
Trigger Discipline – Be The Wolf (extrait de l’album Empress)
Ça doit bien faire un bon paquet d’années déjà qu’on m’a parlé de la collection Dyschroniques (schroniques) et que je suis convaincu qu’elle sera du meilleur effet dans ma bibliothèque. Pourquoi j’ai mis autant de temps à m’en procurer et à en lire : mystère. Mais voilà que le pas est enfin franchi ; il n’aura fallu qu’une découverte fortuite en librairie d’occasion et un léger craquage passager.
Comme attendu : aucun regret, c’était vachement bien.
À noter en préambule une initiative qui d’après mon humble expérience semble propre à la maison d’édition du passager clandestin et que j’aimerais voir généralisé au moins pour les récits courts : un quatrième de couverture lacunaire se concentrant plus sur le concept porté par le texte que sur un résumé qui en dirait forcément un peu trop. Je conçois aisément que ce soit un goût très personnel, mais j’avoue que de mon point de vue de lecteur trop régulièrement semi-spoilé par des synopsis trop enflés me faisant perdre tout effet de surprise narratif ou thématique, lire une simple phrase synthétique me posant le contexte d’écriture et l’ambition de l’auteur, c’est juste ce qu’il me faut pour me donner envie et me rendre curieux. J’admettrais que pour des textes plus longs ou aux ambitions multiples, ça ne fonctionnerait pas. Mais ici, c’est top.
Et donc : « En 1962, Mack Reynolds imagine une société où la guerre est l’affaire des multinationales. ». Sobre et efficace, à l’image du récit qui nous concerne aujourd’hui. Un modèle parfaitement classique de contr’Utopie où l’auteur pousse certains potards des excès de la société dans laquelle il vit à fond pour voir ce qui en sort. Ici, on sent particulièrement une indéniable vibe proto-cyberpunk, avec cette domination des nouvelles castes issues du business et cette illusion de liberté individuelle, l’esthétique néon en moins, remplacée par une ambiance rétrofuturiste que ne renierait pas la franchise Fallout, par exemple.
Le Mercenaire fait partie de ces textes qui selon moi, valent surtout le coup d’être redécouverts pour leur valeur patrimoniale : un·e lecteurice un minimum accoutumé aux tropes de la science fiction dystopique ne trouvera rien de bien novateur là-dedans. Pour autant, il suffit de bien retenir que la novella est initialement sortie en 1962 pour capter qu’il a vu juste sur bien trop de points pour être écarté d’un dédaigneux revers de la main ; il peut pour moi faire partie de ces récits fondateurs un peu discrets, sans doute imparfaits, ayant l’immense mérite d’avoir défriché un terrain vierge, ou d’avoir a minima ouvert de nouvelles voies vers ce dernier.
Et là je dis « imparfait », parce que c’est plus fort que moi ; le fait est que je regrette sans doute un petit manque de volume pour venir étoffer le cœur dudit texte : les chapitres font office de coupes et d’ellipses assez abruptes dans une narration un peu taillée à la serpe, à l’image de son personnage principal. De ce fait, certaines idées sont un peu exposées à l’emporte-pièce, en dépit de leur qualité, ce qui crée un léger mais lancinant sentiment de frustration au fil du récit ; j’ai ponctuellement senti que certaines concepts qui auraient mérité d’être creusés un peu plus profondément étaient sacrifiés sur l’autel d’une certaine efficacité pour mener l’ensemble vers sa conclusion. Et fort logiquement, certaines idées semblent un peu être sorties du chapeau lorsqu’elles sont nécessaires, ce qui rend certains méandres du texte un peu raides.
Fort heureusement, ça se lit vraiment très bien, et l’essentiel est absolument préservé. Le mercenaire est à mes yeux bien plus rempli de qualités que de défauts, et ces derniers sont vraiment mineurs en comparaison : il est juste arrivé trop tard dans mon parcours pour que j’échappe à la vision de certaines de ses coutures. Si sa construction est perfectible à mes yeux, son propos central reste percutant de lucidité et de clairvoyance politique. Et ça, même quand ça manque un peu subtilité ou de finesse, j’adhère.
« Lorsque les futurs d’hier rencontrent notre présent…« , conclut Philippe Lécuyer, que je devine être le patron de cette collection, en introduction de cette fort sympathique novella ; ou le résumé parfait de ma motivation à toujours fouiller le passé pour y trouver des textes de ce genre, éclairant la trajectoire entière de la sicence-fiction, et de fait, sa force évocatrice unique. Il y a un plaisir singulier et puissant à voir s’exercer la capacité d’imagination unique des auteurices de toutes les époques, sachant nous toucher avec des forces fluctuantes mais toujours émouvantes, en nous prouvant si simplement mais si efficacement que si nos cultures évoluent, elles le font toujours dans un cadre familier. Les textes peuvent varier à tous les niveaux, mais ils auront toujours quelque chose à nous dire. Je ne me lasse pas de trouver ça absolument formidable.
Et quand ça se fait au travers de collections soignées allant chercher des récits obscurs avec ce qui me semble être un réel souci de qualité, c’est encore mieux.
En un mot : youpi.
Au plaisir de vous recroiser.
En attendant, que votre avenir soit rempli d’étoiles. 😉

Pas lu, celui-là.
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