
Rim Tim Tagi Dim – Baby Lasagna
On continue notre joyeuse exploration (professionnelle) des œuvres de mes camarades de table ronde à l’Ouest Hurlant, avec aujourd’hui, un auteur avec qui mon passif n’était pas aussi bon que je l’aurais aimé, et à qui je n’ai jusque là pas pu redonner une chance de me convaincre à nouveau.
Par chance, ici, je savais exactement à quoi m’attendre, avec un roman aussi clairement estampillé jeunesse ; pouvant anticiper tranquillement le fait que je ne suis absolument pas le public cible, j’ai pu me détendre et prendre cette lecture de façon beaucoup plus décontractée qu’à l’accoutumée, et ainsi éviter une déception aussi bête que prévisible. Il n’était pas question ici de me prendre la tête sur des questions génériques, techniques ou stylistiques particulièrement poussées, mais juste d’appréhender ce roman sous deux angles bien précis : qu’est ce qu’on y fait au niveau fantasy, et surtout, est ce que le moi d’il y a une vingtaine d’années aurait kiffé ?
Oui.
Joachim est le prince de Valroc, heureux enfant bien entouré de ses amis, de son oncle et de son père le Roi, vivant tranquillement en son château. Sa quiétude est bouleversée par l’arrivée terrible de l’émissaire du Sorcier, qui vient régulièrement quérir de jeunes gens partout dans le royaume, usant de la menace de ses terribles oiseaux cauchemars pour imposer son cruel tribut. Cette fois ci, c’est Joachim qui a été choisi. Armé de tout son courage et de la dague magique de sa mère, il accepte ce terrible voyage, espérant pouvoir tuer le Sorcier et libérer le monde de son emprise.
Pour un lecteur chevronné de 34 piges, clairement, on est en terrain familier, voire très familier. Quête, objet magique, joyeuse bande de héros faisant face au mal absolu, aventures au fil d’un long voyage aux implications épiques, rien de nouveau sous le soleil pour moi. Mais comme je le disais plus tôt, l’enjeu pour moi était bien entendu ailleurs ; il n’est pas question de vous expliquer que ce roman m’aurait déplu parce que ça va trop vite à mes yeux ou que la logistique de notre récit manque de précision, il s’agirait de se respecter un minimum. Non, un bouquin comme ça se juge selon une perspective plus neuve, vierge de tous ces trucs d’adultes qui ne font rien qu’à gâcher de bonnes histoires en cherchant en permanence la petite bête qui justifiera une aigreur mal placée. J’ai donc mis toutes ces questions sans intérêt de côté pour me concentrer plus volontiers sur les valeurs et les idées véhiculées par David Bry dans cet ouvrage.
Et le contrat a très vite été rempli. Sincèrement, je peux même vous dire qu’en essayant de laisser le maximum de place à mon âme d’enfant, j’ai passé un très bon moment. Les archétypes tenus par Joachim et ses ami·e·s sont super bien tenus, laissant pas mal de place à des dialogues assez savoureux, du côté rigolo et inspirant, tout comme à des idées de fantasy tout à fait séduisantes. Ce que j’ai par dessus tout apprécié ici, c’est bien la dimension collective de cette aventure, où Joachim n’est jamais une figure centrale et implacable, un héros invincible qui fait tout tout seul sous le regard admiratif et encourageant de ses plots de compagnie ne servant qu’à lui lustrer les pompes. Au contraire, on a quatre personnages principaux bien campés, avec des personnalités riches, participant à part égale dans la résolution globale d’une histoire qui, mine de rien, couvre pas mal de terrain avec une efficacité tout à fait respectable.
Je dois même dire qu’avec mon regard un brin cynique sur une aventure de med-fan cochant beaucoup de cases du genre, j’ai pris plaisir à suivre les pistes tracées par David Bry, me faisant même un peu ponctuellement avoir, me prouvant encore une fois qu’on a beau savoir, on ne sait jamais vraiment. À cet égard, d’ailleurs, et pour revenir sur le terrain des valeurs, au delà des efforts d’inclusivité de l’auteur, j’ai particulièrement apprécié sa subtile insistance sur l’importance du savoir et de l’éducation dans les armes que mobilisent ses protagonistes pour arriver à leurs fins, le côté plus bourrin classique de la fantasy patrimoniale étant plus souvent laissé au second plan. Nos personnages discutent, se confrontent intelligemment, se pardonnent et avancent ensemble, face à un antagoniste mobilisant le levier d’une peur viscérale pour arriver à ses fins ; sans vouloir aller chercher trop loin, je trouve que fait allégoriquement écho à ce qu’on traverse collectivement depuis quelques années, et j’aimerais croire que ce n’est pas anodin. J’aime bien.
Alors bon, évidemment, encore une fois, je ne suis pas le public cible, donc c’est compliqué pour moi d’aller chercher trop de choses à dire qui ne versent pas du côté de la surinterprétation ou de la capillotraction forcenée : on est là pour lire une histoire cool qui raconte de bonnes choses à des enfants qui en ont bien besoin.
Et de fait, puisque j’ai fini ce bouquin comme par sursaut, me rendant compte que j’étais arrivé au bout extrêmement frustré de ne pas avoir complètement le fin mot de l’histoire à propos d’un de ses plus mystérieux participants… Je suis absolument ravi de dire que j’ai par dessus tout passé un très bon moment. C’est passé tout seul. Et peut-être même que j’en reprendrais un peu à l’occasion, si mon âme d’enfant ne s’est pas trop atrophiée d’ici là.
On croise les doigts.
Au plaisir de vous recroiser.
En attendant, que votre avenir soit rempli d’étoiles. 😉
