Déjà la septième série noire, diable que le temps et les abandons passent vite. Je ne vais pas vous faire l’injure d’une intro trop longue, tout le monde sait pourquoi on est là, et de toute façon, j’explique tout pour chaque ouvrage individuel au fur et à mesure.
Hop là.
Les Disparus de Blackmore, Henri Lœvenbruck
168/551
Je voulais une lecture légère et pas prise de tête, alors que je me suis enfin décidé à me plonger dans ce bouquin que j’ai acheté à sa sortie en poche, à la fois par pure envie et par sympathie envers son auteur, quelques fois croisé sur les réseaux.
Et je tiens à dire en préambule que je n’ai pour ainsi dire rien croisé de rédhibitoire dans cette lecture, contrairement à la majorité de mes abandons. Je n’ai trouvé aucun réel problème majeur qui m’a fait me dire que je n’avais pas envie d’aller au bout. Non, ce qui m’a fait craquer, c’est plutôt une sournoise accumulation de petits griefs qui individuellement n’auraient été qu’un de mes traditionnels pinaillages ; les marques de ma nuance au sein d’une appréciation globale. Or, ces petits griefs, à force de se répéter et de se suivre, ont eu raison de ma patience et de ma curiosité.
Si sur le papier, un duo d’enquêteurices tel que celui constitué par l’auteur, à l’aventure sur une île étrange, investiguant un mystère non moins étrange, c’était tip top. Sauf que, sauf que…
On a d’abord une protagoniste poussant un peu trop loin le syndrome de Scully comme le trope de « la fille pas comme les autres », faisant d’elle une franche orchidoclaste misanthrope assumée, à la limite de la grossièreté, rendant très compliquée l’empathie pour moi. Ç’aurait pu n’être qu’une nuance franchement cool apporté à un caractère entier et plus sympathique, mais j’ai trouvé le trait trop appuyé pour le ressentir comme tel ; j’ai eu trop vite le sentiment qu’à force d’insister sur cet aspect de sa personnalité, Henri Lœvenbruck en faisait finalement le seul qui importait vraiment.
De la même manière, si j’apprécie sincèrement sa volonté de marquer sa volonté féministe au fil du récit en pointant du doigt les retards rétrogrades de la société des années 1920, le fait que l’auteur le fasse à chaque occasion possible rendait la démarche quasi contre-productive, du moins d’un point de vue littéraire. Avoir une protagoniste féminine capable et indépendante évoluant avec succès au sein d’un monde hostile, c’est super : l’écrire de façon performative et démonstrative, c’est à la limite du pénible, parce qu’on se rend très vite compte que l’immersion n’est pas la priorité du récit. Or, pour une histoire se déroulant dans les années 1920 au sein d’une communauté insulaire recluse semblant renfermer des secrets, l’ambiance me paraît primordiale. Ce n’est pas un problème d’intention, ceci étant dit, mais plutôt un souci de méthode et d’exécution ; ça manque cruellement de subtilité, d’autant plus que l’expression globale est très souvent guindée et rigide, manquant cruellement de naturel, notamment dans la façon de fournir certaines informations au fil de la narration ou des dialogues.
Et de la même manière, dans cette continuité, à force de vouloir faire de ses protagonistes des gens super, je trouve que Lœvenbruck ne laisse pas assez de places à leurs failles. Le compagnon de route de l’héroïne, à mes yeux, lui laisse passer beaucoup trop vite et aisément ses écarts de langage et de manière sous un prétexte un peu trop facile, tout comme leur enquête m’a semblé n’avancer que grâce à leurs incroyables fulgurances internes. Iels ne font que deviner, comprendre ou se remémorer ; iels ne déduisent ou ne concluent rien. Incroyables, littéralement : je n’ai pas réussi à croire que ces deux personnages soient capables d’en savoir autant sur des sujets qui me paraissaient si lointains d’eux sans un minimum de recherche ou d’interrogations et révélations exogènes. Si les éléments de l’enquête elle-même étaient franchement intrigants, et qu’encore maintenant j’ai un peu envie de savoir de quoi il était fondamentalement question, la façon que me semblait avoir l’auteur d’en articuler les mécaniques m’a trop vite semblée artificielle et un peu clichetonneuse. Et c’est super dommage, parce que le potentiel est absolument là. J’accorderais éventuellement un petit joker à l’auteur en considérant la possibilité que beaucoup des articulations du récit, qu’elles soient narratives ou conceptuelles, soient construites d’une manière émulant les romans de l’époque dont il s’inspire ; j’ai plus d’une fois eu le sentiment que certains aspects de l’ouvrage étaient malicieusement datés avec juste ce qu’il fallait d’ironie, faisant presque office de pastiche. C’est juste que ce sentiment n’était pas consistant pour que je puisse en être certain, et donc pouvoir profiter du récit au long cours.
Et au final, c’est juste une saillie féministe de plus (trop), formulée d’une manière me paraissant presque anachronique, qui m’a fait me dire que ce bouquin allait finir par être une lutte s’aggravant à chaque page. Elle était pourtant absolument sensée et justifiée, dans l’absolu, mais elle me semblait ici être insérée au forceps dans un dialogue, dans la relativité du récit, à un moment qui me semblait suggérer un tout autre ton et une toute autre ambiance. J’ai eu en cet instant précis le sentiment d’un mauvais dosage des intentions menant à un mélange littéraire indigeste. J’en salue absolument les ambitions initiales, mais je pense que le résultat est déséquilibré, ou en tout cas absolument pas à mon goût. J’en suis le premier navré, mais je n’avais déjà plus la force ni l’envie suffisante pour les 400 pages restantes, anticipant beaucoup trop de séquences m’expliquant les différents aspects de l’histoire à défaut de vraiment me les raconter.
Everworld T1 – À la recherche de Senna, K.A. Applegate
260/633
Saga cultissime de ma prime jeunesse, je faisais avec Everworld grosso le même pari qu’avec Bartiméus : une reprise en douceur de la lecture après une période reloue. Pour me rappeler d’où je viens afin d’appréhender plus positivement où je vais. Et vous pourriez vous dire qu’avec un nouvel abandon, c’est un échec ; fort heureusement, il n’en est rien. Effectivement, cette relecture n’est pas le retentissant succès que j’ai initialement espéré, et je me suis assez vite rendu compte que ça n’allait pas le faire cette fois-ci. Mais pour autant, je n’ai que très peu de reproches à faire au travail de K.A. Applegate, ici.
Le truc, je crois, c’est surtout que j’ai grandi, et que je ne suis de fait plus du tout le public pour un ouvrage jeunesse aussi respectueux des tropes des genres dont il dépend. Entre l’intensité propre au style proto-YA et les quelques raccourcis narratifs que cela suggère, ça va simplement beaucoup trop vite pour moi.
Je passe d’ailleurs volontiers sur les errements historiques liés aux prémices choisies par l’autrice, plongeant ses protagonistes dans un isekai multi mythologique volontairement foutraque. Je crois qu’ils ne sont pas le symptôme d’une quelconque malveillance ou d’une ignorance trop prononcée de la part de l’autrice, mais plutôt les produits collatéraux d’une culture impérialiste et coloniale dont on commence à peine à se remettre aujourd’hui ; j’en veux d’ailleurs pour preuve la claire volonté d’inclusivité et de diversité de l’autrice, qui vaut ce qu’elle vaut, mais qui dans son contexte d’édition, me paraît importante à saluer.
Franchement, n’aurait été ce rythme frénétique et cette avancée au forceps d’une intrigue ressemblant un peu à un séjour touristique Vancien du côté de Tschaï à la sauce jeunesse, où chaque événement ne semble exister que comme prétexte à la péripétie suivante, j’aurais sans doute retrouvé mon enthousiasme de l’époque. J’aime toujours autant l’effort de caractérisation continu par le jeu des narrations multiples voulu par K.A. Applegate, comme sa volonté claire d’avoir des personnages imparfaits dont la progression personnelle est autant un enjeu que leur maîtrise de l’environnement d’Everworld. C’est juste qu’avec ces chapitres très courts où chaque progression de l’intrigue crée un appel d’air pour la suivante, je n’ai jamais eu le sentiment de pouvoir me poser un minimum avec chaque personnage pour pouvoir faire le point avec leurs sentiments, me donnant l’impression dommageable d’une certaine artificialité que je n’avais pas connue initialement, logiquement, puisque ce n’était pas ce que je recherchais à l’époque.
Et si on ajoute à ça le choix du format intégrale de Gallimard Jeunesse, collant ensemble des tomes qui en VO me semblaient être publiés séparément, on se retrouve avec des rappels à l’intrigue beaucoup trop réguliers pour ne pas sembler insultants ; avec par dessus une traduction qui me semble un peu précipitée, opérant des choix curieux, menant même à des grosses typos un peu scandaleuses.
Et bref, puisque je me souviens de l’essentiel de l’histoire de cette saga dans les grandes lignes, et que j’ai assez vite constaté que mon plaisir n’est plus vraiment le même, je me suis dit que ça ne servait pas à grand chose de pousser plus loin. Aucun regret ni réel changement de conviction ; je pense toujours que c’est très bien, surtout dans la mesure où l’autrice respecte l’intelligence de son public, mais simplement plus pour moi du tout, précisément parce que je ne suis plus le public en question. Ça restera dans un coin de mon esprit, à convoquer dans certains moments de nostalgie, comme un des leviers importants de l’élévation initiale de mon esprit littéraire.
Délirium Circus, Pierre Pelot
48/318
Bon, j’avoue, j’ai peut-être un peu forcé, pour celui-là. Avec deux abandons récents déjà enregistrés, il ne me manquait plus que le proverbial 3. Et comme mon premier essai avec l’auteur avait été plus bizarre et frustrant que vraiment mauvais, je me suis dit que c’était assez idéal comme transition, d’autant plus que j’avais trois autres bouquins à lui qui m’attendaient. En cas de réussite, c’était une nouvelle potentielle piste de découvertes, et en cas d’échec, c’étaient autant de livres en moins dans la PàL, à virer sans regret, en plus d’une nouvelle fournée de série noire bouclée sans avoir à y penser.
Bon et là, franchement, c’est juste pas assez bon pour me donner envie de continuer, à la limite du mauvais. D’abord parce que je suis vraiment pas fan des high-concepts dans ce genre là, où un univers semble n’être construit qu’autour d’une seule contrainte créative shuntant un pan entier de la logistique permettant son existence. Ensuite parce qu’en plus ici, ça manque cruellement de subtilité dans la présentation et la structure et que la direction allégorique promettait de mon gonfler avant même de pleinement exister au sein du récit.
Et pour finir parce qu’en plus – c’est suffisamment rare pour être signalé venant de moi – je trouve ça assez mal écrit. Syntaxe, dialogues, même un clair manque de relecture éditorial qui laisse passer des typos honteuses, tout y est. Sans déconner, y a même une faute d’orthographe dans le résumé sur le quatrième de couverture ; qui d’ailleurs spoile salement le roman bien au delà de là où je me suis arrêté. C’est rarement bon signe. Bon et puis je passe sur le vieux male gaze crado made in années 70, mais c’est sa troisième instance gratuite et libidineuse qui m’a décidé à arrêter les frais.
C’est symptomatique de certaines de ces vieilles œuvres très ancrées dans leur époque, comme La destruction du temple, qui souffrent avant tout de choix ne correspondant simplement plus du tout à ce qui se fait aujourd’hui, d’une façon presque agressive. Peut-être qu’au cœur du récit se cachait quelque chose d’intéressant ou d’intriguant, mais j’ai eu la flemme de passer outre les défauts les plus frappants.
Pas de regrets. Adieu Pierre Pelot, à moins d’une recommandation impromptue convaincante dans le futur, je ne vous lirai plus.
Dire que je m’étais décidé à grouper mes abandons par trois pour moins ergoter sur chaque ouvrage. Ironie, quand tu nous tiens. Bah. Ça me libère toujours l’esprit, et c’est bien l’essentiel. Et puis en vrai, ça me permet d’être un peu plus serein quand je tente des trucs un peu risqués ; en vrai de vrai, je me prends moins la tête à la rédaction. Donc c’est bien.
À la prochaine, donc. En espérant quand même qu’elle ne vienne pas trop vite.
Au plaisir de vous recroiser.
En attendant, que votre avenir soit rempli d’étoiles. 😉
