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Tonnerre après les ruines, Floriane Soulas

Casualty & Sensitive – MOTHICA (extraits de l’album Nocturnal)

Après mes découvertes d’une bonne partie du travail précédent de Floriane Soulas avec Les Oubliés de l’Amas et Les Noces de la Renarde, poussé par sa réputation prometteuse et grandissante, il n’était que logique à mes yeux que je m’empare de son nouveau-né avec Tonnerre après les ruines. Alors je précise « à mes yeux », parce que forcément, vu de l’extérieur, pour qui suit mes tribulations littéraires sur ce blog et sur les réseaux, ça pourrait sembler un peu étrange ; il est vrai qu’entre mes réticences tristement régulières quant aux choix éditoriaux d’Argyll et mes retours un poil mitigés sur le travail de Floriane Soulas jusqu’à maintenant, on pourrait se dire que j’allais aux devants d’une certaine déconvenue.
Sauf que qu’en dépit de mes incompatibilités d’humeur ponctuelles avec cette maison d’édition, j’ai toujours trouvé que leurs choix avaient le mérite d’être cohérents et sans concession avec leur vision, gage indispensable à la qualité éditoriale d’un texte confié à leurs soins. Et par ailleurs, si jusqu’ici j’avais trouvé les ouvrages de Floriane Soulas imparfaits, j’ai toujours eu le sentiment qu’elle faisait preuve d’une sincérité, d’une passion et d’un élan suffisants pour compenser mes pinaillages et parvenir à me convaincre à défaut de pleinement me séduire, in fine.
De fait, je me suis dit qu’avec cette nouvelle direction éditoriale et un contexte un peu différent, il y avait bien assez de chances pour que le potentiel que j’ai toujours senti chez cette autrice se révèle à plein, ou tout du moins suffisamment différemment pour me fournir du grain à moudre ; qu’enfin, je sois séduit autant que convaincu.
Et c’est l’heure du verdict. En toute humilité, bien entendu.

Dans un monde détruit, où les monstres côtoient les mutants et les difformités les maladies, Lottie et Férale travaillent comme pisteuses. Elles monnayent tant bien que mal leurs capacités de chasse et de détection des créatures auprès des gens en besoin de protection ou d’escorte ; en cela bien aidées par les connaissances de Lottie en médecine et herboristerie, héritées du monde d’avant, et celles de Férale, mutante singulière, aux réflexes et perceptions aiguisées. Leur destin déjà singulier bascule brutalement quand une mission doit les mener à la nébuleuse ville de Tonnerre, où Lottie semble avoir une histoire douloureuse, et où Férale pense enfin pouvoir trouver des mutants comme elle.

Commençons par ce qui m’a un peu fait peur, tout de même, à l’entame de ce bouquin : le post-apo, comme sous-genre, en soi, je suis plus très client, a priori. Pas que j’y sois particulièrement réfractaire, de base, mais bon, il faut bien admettre qu’en tant que lecteur assez assidu depuis une grosse dizaine d’années, forcément, j’en ai lu mon lot. J’imagine qu’on peut parler d’une certaine forme de lassitude, ou du moins d’une habituation diminuant à chaque fois le retour sur investissement ; j’en connais pas mal de tropes et d’intentions régulières, il est difficile de me surprendre.
Mais connaissant un peu mieux l’autrice du jour, désormais, et ayant pu discuter un petit peu avec elle aux dernières Utopiales, et notamment de ce que j’avais particulièrement aimé dans Les Noces de la Renarde – à savoir le soin apporté aux personnages – j’ai pu anticiper un peu mieux ses intentions, et donc éviter de me créer de fausses attentes. Sachant que je devais compter parmi les ambitions premières de Floriane Soulas l’idée d’écrire des protagonistes denses, complexes et cohérents, moteurs de l’intrigue et non l’inverse, c’est là dessus que j’ai concentré une partie de mon attention primaire ; le reste viendrait ensuite.

Contrat rempli : je voulais des personnages, j’en ai eus. La force première de Tonnerre après les ruines, ce qui m’a fait d’abord et avant tout passer les pages, ce sont bien elles ; puisque notre casting est essentiellement féminin. J’avais envie de savoir ce qui allait leur arriver, comment et pourquoi. En dépit d’une progression initiale un tout petit poil trop vidéoludique, faute d’un meilleur terme, à savoir « personnage A a besoin de macguffin B que personnage C lui dit d’aller chercher chez personnage D, mais en fait faut aller voir personnage E et lui rendre un service d’abord », afin d’explorer et exposer les premiers secteurs et enjeux du monde dans lequel Floriane Soulas nous invite, le rythme se trouve assez vite et ça file essentiellement très droit. En vrai, ce reproche est complètement mineur, étant donné la vitesse à laquelle j’ai été embarqué dans cette histoire, mais l’impression était trop prégnante pour que je fasse l’impasse sur la métaphore bancale qui s’est imposée à mon esprit à ce moment là.
Pour être totalement honnête, si mon absence d’émotion à la lecture a encore été un boulet à ma cheville, m’empêchant de trouver ma satisfaction ailleurs que dans l’excellence de l’exécution des intentions de l’autrice, je crois sincèrement qu’elle a réussi un truc très costaud avec la relation entre Lottie et Férale, jouant assez habilement sur leurs perceptions et sur certains non-dits pesants sur leur dynamique. Même si je dois aussi confesser ici que je n’arrive pas à déterminer si un spoiler balancé nonchalamment par l’autrice sur un des enjeux importants de ce rapport entre nos deux héroïnes ne m’a pas un poil empêché de pleinement profiter du jeu sur le doute et les interrogations en découlant. Impossible de deviner si j’aurais compris l’astuce aussi tôt que je l’ai fait en sachant justement de quoi il était question, et à quel point cela aurait pu affecter mon ressenti, dans un sens comme dans l’autre. Fallait que je le dise.

Mais ce qu’il faut que je dise, surtout, c’est que j’ai trouvé à me régaler de ce récit bien au delà de son intrigue et de la progression dramatique de ses enjeux. Parce que bon, à force, vous me connaissez un peu, quand même : j’aime beaucoup apprécier les livres que je lis au premier degré, qu’on me raconte une bonne histoire. Mais j’aime aussi, et surtout, qu’on me raconte quelque chose en plus de cette histoire. Qu’on me fasse comprendre qu’il y a un sens supplémentaire à aller extirper des intervalles entre les lignes. Et si j’ai vraiment kiffé cette intrigue remplie de sang, de larmes, de sueur, de dents surnuméraires, de tripes qui volent et de gens en galère dans un monde dégueulasse et injuste, j’ai, je crois, discerné un truc en plus planqué avec malice par l’autrice.
Et donc, pour moi, Tonnerre après les ruines, c’est une profonde et très réussie allégorie des luttes. Alors lesquelles précisément, je ne saurais dire, étant donné que je ne suis pas dans la tête de Floriane Soulas et que je ne peux certainement parler à sa place, mais bon, il me parait assez sûr de dire qu’il y a une grosse vibe féministe et émancipatrice là-dedans, et c’est bien entendu un plaisir. C’est d’autant plus un plaisir que le codage appliqué à la narration est parfaitement équilibré et ne vient jamais parasiter la narration ; je pense que pour quelqu’un qui ne fonctionne pas comme moi et veut juste qu’on lui raconte une bonne histoire, on ne risque pas l’overdose symbolique.

Alors certes, j’ai trouvé que l’ensemble était peut-être un peu trop chargé en descriptions et passages un poil longuets, mais je me dis aussi que cela participe à l’excellent travail d’ambiance et d’atmosphère mis en place par l’autrice, donc je ne peux décemment pas trop me plaindre : je ne me suis jamais ennuyé. D’autant moins, pour rester sur le sujet qui m’intéresse le plus ici, qu’à partir du moment où j’ai commencé à comprendre l’astuce, tout ce que je lisais fonctionnait sur deux plans se nourrissant mutuellement ; tous les choix opérés par Floriane Soulas, à mes yeux, renforçaient à la fois son intrigue, la force évocatrice de ses personnages, et les significations symboliques de son récit. Ce qui est un peu balaise, quand même.
Parce qu’on se retrouve du coup avec des scènes et des pivots narratifs très puissants, dans lesquels on peut se retrouver aussi intellectuellement investi qu’émotionnellement, en tout cas j’imagine. Et puisque les psychologies des personnages sont finement travaillées pour être aussi cohérentes que possible, les implications de leurs décisions font d’autant plus sens au niveau symbolique. Chaque personnage revêt de fait une sorte de rôle à l’aune d’une représentation à l’échelle de luttes passées ou à venir, où chaque revirement de situation peut facilement être lié à des phénomènes propres à ces combats sociaux.
Et lier une telle volonté allégorique à du post-apo, sans aller jusqu’à croire que c’est absolument inédit, conceptuellement parlant, je pense que ça marche du feu de dieu quand même, dans le contexte actuel, et c’est bien l’essentiel. Cette idée de montrer l’émergence d’un nouveau modèle, avec ce qu’il comporte de difformités et d’erreurs aux yeux d’un paradigme mourant après un choc monstrueux ; le côté inexorable et douloureux de cette évolution, indissociable d’affrontements entre communautés d’idées et d’intérêts, y compris au sein de ces mêmes communautés, ce que ça implique de sacrifices et de pertes affreuses… Bah ouais, ça tape hyper juste.

Du coup, le verdict, c’est que c’est excellent, Tonnerre après les ruines. C’est âpre et rude, ce n’est pas toujours joyeux, pour employer un euphémisme de classe 8, mais c’est d’abord et avant tout excellent. Alors ouais, je trouverais toujours de quoi pinailler parce que je deviens de plus en plus pénible avec l’âge et les lectures, mais je sais reconnaître le talent quand j’en lis. Ou tout du moins un talent avec lequel j’ai envie de faire du chemin. Et Floriane Soulas, du talent comme ça, je crois bien qu’elle en a un bon paquet à revendre. C’est pas rien, pour moi, de parvenir à écrire un bouquin aussi dense en thématiques, en enjeux et en personnages sans se perdre. Il y a là-dedans de vraies audace, une vraie vision et surtout une envie de faire les choses à fond ; une passion contagieuse et foutrement bien exécutée.
Je suis ravi de m’être écouté et d’avoir poussé la confiance plus fort que mes craintes.
D’autant que je me dis, là… J’ai constaté des progrès impressionnants, chronologiquement parlant, entre Les Noces de la Renarde et Les Oubliés de l’Amas. J’en constate de nouveaux avec ce roman.
Eh bah, ça promet pour le suivant, alors.

Au plaisir de vous recroiser.
En attendant, que votre avenir soit rempli d’étoiles. 😉

3 comments on “Tonnerre après les ruines, Floriane Soulas

  1. tampopo24 dit :

    Appréciant beaucoup les précédents travaux de l’autrice, j’avais déjà prévu de découvrir ce roman. Mais le fait que ta chronique, si riche et détaillée, le porte en avant alors que tu avais peut-être moins aimé que moi ses précédents romans, me donne encore plus envie !

    Aimé par 2 personnes

    1. Laird Fumble dit :

      Des trois romans que j’ai lus d’elle, c’est clairement celui que je trouve le plus abouti. Donc il y a de bonnes chances pour que tu y trouves ton compte, en tout cas c’est tout le mal que je te souhaite. =)

      Aimé par 1 personne

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