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Les sentiers de la guerre T2 – Frères d’Armes, Erwan Bergot

Red – MOTHICA (extrait de l’album Kissing Death)

Comme j’avais pu le raconter à l’occasion de ma relecture et subséquente chronique des Sentiers de la Guerre, j’ai découvert très tardivement que ce roman très cher à mon adolescence avait donné naissance à des suites. Et forcément, curieux comme je suis, à partir du moment où j’ai constaté avec plaisir que mes souvenirs avaient plutôt bien vieillis, j’ai eu envie de voir ce que ces suites pouvaient donner, avec le double bénéfice d’une lecture totalement vierge, cette fois.
Et nous y voilà donc. Eh bah franchement, sacrée surprise. À plein de niveaux.
En avant marche, j’ai envie de dire.

Riss, Tiercelin et Morgan ont fait du chemin, depuis 1945 et la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Trois ans plus tard, les voilà en Indochine, alors qu’une nouvelle guerre bien différente fait rage, et que leurs destins se révèlent à eux de façons bien particulières. Si Tiercelin ne se voit qu’en soldat, Riss et Morgan se voient plus volontiers devenir respectivement un bon mari ou un cultivateur de thé. Mais la guerre a ceci de cruel qu’elle ne lâche jamais vraiment ses soldats, pas plus que leurs rêves.

Alors sincèrement, pendant quelques dizaines de pages, j’ai un peu flippé. Je me suis doucement préparé à abandonner cette lecture face à la crainte trop forte qu’à cause du contexte historique choisi par Erwan Bergot, Frères d’armes soit empoissé d’un affreux colonialisme, le genre de puanteur idéologique me faisant complètement décrocher du récit ou de la moindre empathie envers ses personnages. Et bon, honnêtement, par la force des choses, il y en a un peu, notamment dans l’attitude générale envers la population autochtone, ou dans les rêves de cultivation de Morgan ; faut bien une ambiance coloniale pour débarquer au Laos et mettre une plantation sous ses ordres comme si c’était normal. Tout comme il faut – il me semble – des restes de colonialisme pour faire parler bon nombre de personnages asiatiques avec un accent bien épais, en contraste flagrant avec le langage châtié de nos personnages français. Que ce soit dit, on a beau s’y habituer au fil de la lecture et considérer que l’auteur ayant fait une partie de son service sur place, et donc qu’il sait un minimum de quoi il parle, demeure qu’il y a un fond de paternalisme européanocentré qui sous-tend une partie du récit.

Nonobstant. Erwan Bergot, j’en suis désormais convaincu, était un très bon écrivain. Dès lors, ses intentions avec ce texte sont extrêmement claires à mes yeux ; et ce qui y est gênant à mes yeux modernes et quelque peu anachroniques est très régulièrement compensé par les ambitions littéraires de l’auteur. D’abord, il y a le fait assez clair et évident que ce roman veut, comme son prédécesseur, parler de la guerre à une échelle extrêmement humaine : il n’est pas question ici de faire le moindre macro récit, tout se passe à hauteur d’hommes et de guerriers. Et de fait, les considérations politiques plus larges, sans être évacuées, sont secondaires, pour ces hommes qui ne connaissent que la guerre, dont c’est le seul métier, la seule compétence. Ça n’empêche évidemment pas l’auteur de glisser quelques saillies anticommunistes, qui franchement, ne choquent pas tant que ça dans le contexte militaire évoqué au fil du récit, de même que des attaques plus surprenantes et assez réjouissantes contre le colonialisme, au travers de ces soldats et anciens colons tombés amoureux du pays et de ses habitants. Si on ajoute à ça une condamnation très claire de l’homophobie au détour d’un dialogue ou une défense forcenée de la fraternité comme valeur cardinale, franchement, on peut passer outre le virilisme regrettable de certains passages ou quelques unes de ses expressions les plus datées ponctuant le roman. On y retrouve au contraire tout du long cette équanimité du guerrier que j’évoquais dans ma première chronique, cette compréhension intuitive de l’idée que parfois, les gens ne peuvent réfléchir et agir qu’à l’aune de leur propre survie, sans mauvaises intentions envers leur prochain. C’est d’autant plus criant dans le contexte d’une guerre aussi cruelle et barbare que celle que semble nous raconter Erwan Bergot, où les soldats sont autant victimes que bourreaux, baladés entre ordres, contre-ordres, et intérêts censément supérieurs leur échappant totalement.

Et je me répète, je trouve qu’Erwan Bergot écrivait extrêmement bien, dans un style très dépouillé et factuel, mais néanmoins assez organique pour échapper à l’aridité. Au delà des considérations plus morales auxquelles je me suis fatalement accroché parce que c’est plus fort que moi, je dois aussi insister sur la qualité purement littéraire du récit à mes yeux. Dans la droite continuité du tome précédent, nos personnages ont toujours autant de souffle, si ce n’est plus ; sans doute aidés en cela par un récit beaucoup plus resserré et dense, puisque concentré sur une période plus courte et moins de points de vue. On a toujours le droit à quelques longues ellipses parfois annoncées avec un peu de brusquerie, mais elles font nettement plus sens et participent à l’ambiance singulière du roman et diluent intelligemment l’action.
Une action et des enjeux assez varié·e·s, d’ailleurs, ce qui est là aussi à mettre au crédit de l’auteur, qui parvient à tenir une très belle ligne de crète entre renouvellement et continuité avec son premier tome, réservant même quelques surprises assez malines et fort plaisantes en terme de pure intrigue. Pour tout dire, si j’ai été un peu hésitant au départ, j’ai dévoré l’essentiel du roman d’une traite, réellement absorbé et curieux de voir où tout cela allait mener, emporté comme la première fois. Certes, je n’ai pas non plus vu voler en éclats mes réflexes analytiques comme à d’autres trop rares occasions, mais on était pas loin. Il y a dans la bienveillance bourrue et couturée de cicatrices de l’œuvre d’Erwan Bergot, dans sa croyance farouche d’une fraternité guerrière sacrée, quelque chose qui me touche par delà les années.

Je crois bien que ce deuxième tome était en bonne partie meilleur que le premier. Peut-être qu’une part de nostalgie résiduelle m’a positivement influencé, mais j’aimerais croire que c’est d’abord et avant tout la réelle qualité littéraire du travail d’Erwan Bergot qui motive mes compliments. Stylistiquement et en terme de valeurs, je crois que ça colle avec moi, tout simplement. Ouais, j’ai un peu grimacé intérieurement, à certains moments, mais j’ai aussi souvent produit, si ce n’est encore plus, une moue appréciative pendant ma lecture. Disons que ça n’a quand même pas trop mal vieilli, globalement.
Et au pire, ça veut juste dire que j’ai un faible pour son travail et que j’ai quelques angles morts. Je peux vivre avec ça. Comme avec ma claire et désormais inexorable envie de conclure cette trilogie. Ce qui est franchement cool aussi.

Au plaisir de vous recroiser.
En attendant, que votre avenir soit rempli d’étoiles. 😉

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