.
En attendant, que votre avenir soit rempli d’étoiles. 😉

4 comments on “Un reflet de lune, Estelle Faye

  1. tampopo24 dit :

    Très bel hommage ! C’est la meilleure façon de parler d’eux, parler de leurs ouvrages !
    Alors je n’ai pas lu ce texte là d’Estelle, je crains trop qu’il ne soit pas pour moi dans les limites que tu évoques, mais je rebondis pour saluer ces reliées de l’éditeur qui m’ont permis de me faire plaisir en lisant du Del Socorro ou encore les romans de Robin Hobb sous son vrai nom. Une merveille ❤
    Comme toi, quand je croiserai un de leurs titres, j'hésiterai beaucoup moins.

    Aimé par 1 personne

    1. Laird Fumble dit :

      Merci beaucoup. ❤

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  2. T’as oublié des e à Cheeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeet

    Pas encore lu celui-ci mais comme j’ai beaucoup aimé Un éclat de givre, ca devrait pas tarder

    Aimé par 1 personne

    1. Laird Fumble dit :

      Je voulais pas trop en rajouter non plus, je voudrais pas qu’on puisse croire que je me moque. 😀
      Et du coup je vais m’intéresser à un éclat de givre. Logique.

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