
Junge – Die Ärtze
Comme il est désormais de tradition pour moi, après un ajout un peu triste à la série noire, je me suis emparé d’une vieillerie dans mon étagère dédiée. Alors bon, on est pas parti sur la pire possibilité, hein, sans bien connaître l’œuvre de Matheson, après seulement une rencontre rapide dans mon Fiction n°204, je savais quand même qu’on parlait pas d’un petit auteur sans envergure ; disons plutôt que je m’attendais à une lecture un peu pulp, high concept sans prétention, au pire un peu creuse, mais probablement divertissante quoi qu’il arrive. Avec une option pour abandon rapide et sans regret à égalité avec exploration sympathique mais oubliable.
Ce que j’ai eu, c’est un excellent roman, quoique regrettablement marqué par certains défauts de son époque, mais avant tout fort surprenant, dans le meilleur sens du terme.
Et on va en parler. Parce que malgré ses 200 pages, ce petit bouquin en avait à revendre.
Comme quoi : c’est vraiment pas la taille qui compte.
Avec le temps et les lectures, on se peaufine ses petites théories personnelles, ses petites grilles d’analyse rien qu’à soi. Ou c’est peut-être juste moi, on sait pas. Qu’elles soient complètement valables ou non n’est finalement qu’une considération triviale ; et de fait, une des miennes commence doucement à se former autour de l’idée que la SF – l’Imaginaire en général – peut s’écrire partout dans l’intervalle entre les deux extrémités d’un certain spectre : le conceptuel et le symbolique. En gros, les auteurices consacrent leurs énergies respectives à surtout construire un récit qui explore des idées abstraites, ou à mobiliser ces dernières pour leur faire dire quelque chose. Et puisque je parle de spectre, c’est qu’il est bien entendu possible de faire les deux à la fois ; c’est alors une question de proportions et d’intentionnalité.
Et moi, je crois bien que ce que j’aime par dessus tout, c’est quand un récit arrive à se placer pile au milieu, ou peu s’en faut.
L’homme qui rétrécit peut se résumer par son titre. C’est effectivement, très basiquement, l’histoire d’un type qui, du jour au lendemain, se met à rapetisser. Un septième de pouce, tous les jours, son corps entier conservant ses proportions. Et de fait, pour filer mon propos initial, on a ici quelque chose qui tient du pur concept : qu’est ce que c’est-y qui se passerait si un type il devenait de plus en plus petit ? Et ç’aurait pu sincèrement n’être que ça, avec une partie du traitement qu’applique Richard Matheson à la question, j’aurais été tout à fait satisfait.
Car le roman est en effet structuré autour de deux axes : l’un se concentrant sur la vie aventureuse et dangereuse du héros, réduit à une taille minuscule et piégé dans sa cave, l’autre sur tout le chemin parcouru par notre protagoniste pendant son rétrécissement, jusqu’à justement ce premier axe ; les deux trajectoires se répondant donc logiquement à coup de réminiscences et d’analepses, se nourrissant mutuellement au fil des chapitres. Alors certes, je trouve que la structure du roman, à cet égard, est un peu bâtarde, et que le rythme en pâtit parfois, certains chapitres ne se consacrant qu’à un axe, quand d’autres mélangent les deux sans vergogne, mais c’est un reproche très léger ; d’autant plus que je trouve la simple idée de titrer certaines séquences avec simplement la taille du protagoniste pour marquer l’avancée temporelle du récit hyper maline.
Et c’est encore une fois ce damné adjectif dont j’abuse qui va me servir à reboucler sur ce que je voulais dire initialement avant de me laisser distraire par moi-même : revenons sur ce premier axe nous narrant les aventures de ce pauvre Scott, homme de quelques dizaines de millimètres, piégé dans une cave avec une araignée et ses nouvelles terreurs existentielles. Cette partie du récit marche super bien parce qu’elle est maline, donc, parce qu’elle est super inventive, et parce qu’elle est extrêmement efficace. Je suis pas arachnophobe, mais j’avoue que la description par le son des pattes de cette bestiole qui semble en vouloir personnellement à notre héros, à un niveau bêtement viscéral, ça fonctionne du feu de dieu, de la même manière que toutes les petites idées appliquées par Matheson à la survie de son protagoniste sont – je trouve – d’une créativité dingue. J’ai eu l’impression qu’il avait pensé à tout, et à encore quelques petites idées par dessus, et du point de vue purement aventure/divertissement, le contrat est déjà pleinement rempli ; juste parce que conceptuellement, c’est super balaise.
Et si ce n’était que ça. Mais non : parce qu’il me faut maintenant aborder le second axe de ce roman, et donc son aspect plus symbolique. De l’autre côté, donc, on a droit à quelques séquences et chapitres consacré·e·s à la vie de Scott une fois que sa maladie s’est déclarée et qu’il doit composer avec son rétrécissement, alors qu’il est marié et qu’il a une petite fille. Et si j’ai été bluffé une première fois par l’approche très matérialiste et technique du premier axe, tout en pouvant retrouver une bonne partie de cette approche pour le second axe, j’ai surtout ici été bluffé par l’approche plus sensible et évocatrice choisie par Matheson. Alors certes, comme je le disais, certains morceaux on assez (vraiment) mal vieillis, notamment eu égard à des relents d’homophobie et de sexisme dans deux séquences précises, qui ne se sont pas arrangées avec les années. Mais je me dis qu’avec une écriture un peu plus moderne ou plus alerte sur les éléments métaphoriques que ces moments gênants voulaient soulever, Matheson aurait toujours visé relativement juste.
Parce qu’à l’instar d’une de mes lectures préférées de l’année dernière, j’ai trouvé que la façon extrêmement prosaïque de l’auteur de traiter la condition de son héros rendait cette dernière d’autant plus évocatrice. Et je n’ai pu m’empêcher de voir dans la trajectoire de notre protagoniste une allégorie extrêmement réussie de la vieillesse et de la maladie ; avec tout ce que cela suggère d’isolement, de conflits – internes comme externes – ou de problématiques nouvelles. En fait, je crois que j’ai été pris par surprise par la sensibilité de l’écriture de Matheson, accordant à ses personnages des vulnérabilités et des failles, autant que de forces et de ressources inattendues, surtout dans le contexte de son écriture. Pour tout ce que ce court roman pouvait avoir de raccourcis narratifs ou de petites facilités, par moments, j’ai toujours trouvé que ça faisait quand même sens, et que d’une certaine manière, c’était assez habile ou bienveillant pour mériter que je l’accepte et le laisse passer sans y regarder de trop près. C’est difficile à justifier, présenté comme ça, je l’admets ; mais n’empêche que c’est ce que j’ai ressenti tout du long.
Et voilà : encore une découverte aussi surprenante qu’enrichissante. J’ai vraiment beaucoup aimé ce roman. Pour ce qu’il exprimait ouvertement autant que pour ce qu’il disait de façon plus subtile ; ou du moins pour ce que j’ai bien aimé en lire. C’était super malin à plein d’égards, c’était inventif et créatif, en dépit d’une écriture en 1956 et de quelques scories compliquées à lire aujourd’hui. Mais n’empêche que ce qu’il fait bien, ce bouquin, je trouve qu’il le fait super bien. Ça doit bien compter pour quelque chose.
Bref : Richard Matheson, ça n’étonnera personne, on se retrouvera.
Au plaisir de vous recroiser.
En attendant, que votre avenir soit rempli d’étoiles. 😉

Mince, erreur à l’envoi du commentaire… je recommence. Je disais donc que j’étais dans un état d’esprit similaire quand j’avais tiré son Je suis une légende des reliques de ma PAL. N’ayant pas aimé le film, je n’étais pas convaincue (même si une collègue m’avait dit qu’il n’avait rien à voir) et était plus ou moins prête à abandonner. Sauf que pas du tout. Ils n’ont effectivement rien à voir et j’ai été embarquée dans le roman. Et surtout, je n’étais pas prête pour cette fin parfaite qui donne tout son sens au titre. Ça avait été une très bonne découverte et une réelle surprise qui m’avaient donné envie de lire d’autres titres de lui, ce que je n’ai pas fait, donc cet article tombe à pic pour me le rappeler. La surprise ne sera plus la même, mais l’intérêt devrait toujours être présent. Merci beaucoup !
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Avec grand plaisir, merci à toi ! =)
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