
Savage – Defecto (extrait de l’album Nemesis)
Ma principale ambition avec ce blog et ces chroniques, et de fait, ma principale difficulté allant de pair avec elle, c’est de verbaliser au mieux mon ressenti. Aller au-delà de la simple expression de mon ressenti, pour ne pas me contenter de simplement faire la liste de ce que j’ai aimé ou pas aimé au fil de ma lecture ; l’idée c’est de réfléchir à pourquoi j’ai aimé ou non, de trouver dans mes sentiments les mêmes éléments mécaniques et techniques que j’ai pu trouver dans ce que j’ai lu. Puis de tourner les mots et les phrases dans le bon sens pour exprimer l’ensemble aussi clairement et lucidement que possible, avec suffisamment de recul pour pouvoir éventuellement donner envie de lire en dépit de ma frustration, ou faire comprendre que mon enthousiasme pourrait bien ne pas être partagé du tout.
Sauf que des fois, je me trouve bien embêté, parce que je me retrouve avec une palanquée de lieux communs et une page blanche. Des fois, je ne sais juste pas trop quoi dire qui ne me semble pas simplement évident ou couillon. Alors j’arrive souvent à louvoyer et à quand même sortir quelques idées me paraissant faire l’illusion le temps d’une chronique moyenne. À d’autres moments, je m’avoue vaincu et je sors des chroniques vraiment pas inspirées histoire de passer à autre chose.
Mais à d’autres moments, plus rares mais autrement plus gênants, je suis juste démuni. Parce que je viens de prendre une claque, et en dehors de « oh bordel qu’est ce que j’ai kiffé », je ne sais vraiment pas trop quoi dire. Et là, il faut que je me mette moi-même des claques pour essayer de passer outre ma joyeuse sidération pour essayer de rendre justice à la formidable expérience de lecture que j’ai eu le privilège de lire.
C’est le cas aujourd’hui avec Santiago, donc. Avec une motivation supplémentaire : c’est le copain Olivier Gechter qui m’a dans un premier temps chaudement recommandé ce livre, pour ensuite me l’offrir par surprise. Ce salopard (que je remercie encore une fois, bien cordialement).
Alors voilà, une intro très longue pour déjà vous dire que j’ai adoré ce roman, et que je ne promets rien quant à mes performances de chroniqueur pour en dire exhaustivement tout le bien que j’en pense. Mais je vais faire de mon mieux.
Santiago est une légende. On ne sait pas vraiment qui il est, d’où il vient, ce qu’il veut, ni même à quoi il ressemble, mais son ombre plane sur l’univers entier. Et sa tête est mise à prix. À un prix si élevé qu’il suscite bien des convoitises. Tous les chasseurs de primes de la Démocratie sont à ses trousses depuis des années, sans succès ; chaque échec ajoute d’ailleurs à la puissance de sa légende. Sebastian Cain, aussi connu sous le nom d’Oiseau-Chanteur, compte tout de même tenter sa chance, lui aussi, quitte à devoir frayer avec les pires crapules et risquer sa vie à chaque nouvelle planète visitée.
Ça part comme un western dans l’espace, basiquement. Très basiquement. Des chasseurs de primes, des tueurs à gage, des contrebandiers, des vilains, des un-tout-petit-peu-moins vilains pour vaguement compenser, une ambiance crépusculaire, on dirait de la crapule-fantasy, mais avec de la science-fiction. Le mélange est curieux, un peu déstabilisant, ça ne devrait probablement pas fonctionner, sur le papier – si j’ose dire – mais bon sang que ça fonctionne. Je crois que ça tient à deux aspects particuliers du roman : il est rempli à ras-bord de (très bons) dialogues, ce qui aide beaucoup à faire filer les pages à un excellent rythme, et il est extrêmement frontal et direct dans son fonctionnement.
Pas d’embarrassement avec un style superfétatoire ou de fausses prétentions esthétiques : Mike Resnick est là pour exécuter une mission, et le faire avec le maximum d’efficacité. Et bon sang, de l’efficacité, il en a à revendre. Pas une ligne perdue, tout vise à nous raconter les choses avec fluidité et clarté, avec juste ce qu’il faut de recul pour qu’on comprenne bien que nous sommes spectateurices d’une histoire qui nous dépasse largement, et dont les implications se révèlent insidieusement à nous au fil de notre découverte du récit.
C’est là, d’ailleurs, que ce roman trouve son génie, à mes yeux. Cela ne tient qu’à un élément, à savoir l’ajout du personnage d’Oprhée Noir, et des strophes de son épopée galactique, introduisant tous nos personnages, servant de liant fin mais extrêmement solide entre iels. Au travers de cette construction intra-diégétique des mythes de tous ces gens si atypiques et fascinants, l’auteur nous parle en filigrane du processus de création des légendes et récits qui construisent notre rapport au monde et à nous-mêmes, sans s’en donner trop l’air. Et par petites touches subtiles malicieusement planquées dans ce qui pourrait aisément passer pour un texte décérébré ou du moins décomplexé, tournant basiquement autour d’une féroce chasse à l’homme, Mike Resnick construit un récit hyper malin, beaucoup plus riche qu’il pourrait sembler au premier abord.
J’ai commencé ma lecture en dévorant ce qui semblait être un page turner frénétique un peu bourrin mais superbement maîtrisé, certain d’avoir deviné la fin sans en être frustré le moins du monde ; puis j’ai continué en oubliant même de penser à ladite fin, tant je me régalais simplement de lire les péripéties s’enchaîner avec autant de maestria et de décomplexion insolent. Et enfin je suis arrivé à la conclusion en constatant avec plaisir que j’avais effectivement vu juste dès le départ mais que je n’en avais plus rien à faire, parce que l’essentiel était absolument ailleurs. Mike Resnick, ayant si bien construit son roman, s’était permis de complètement en chambouler mes perceptions sans même que je m’en rende compte, faisant subtilement mais implacablement basculer ses enjeux profonds au fil de l’intrigue. Ce que je pensais être la fin prévisible n’était qu’une étape mineure dans une démonstration autrement plus importante.
Santiago est un bouquin qui me restera longtemps en tête. Ils ne sont pas nombreux, ces romans qui vous font oublier le défilement du temps en dehors de la petite bulle qu’ils créent autour de vous, qui savent vous faire baisser votre garde et vous prendre totalement par surprise. J’étais persuadé de savoir exactement ce que je lisais pendant 80% de ce roman pour me rendre compte que j’avais absolument tort pendant les 20% restants, sans jamais perdre mon absolue joie de lire quelque chose de si singulier. Alors oui, forcément, si on a pas ma lecture analytique forcenée, ça peut simplement passer pour du Firefly avant l’heure sous forme littéraire, un divertissement ultra-calibré, avec des dialogues qui claquent, des personnages bigger than life, une intrigue sobre et efficace, emballé c’est pesé. Et ce serait déjà très bon, parce que les lectures hyperefficaces, on en a besoin, je crois, à nos rythmes respectifs. Mais en plus de ça, on a un propos sous-jacent assez merveilleux sur la puissance des histoires et une réflexion politique hyper rafraîchissante que je ne peux pas développer parce qu’elle tient dans cette conclusion que j’ai tant aimée.
Et si la mienne vous frustre, vous n’avez qu’à lire le livre, et juger par vous-même.
Au plaisir de vous recroiser.
En attendant, que votre avenir soit rempli d’étoiles. 😉
