
Et voilà la conclusion de la trilogie Fiction 202/203/204 que tout le monde attendait avec impatience !
Faites au moins semblant, par pitié.
Avec dedans la fin des Sables de Falun de Philippe Curval, et plein d’autres trucs.
Et comme je sens votre enthousiasme frétiller d’ici, je vais vous faire la grâce d’une trop longue introduction, on sait tous·tes pourquoi on est ici, à ce stade.
Alors allons-y.
Le règne de la norme, William Tenn
Voilà un texte pour le moins atypique. Cadré plus comme une réflexion anthropologique potentielle que comme une nouvelle de SF à proprement parler, j’avoue qu’il m’a pris au dépourvu. Et je crois que j’ai beaucoup aimé. Son postulat de départ me semble tout à la fois brillant et complètement con, sans que j’arrive à vraiment me décider entre un épithète ou l’autre, ni trancher dans une quelconque forme d’entre-deux. Ça tient presque du raisonnement par l’absurde, mais je trouve ça si bien verbalisé et intellectuellement articulé que je serais incapable de jurer des intentions premières de l’auteur, et ce même après une chute qui elle, pour le coup, verse dans le comique beaucoup plus frontal. Mais même là, en dépit de la morsure sardonique d’un auteur qui se moque clairement de son sujet initial et du chemin qu’il a lui-même pavé jusque là, je trouve toujours une forme de vérité, une émanation d’une partie de sa réflexion quasi philosophique… Je réserve mon jugement sur le sens à porter sur tout ça, mais c’est le genre de récit que j’aimerais pouvoir soumettre à débat, ne serait-ce que pour voir ce qu’il pourrait susciter comme échanges.
Trop cool.
Les amours d’Ismaël, Robert Silverberg
J’ai du mal à croire que ce soit ma première mention de Silverberg ici, alors que j’ai adoré quelques-uns de ses textes. Il faudra que je relise ce chef d’oeuvre qu’est L’oreille interne pour ce blog, un jour, tiens… Mais ce n’est pas le sujet, pardon.
Le sujet, c’est cette fort sympathique petite nouvelle qu’on pourrait presque considérer comme un anti-spinoff préquelle du Superméchant Débutant de John Scalzi, nous racontant l’histoire d’un dauphin un peu trop intelligent pour son propre bien, le malheureux Ismaël du titre. Toute la réussite de Silverberg, ici, c’est le cadrage et le jusqu’au-boutisme de sa démarche créative, nous faisant tout narrer par le protagoniste lui-même. Ce n’est certes pas nécessairement révolutionnaire sur le fonds, mais il y a du génie sur la forme, je pense ; c’est incroyablement bien calibré et équilibré, entre ironie sous-jacente et drame d’altérité palpable, avec une conclusion aigre-douce. C’est un peu brillant, en vrai, dans son genre.
La guerre des sorcières, Richard Matheson
Là aussi, j’ai du mal à croire que ce soit mon premier contact littéraire direct avec Matheson. Et pourtant.
J’aime bien le concept, voire même beaucoup, mais je trouve qu’il est cruellement sous-exploité. Basiquement, ça manque de chair, de contexte et de personnages ; c’est beaucoup trop court pour ce que c’est. On a une situation formidable à explorer, mais Matheson reste beaucoup trop en surface, et essaie un peu trop fort de faire du style pour que ça puisse me convaincre. C’est très cool, mais seulement potentiellement, c’est dommage.
Le mystère de Sa chair, Dean R. Koontz
Je sais pas trop quoi penser. Parce que de prime abord, on a un récit bien rythmé, bien mené, plutôt intriguant et bien foutu, doté d’une ambiance ponctuellement excellente, avec une approche assez originale d’un questionnement classique (qui n’est pas sans m’évoquer certains aspects bien singuliers du merveilleux Terra Ignota, et ça veut dire ce que ça veut dire, n’est ce pas). En plus de ça, on a une intertextualité assumée et frontalement développée, dont je m’aperçois qu’elle manque trop souvent à beaucoup d’œuvres de SF qui ont – je m’en rends compte seulement maintenant – le tort de faire comme si certains récits classiques et/ou importants/populaires ne les avaient pas précédés, ne leur répondant qu’à demi-mot, faisant trop confiance en leur lectorat pas forcément informé pour relier les points entre eux. Et donc j’ai beaucoup aimé la réflexion amorcée par Dean Koontz autour du mythe de la créature de Frankenstein, name-droppant Mary Shelley directement, à la fois comme influence et comme élément diégétique de motivation, pour ensuite prendre un contre-pied assez singulier à son approche initiale sans pour autant la mépriser ou la déjuger. Dans l’ensemble, c’est donc franchement cool en plus d’être très intéressant d’un point de vue méta-textuel, même si je pense que la qualité de la traduction n’était pas vraiment à la hauteur, pour une fois.
Et puis la chute arrive, et franchement, je la trouve assez naze. Parce que précipitée, assez gratuite et pas aussi inspirée que le reste du texte ; c’est pour le moins dommage. J’aurais sans doute pu la trouver plus satisfaisante si je ne l’avais pas trouvé si facile et superficielle. Peut-être qu’avec quelques pages de plus pour lui aménager un espace narratif plus pertinent ou avec une construction plus favorable à un atterrissage en douceur… Je ne sais pas. C’est excellent à 90%, mais les 10% restants sont très durs à laisser passer sans grimacer ou estimer qu’ils teintent négativement le reste du récit. *Moue dubitative*
Une enfant crédule, Zenna Henderson
Une histoire fantastique fort bien menée, qui monte en intensité avec une lenteur bien étudiée, sur le thème de l’imagination et du pouvoir qu’elle peut conférer. Somme toute fort classique, mais absolument maîtrisée. Et du coup, je n’ai absolument rien d’autre à en dire que ça. C’était très bien.
Les sables de Falun – Troisième partie, Philippe Curval
Eh bah c’était pas bon du tout. Le pire du pulp à mes yeux ; un récit qui s’égare en permanence au gré des hésitations et des pulsions de son auteur, qui ne semble jamais avoir réellement prévu la moindre continuité à son histoire. Ça part dans tous les sens, c’est un bordel complet qui ne cesse de s’aggraver au fil des paragraphes. Entre la multiplication hasardeuse des points de vue pour tenter de ménager un mauvais suspense, le moindre enjeu qui se fait la malle à l’ombre d’une complexité, les explications à rebours pour justifier des raccourcis narratifs scandaleux, un héros qui n’échoue – pour de faux – que quand ça arrange le scénario, je pourrais penser – avec pas mal de mauvais esprit, je l’admets – que ce récit a été pour partie improvisé afin de remplir les pages de ces numéros de Fiction en galère de textes pour le bouclage.
Je suis frustré parce qu’en fait, ce roman fait partie de ces textes qui multiplient les bonnes idées, mais qui les traitent avec une telle nonchalance et une telle superficialité qu’elles en deviennent caduques. Plutôt que de construire ses séquences et autres arcs conceptuels ou narratifs pouvant nous amener à apprécier la profondeur de ce qu’il raconte, Philippe Curval fait le très mauvais choix de systématiquement les justifier a posteriori, comme un gosse qui raconte des gros mythos et corrige son récit au fur et à mesure quand on lui fait remarquer les trous qu’il a laissé dedans. C’est infiniment pénible. Et si on ajoute à ça tous les méandres que prend le récit au fur et à mesure, perdant du temps dans des péripéties médiocres faisant office de dilution et de diversion jusqu’à un final tout mou et franchement moyen, cette expérience n’a vraiment pas été concluante.
Alors peut-être que mon câblage cérébral me faisant très peu apprécier la dispersion de mes lectures a joué un rôle négatif, c’est possible : si je ne lis qu’une histoire à la fois le reste du temps, ce n’est pas pour rien. Mais pour autant, on ne m’ôtera pas de l’idée que ce roman a été écrit comme il a été découpé ; j’ai eu l’impression tenace que ces trois parties ne se répondaient que très vaguement, à l’image de certains des dialogues et paragraphes de ce roman. Et en plus ça se prenait régulièrement au sérieux sans avoir fait le travail préparatoire nécessaire aux sorties de grosses phrases pompeuses sur la nature humaine et notre destinée dans le cosmos.
Je vais paraître un peu méchant, mais je veux surtout être taquin, là : j’aurais tendance à comparer ce texte à du Jimmy Guieu, mais en pas drôle.
Ensuite, nous avons droit à une chronique littéraire signée par Gérard Klein, sobrement titrée Réflexions sur les livres-univers.
J’ai cru comprendre que c’était la préface ou du moins un texte d’accompagnement du livre Admirations de Jacques Bergier. Et bon. C’est une réflexion un peu décousue sur la nature et les capacités de l’Imaginaire, qui, je trouve, pardon my french, se touche un peu la nouille quand même. Quelques fulgurances et verbalisations pertinentes au fil du texte, je l’admets sans mal, mais entre les phrases à rallonge, les expressions un brin pompeuses et l’appui initial sur la psychanalyse, j’avoue que c’est compliqué d’apprécier pleinement le trajet, étant donné qu’on ne sait pas trop d’où ça part ni où ça va, et que fondamentalement, ça ne raconte pas grand chose non plus. Au moins j’ai pu rigoler bien fort au moment où Gérard Klein regrette que l’œuvre de Tolkien ne soit sans doute jamais traduite en français ; ça me fera un contre-exemple précis à sa clairvoyance habituelle.
Pas le meilleur échantillon de son travail, je crois.
Puis Heidelberg ou le clivage, une chronique du voyage à la Convention annuelle de Science-Fiction par Dominique Courtois, sous forme de journal au jour le jour.
Et si je regrette une relative superficialité dans le traitement, pour l’essentiel extrêmement factuel et réduit aux simples événements dont l’auteur a été témoin, je trouve ce petit article absolument passionnant pour sa valeur historique. Il est assez fascinant de constater à quel point les choses ont finalement très peu changé depuis cette année 1970, en dépit de l’impression de l’auteur, ou de ses souhaits projetés sur la réalité, je ne saurais dire.
Il est en effet assez amusant de lire la politique déjà être considérée comme une tierce partie de la production science-fictive, avec des auteurs voulant s’en emparer et d’autres se mettre à distance ; de la même manière qu’il est assez ironique de lire un acteur du fandom de l’époque se réjouir de voir la Science-Fiction enfin arriver à « l’âge adulte » en s’internationalisant, et en se fondant dans la littérature générale aux Etats-Unis. N’ayant qu’une vision très étriquée de l’époque, je ne saurais pas dire si l’enthousiasme exprimé par Dominique Courtois à l’égard du fandom naissant en France était justifié ou non, mais j’avoue que son optimisme m’a un peu fait mal au cœur, tout comme son idée d’une SF devenue « adulte et séculière » ; il y a là une autosatisfaction que je trouve malaisante.
La chronique se termine sur le palmarès (tronqué) des Hugo remis lors de la Convention, l’auteur se concentrant uniquement sur le prix du récit long (remis à Fritz Leiber pour Le navire des ombres) et celui du magazine, remis pour la deuxième année consécutive à Fantasy and Science Fiction « (édition originale de Fiction) »[Je ne comprends pas ce que le contenu de ces parenthèses veut dire]. C’est un peu dommage d’en rester là, je trouve.
Et pour finir, deux chroniques de Jean-Pierre Andrevon, consacrées à la télévision et la bande dessinée : Tout spliques étaient les borogoves et La cité des eaux mouvantes.
L’adaptation d’une nouvelle de Lewis Padgett, pseudonyme de Kuttner et Moore, c’est le moins qu’on puisse dire, ne recueille pas les louanges d’Andrevon, pas plus que le texte original. Il n’est nul besoin de m’étendre : je n’ai ni besoin ni envie de retrouver ce téléfilm pour me faire mon avis, ç’a l’air chiant comme la pluie.
Après un long mais salutaire état des lieux de la SF en BD, Andrevon en vient à la chronique de l’album du titre. V’là t’y pas que c’est du Valérian et Laureline de Linus (pseudonyme de Christin) et Mézières, hey. Et bon bah pas vraiment de suspense, son avis est ici autrement plus enthousiaste, notamment envers le travail de dessinateur de Mézières.
La BD reste pas ma came, mais avec de genre d’avis positif à rajouter à la longue liste de ceux qui existent déjà, je sais que je rate définitivement quelque chose avec cette série en particulier. Je me laisserais peut-être tenter, un jour.
C’est définitivement très cool de creuser les Fiction jusque dans leurs avis critiques ; ça nourrit encore ma relative connaissance de l’époque et ma curiosité d’en apprendre toujours un peu plus. Formidable. Un excellent numéro, au demeurant, nonobstant la très médiocre conclusion des Sables de Falun. J’avoue que je suis extrêmement déçu ; pour une première lecture de roman dans ce médium, c’est vraiment pas au niveau, je trouve.
Mais il n’empêche que ma détermination reste intacte pour continuer à creuser cet infini trésor de vieilleries passionnantes ; même quand elles sont nazes elles ont des choses à m’apprendre. Trop bien.
À la prochaine, donc !
Au plaisir de vous recroiser.
En attendant, que votre avenir soit rempli d’étoiles. 😉
