
The Wicked One – Black Veil Brides (extrait de l’album The Phantom Tomorrow)
L’inconvénient principal de faire des découvertes aussi variées que surprenantes, à force, c’est que ça me conforte dans ma démarche de virginité informationnelle vis-à-vis de mes tentatives plus que l’inverse. Comprenez par là que pour un Les plus qu’humains, j’ai droit à deux ou trois ouvrages autrement plus difficiles à apprécier, si ce n’est encore plus. Et si ces expériences malheureuses devaient logiquement m’amener à plus de prudence dans mes choix, c’est toujours ma curiosité qui l’emporte ; sans que je sache encore si mon ratio est réellement positif, après tout ce temps. On va dire que oui, mais c’est uniquement pour pas trop me poser de questions existentielles ; le contexte n’est pas favorable.
Bref : j’ai tenté L’œil et le doigt parce que c’était une vieillerie dans une collection dont je n’ai jamais entendu parler et que la couv’ m’a intrigué. Et franchement, c’était pas terrible.
Mais les raisons pour lesquelles je n’ai pas trouvé ce recueil particulièrement plaisant sont assez intéressantes, je trouve. Je vais donc vous en parler. Les années passent, mais pas les habitudes ; je vous laisse juge quant à savoir si ce blog en est une bonne ou une mauvaise.
N’ergotons pas : les nouvelles de Donald Wandrei ont affreusement vieilli à mes yeux. Ironiquement, pas tant pour des valeurs rétrogrades ou datées, comme souvent avec les plus ouvrages les plus anciens passant sous mes yeux, mais plutôt d’une façon… structurelles. Ce que je veux dire par là, me faisant repenser à certaines de mes idées abordées dans ma chronique sur La jeune détective et autres histoires étranges, c’est qu’il est parfois très difficile de se replacer dans le contexte adéquat pour profiter à fond de ce que l’on lit.
On a ici un écrivain contemporain de Lovecraft, dont les écrits datent d’il y a près d’un siècle, et dont l’approche est clairement marquée par des ambitions complètement différentes de celles qui animent aujourd’hui la majorité des auteurices d’Imaginaire ; il faut je pense pouvoir opérer un certain décalage mental pour pleinement apprécier ses intentions, et surtout avec quelle matière préalable il travaillait. À savoir, à mon humble avis : pas grand chose.
Le truc central de ce recueil, à mes yeux, qui le rend aussi peu passionnant à lire qu’intéressant à considérer dans sa valeur intertextuelle, c’est qu’il brille par une certaine forme de naïveté expérimentale. Franchement, en dehors de quelques unes de ses nouvelles – clairement les meilleures, d’ailleurs – Donald Wandrei fait œuvre d’une frontalité matérialiste assez déstabilisante pour des yeux comme les miens, aussi habitués à devoir trouver l’astuce symbolique ou métaphorique dans le fantastique que je lis. Dans la majorité de ces nouvelles, on a rien d’autre à lire qu’un concept. Même pas ses ramifications ou ses implications humaines, non, juste un concept, et son fonctionnement mécanique superficiel. Comme un enfant qui joue à raconter des histoires qui font peur, en se concentrant uniquement sur les rouages centraux lui venant immédiatement à l’esprit.
Les personnages n’existent pas en dehors de leurs noms et de leurs fonctions primaires au sein de ce concept, à savoir la plupart du temps être ceux qui racontent l’histoire et donc uniquement exister en tant que vecteur désincarné de cette dernière. Parler d’histoire est d’ailleurs assez généreux de ma part, puisque souvent, les nouvelles qui constituent ce recueil sont plutôt des illustrations allongées du concept né de l’esprit de l’auteur. Ce qui n’est pas un tort en soi, évidemment, c’est même assez amusant de lire certaines nouvelles très courtes consister en une très longue description d’une idée solitaire, voire même d’une scène tirée d’un concept potentiel plus large, sans même se préoccuper d’un éventuel contexte, d’une chute, ou d’un semblant d’intrigue.
Et franchement, si j’ai finalement été sauvé de l’ennui causé par un travail littéraire ne correspondant simplement pas du tout à mes canons modernes, c’est bien parce qu’en fait, cette distance temporelle rend l’ensemble assez fascinant. J’ai été un peu submergé par le sentiment qu’on écrit tellement plus comme ça de nos jours ; je ne peux pas m’empêcher de m’interroger sur le processus qui a amené la littérature, et a fortiori l’Imaginaire a simplement concevoir les choses si différemment, au fil des années. Et ça m’amuse pas mal, je dois bien le dire, d’en arriver à considérer un travail sans doute pionnier, d’une certaine manière, avec autant de distance, pour ne pas dire du dédain. J’ai beau me répéter, encore et encore, que le côté très fruste du travail de Donald Wandrei s’explique autant qu’il s’excuse, il n’empêche que je suis sidéré par l’impression de bâclage général. Les idées sont là, quasiment systématiquement, mais en dehors de deux ou trois fulgurances notables, l’auteur n’en fait rien d’autre que nous les montrer, sans jamais aller chercher plus loin que l’évidence plastique (en ça sans doute pas très aidé par une traduction un peu trop régulièrement aux strawberries, si vous voulez mon avis). J’ai tellement été habitué à mieux, dans les ambitions ou dans la réalisation, y compris dans des ouvrages que je considérerais volontiers comme médiocres, que je n’arrive pas complètement à intégrer les claires circonstances atténuantes plaidant en faveur de ce recueil.
Pour résumer : L’œil et le doigt, en dehors de sa nouvelle titre et d’une ou deux autres du recueil dont les titres m’échappent au moment de la rédaction de cette chronique, n’a probablement pas grand intérêt pour un·e lecteurice passionné·e d’horreur, en dehors d’une considération archéologique ou académique. C’est assez ennuyeux en dehors des concepts premiers, gâchés par une exécution extrêmement plate et mécanique ; je n’y ai personnellement trouvé qu’un intérêt pratique, me poussant encore une fois à remettre en perspective ce qui est et sera avec ce qui a été.
On remercie Donald Wandrei pour sa contribution à l’élévation générale du fantastique, notamment dans son approche la plus matérialiste, mais on le rappellera pas forcément à chaque anthologie. Sans rancune.
Au plaisir de vous recroiser.
En attendant, que votre avenir soit rempli d’étoiles. 😉
