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Loin des îles mauves T1 – La Sans-Étoiles, Chloé Chevalier

Pure Light of Mind – In Flames (extrait de l’album Foregone)

Et de 4 ! Avec cette lecture s’achève mon petit tour de table préparatoire pour l’Ouest Hurlant. Avec l’immense satisfaction de me dire que même si mes interventions ne se passent pas au mieux – et il n’y a aucune raison de le croire – j’aurais eu l’occasion de lire des bouquins super intéressants qui ne me seraient probablement pas passés sous les yeux autrement.
Pas pour dire, encore une fois, que ma curiosité n’aurait pas été piquée ou que leurs noms m’étaient totalement étrangers, hein ; juste que la vie est affaire de choix et de priorités, et que trop souvent, les deux se font un peu sans nous, et qu’on doit juste composer avec. Dans le cas qui nous concerne aujourd’hui, d’ailleurs, j’avais été enclin à passer le cap quelques temps après sa sortie, mais pour la pire raison du monde : j’avais lu passer à son propos un avis enthousiaste d’une personne n’ayant pas du tout ma confiance, le faisant de la pire manière possible à mes yeux, à savoir en balançant une balle aussi mesquine que perdue à un autre roman en passant, laissant croire que ladite balle était à vrai dire la raison première de cet éloge.
Et cette anecdote n’a aucun intérêt intrinsèque, j’en conviens, d’autant qu’elle n’a teinté en rien mon envie de lire le sujet du jour, pas plus qu’elle n’en a corrompue ma perception. C’était juste pour dire qu’on peut dire du bien d’un roman sans forcément aller cracher sur un autre pour donner de la légitimité artificielle à son avis, voilà. C’est jamais perdu de le répéter.
Mais bref, on a du travail, ici, je suis un blog sérieux, tudieu. J’ai mon propre avis à exprimer sur le travail de Chloé Chevalier dans ce premier tome du dyptique des îles mauves.
Bah c’est super, hein. J’en ai sans doute pas autant profité que j’aurais voulu, parce que j’ai un peu bêtement bombardé le blog dans le courant des 50 derniers jours, quitte à y laisser quelques plumes et ma capacité de concentration ; mais l’essentiel est largement préservé.
Voyons ça.

Yvanel est un Héros. Ce qui sur les îles mauves, signifie qu’elle est une femme devant cacher son identité de genre aux Leifa, le peuple avec qui son propre peuple, celui des Bruyères, doit partager son habitat, ainsi que ses femmes et une grosse partie de ses ressources ; dans une relation déséquilibrée amenant à de nombreuses injustices et souffrances, notamment dans la population la plus jeune des deux peuples. Une situation d’autant plus instable que les îles mauves sont sous la coupe indirecte de l’Empire, une force encore supérieure, qui s’accapare sans vergogne les réserves baleinières tout autour de l’archipel. Yvanel, sous la contrainte des circonstances, accepte finalement d’accompagner une bande de ses camarades bien décidée à partir des îles mauves pour tenter de trouver, par delà l’horizon, un moyen de négocier de meilleures conditions de vie pour leur précaire peuple.

Encore une fois, et pour la dernière fois avant un petit moment, logiquement, évacuons d’emblée l’évidence : on est dans un YA, ou du moins dans un format narratif se rapprochant beaucoup à mes yeux du YA. Une distribution jeune et une certaine intensité dans le rythme et la succession des péripéties, on est pas là pour prendre son temps et tout analyser précisément ni pour conceptualiser à fonds des idées particulièrement complexes : on se concentre avant tous sur les tourments et atermoiements brûlants d’une bande de personnages aux caractères bien trempés, quitte à verser dans une sorte d’archétypisation exacerbée, pour que les choses soient aussi claires et frappantes que possible. Ce qui, dit comme ça, pourrait sonner comme un reproche, mais pas du tout, c’est même plutôt un compliment, pour moi ; parce que c’est un équilibre extrêmement dur à tenir pour un bouquin, de parvenir à être explicite sans être simpliste, surtout quand on s’adresse à un public relativement jeune. D’autant plus qu’à vrai dire, je n’ai pas réellement de reproche à formuler à l’égard de ce roman, honnêtement, en dehors d’un rythme parfois un peu haché, laissant la part presque trop belle à l’enchaînement de ses péripéties, ne prenant de fait le temps de se poser sur la moindre problématique que le temps de la régler suffisamment pour pouvoir passer à la suivante sans que rien ne se mélange trop. Et du coup, quelques transitions un poil abruptes qui nous font se succéder sous les yeux des séquences très nettement séparées les unes des autres, pouvant parfois nous demander si un souci soulevé plus tôt ne va pas être oublié en route, ou un peu brossé pour le tapis pour éviter de trop tomber dans l’exposition philosophique.

Mais comme je le sous-entendais plus haut, c’est presque plus une contrainte technique qu’un réel souci, à ce stade, et j’y étais préparé avant ma lecture : j’ai pu sciemment profiter autant que possible de ce que le roman voulait vraiment nous offrir, à moi et à mon moi ado intérieur qui se demande ce qui se passe dès lors que je ne lis pas. Et de fait, même si j’essaie de me méfier de ma tendance à la surinterprétation, comme de celle à confondre l’allégorie et l’applicabilité… J’ai initialement trouvé dans ce roman une allégorie assez bien fichue du parcours de compréhension et de lutte d’une frange jeune d’une population soumise à des traditions aussi discutables que profondément ancrées dans sa psyché. Et c’est un parti pris que j’aime toujours, parce que mettre en scène l’appréhension des mécaniques de cette tradition, en préambule de la mise en scène de la confrontation avec cette tradition, j’ai souvent trouvé que ça manquait aux récits qui s’attaquent à ce sujet. Ici, plutôt que la simple réalisation ou le basculement d’une personne ou d’un groupe vers une forme de rébellion, Chloé Chevalier nous propose le cheminement de ses personnages vers leur volonté de rébellion. L’allégorie initiales des luttes, où les îles mauves représentent un paradigme d’oppression relativement classique, quoique fort habilement mâtiné de questions d’inclusivité, d’anti-colonialisme, d’identité de genre ou de libération sexuelle, devient assez vite une lutte en elle-même, questionnant de front ses questions les plus bassement matérialistes.

Et c’est ce que j’ai trouvé personnellement assez passionnant, dans ce roman, ce regard très humain et à hauteur intime. Tout nous est conté par Yvanel, parfaite incarnation du poids de la tradition, de sa puissance d’enfermement, et ce même – et surtout – au gré du processus visant à s’en libérer. La peur permanente de ne pas être dans les clous, de l’isolation sociale ou culturelle, de l’abandon, tout ça touche très vite à l’universel avec une acuité assez redoutable. D’autant plus acérée, je trouve que le roman ne se cache jamais d’être avant tout un récit de voyage et d’apprentissage, où Yvanel, au delà d’être un personnage extrêmement attachant et organique, nous sert autant à passer un simple bon moment de lecture qu’à exposer les ambitions littéraires du texte qu’elle habite, sans jamais forcer dans un sens ou dans l’autre. Ainsi, au travers de ses yeux, Chloé Chevalier nous exposer l’idée de l’importance de pouvoir choisir son identité, sa vie et son héritage, un triptyque symbolique dont l’écho me semble essentiel en ces temps troublés ; aussi essentiel que l’idée que le mélange culturel dont font preuve ses personnages est un levier magnifique allant dans le sens de cette autodétermination.
Et le message passe d’autant mieux qu’il me paraît évident que la démarche de l’autrice passe aussi par le choix d’une perspective opprimée, certes, mais jamais uniquement réduite à son statut de victime. Yvanel, en tant qu’habitante des îles mauves, en tant que Héros luttant intérieurement et extérieurement avec sa condition, n’est pas qu’une colonisée ou une candide découvrant et nous présentant un monde qui lui est totalement étranger. Elle est une personne pensante, porteuse de sa culture, de son langage, confrontant sans cesse son modèle de pensée à celui qu’elle explore, et mettant les deux en balance pour essayer d’en extraire un modèle idéal qui lui conviendrait mieux ; son parcours de ne se résume pas uniquement à une fuite, pas plus qu’il ne se résume à un ébahissement ravi permanent. Et c’est vraiment super cool, voilà.

En somme. Bon, il faut que je me repose un peu, quand même, parce qu’en dépit de ses indéniables qualités, j’ai un peu galéré à finir de bouquin à une vitesse satisfaisante, il faut le dire. Demeure qu’ici, Chloé Chevalier signe quand même un foutu bon roman. Une intrigue bien ficelée, liée à un propos profond et complexe, riche de nuances et de surprises, s’attaquant aussi frontalement que subtilement à des concepts pas évidents, pour en tirer une substantifique moëlle qui je n’en doute pas, procurera d’intenses moments de réflexion à un public attentif. Certes, ça arrive un peu tard dans mon propre parcours pour provoquer une réelle épiphanie, mais je n’ai pour autant pas cessé de saluer les efforts créatifs de l’autrice au fil de ma lecture, de même que les innombrables réussites qui allaient avec.
Encore une fois, de la bonne ouvrage, honnête et ambitieuse, qui vise en plein cœur de la cible qu’elle me semble s’être attribuée. J’applaudis des deux mains, et je place sa suite et fin un peu plus haut dans l’ordre de mes priorités futures : je suis curieux de voir où tout cela peut mener.

Au plaisir de vous recroiser.
En attendant, que votre avenir soit rempli d’étoiles. 😉

2 comments on “Loin des îles mauves T1 – La Sans-Étoiles, Chloé Chevalier

  1. Avatar de Noob Noob dit :

    Le hasard fait bien les choses, j’ai lu ce roman il y a une dizaine de jours (en plusieurs fois, je l’avais commencé en mars) haha. J’y ai retrouvé la verve et l’intelligence que Chloé Chevalier avait déployé dans les récits du Demi-Loup, mais en plus direct et YA (pas au sens péjoratif, bien sûr). Une véritable réussite, à la fois très franche et très travaillée.

    (je repasse après quelques mois et tu as lu énormément ! je suis admiratif de ton rythme :o)

    Aimé par 1 personne

    1. Avatar de Laird Fumble Laird Fumble dit :

      J’ai effectivement eu un mois d’avril extrêmement chargé. ‘^^
      Merci beaucoup.

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