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Le Lac des âmes, Ann Leckie

I Love You – Woodkid (extrait de l’album The Golden Age)

J’avais été le premier déçu d’abandonner La Justice de l’Ancillaire. Le premier convaincu que je passais probablement à côté de quelque chose. Or, si le travail d’Ann Leckie dans ses Chroniques du Radch a très vite pu m’apparaître assez clivant, adoucissant quelque peu cette frustration, il n’empêche que son talent, lui, semblait quand même faire l’unanimité. Je ne pouvais donc pas en rester là. Il fallait que j’aille un peu plus loin, pour savoir si cette initiale inimité avait vocation à durer.
Quoi de mieux, alors, qu’un recueil de nouvelles fraîchement publié chez Nouveaux Millénaires, que l’on m’a proposé en SP ? Qui plus est un recueil avec des nouvelles du Radch dedans, pour faire le liant ? Bah pas grand chose, hein, factuellement. C’est assez parfait, il faut bien l’admettre. La vraie question étant maintenant de savoir si ledit recueil a fait un bon boulot pour me convaincre que notre première mauvaise rencontre n’était qu’un coup de malchance.
Réponse : oui. Clairement, oui. Ce recueil est excellent, j’irais même jusqu’à dire ponctuellement brillant.
Même si bon, quand même, j’ai des remarques moins enthousiastes à formuler. C’est compliqué.
Mais j’aime bien ce genre de compliqué : ça me donne des choses à dire.
Disons les.

Parlons d’abord de découpage. Ce recueil est séparé dès son sommaire en trois parties distinctes. On a d’abord les nouvelles diverses, du tout-venant, par opposition aux nouvelles présentées comme issues de l’univers du Radch, et enfin celles issues de l’univers de La tour du Freux. Et sur le papier, c’est très cool, parce que pour un lecteur comme moi, ça formule déjà des promesses, un sommaire pareil : je vais pouvoir découvrir des aspects différents d’une autrice que je connais déjà un petit peu. Quitte à ce qu’une nouvelle fois, le Radch me laisse indifférent, au moins j’aurais des textes complètement étrangers à cet univers, et encore un autre univers inédit à découvrir par le biais de textes qui ne sont pas des romans. Et ça c’est chouette. Fort logiquement, je vais donc vous proposer une chronique suivant ce découpage pour essayer d’extraire un ressenti général à propos du recueil entier.
Mais pas sans faire un petit détour très important pour saluer, encore une fois, l’exceptionnel travail de traduction de Patrick Marcel, qui comme à son habitude, nous sort une masterclass. On a un vivier de traducteurices de choc dans ce pays, il faut vraiment ne pas l’oublier. Et les remercier, fort humblement. Parce que leur boulot m’est vital. Merci, donc. Et bravo.

Face aux 18 textes proposés par ce sommaire, je me suis dit que pour une fois, je ne perdrais rien à prendre des notes. Et de fait, tout en haut du petit papier que j’ai utilisé comme support, on peut lire, encadré plusieurs fois le groupement nominal suivant : Dualités/rencontres, Mélanges/Altérité, DIVINITÉ (oui, je l’ai écrit en gras, je suis pro à ce point).
Si le terme de divinité nous reviendra plus tard en pleine tronche au moment de parler des nouvelles issues de la tour du Freux, ici, je pense que le terme clé est altérité. Si je n’avais pas été convaincu par La justice de l’ancillaire d’un point de vue narratif, conceptuellement et formellement, je n’avais que des compliments à lui faire. Eh bah là, globalement, c’est la même chose, sans les reproches narratifs. Tout du moins pour les nouvelles qui ont remporté mon adhésion. Disons qu’en considérant les poids métaphoriques des textes réussis en balance avec les textes les moins réussis *tousse* voire complètement nuls *re-tousse*, on arrive à un bilan que je décide de considérer comme foncièrement positif.
Mais pour tâcher d’être plus objectif que de simple mauvais esprit, je vais essayer de vous expliquer mon accès de toux. Quand on commence un recueil comme Le Lac des âmes par son texte éponyme, à savoir une nouvelle de SF ardue, jouant sur une perspective complètement étrangère, avec des considérations tellement autres à notre paradigme habituel, pour ensuite rajouter une nouvelle perspective à peine plus familière, pour construire en quelques dizaines de pages à peine une diégèse d’une richesse et d’une complexité assez impressionnantes, on établit passivement des standards. Quand on commence un tel recueil par une nouvelle, certes pas facile d’accès, mais démontrant quand même et avant tout un talent d’abstraction et de construction narrative solide, on annonce une certaine couleur pour le lectorat.
Quand en plus, on aligne des textes comme l’exceptionnel Le camp en péril – sans doute ma nouvelle favorite du recueil – Un autre mot pour Monde ou Les Justifiés, qui font montre là encore d’un niveau d’abstraction, de création ex nihilo et de profondeur conceptuelle assez formidables, je dois bien admettre que la présence de certains autres textes dans cette anthologie m’interroge. Je ne dis pas qu‘Empreintes, Enterrez les morts, ou La triste histoire de l’oignon sans larmes auraient été dépourvues d’intérêt par ailleurs ; même si je maintiens qu’à un niveau purement personnel, je les trouve toutes les trois assez nazes, ou tout du moins incomplètes et/ou insuffisantes. Mais passons. Je n’ai pas envie de m’étendre dessus, la bile n’a qu’un intérêt limité.
Non, mon souci, il est formel, à l’aune du recueil : quel intérêt d’inclure ces textes, qui ne font en aucun cas preuve de la même ampleur ni de la même exigence narrative ou stylistique que les autres ? Qu’on les aime ou non, ces nouvelles, elles font juste tache, elles n’ont pas le volume, ni la qualité, et encore moins la cohérence thématique, pour justifier de leur présence aux côtés des autres textes, même histoire de faire acte de présence ou d’arriver à un calibre de pages minimum. N’importe quel autre texte d’une vingtaine de pages aurait fait l’affaire. Vraiment, je ne comprends pas.

Pas plus que je ne comprends, je l’avoue tristement, l’inclusion d’une section Chroniques du Radch dans ce recueil. Enfin si, je comprends facilement ce qui peut motiver une telle inclusion. C’est sûr que c’est plus simple de vendre un bouquin signé Ann Leckie si on met sur la couverture un petit signe pouvant motiver d’éventuels fans du Radch d’en reprendre une dose. Pour le coup, sans aucun cynisme, sarcasme ou ironie : je comprends. Ces chroniques ont une importance culturelle significative pour des gens, et ils en veulent plus, on leur en donne plus. Même si c’est avec d’autres choses pour aller avec, donner à goûter d’autres textes de la même autrice, créer une dynamique au sein de sa bibliographie ; c’est de bonne guerre, et je trouve même ça de bon aloi.
Là, pour le coup, je suis plus gêné par l’impression assez tenace que… Bah il est où, le Radch, là-dedans ? Je veux dire, dans la première nouvelle, Le lent poison de la nuit, oui, il est cité, on en parle, il est au cœur de l’intrigue – je crois, j’ai pas vraiment compris le texte, j’avoue – mais pour les deux autres ?.. Elle m’ordonne et j’obéis, j’ai plutôt bien aimé, en dépit d’un cruel sentiment d’incomplétude, mais vraiment, je n’ai pas compris où était le rapport au Radch. Et pour un concept aussi enveloppant, étouffant que le Radch, à l’aune de sa propre diégèse, j’ai l’impression que son absence est un littéral signe de son absence, si vous voyez ce que je veux dire.
Et ça c’est sans parler du troisième texte de cette section, La création et destruction du monde, conte cosmogonique, qui conceptuellement était condamné à provoquer mon désintérêt de base, mais qui en plus, de fait, n’a fait qu’amplifier ma confusion. Autant, le texte précédent, je n’y lisais pas le Radch mais je pouvais quand même imaginer ce qu’il racontait se passer au sein du même univers ; autant là… Quel est le lien ? *Bruit de pet avec la bouche et haussement d’épaules impuissant*

Alors que fort ironiquement, avec un tout petit peu de recul, j’aurais bien vu ce texte faire office d’introduction à la troisième partie du recueil consacré à l’univers de la Tour du Freux. Parce que bon, les dieux avec qui on discute, avec qui on passe des accords oraux aux ramifications complexes et aux règles aussi rigides que cruelles, là, j’aurais compris. Alors oui, c’est bien Ann Leckie qui fait ce qu’elle veut avec son travail, mais n’empêche que je demeure assez confus quand à certains choix éditoriaux sur ce recueil.
Mais bref, trêve de pinaillage sur un boulot que je ne maîtrise absolument pas : l’essentiel, ce sont les textes. Et ce que je peux dire à propos des textes de cette troisième partie, c’est qu’ils m’ont sacrément donné envie d’en lire plus dans l’univers de La Tour du Freux. Cette idée d’une divinité transactionnelle permanente liée au dialogue et à la puissance du mensonge, sur le pouvoir à double tranchant d’un marchandage incessant, je dois bien dire que j’ai trouvé ça absolument passionnant. Alors oui, bon, se voir répéter le concept de base empêchant les dieux de « mentir » à chaque nouvelle, c’est un brin relou, mais c’est le jeu d’une telle anthologie, donc on passe. Et on se concentre sur le fait que là, j’ai senti le talent d’Ann Leckie à chaque page. Certes, quelques textes m’ont plus séduits que les autres, mentions spéciales à La Nalandar, Les Dieux du Marais et Le Dieu inconnu, qui ont a mes yeux exploité le concept central de cet univers mieux que les autres ; mais même sur les textes un peu en dessous ou me semblant faire office de redite infinie sur l’idée que tous les dieux sont d’infâmes manipulateurs malhonnêtes et avides, l’autrice m’a impressionné. Maîtrise du langage, malice narrative et conceptuelle perpétuelle, utilisation sournoise mais solide des règles diégétiques , c’est assez brillant, franchement, et ça donne à rêver de ce qu’un tel univers pourrait donner sur un temps littéraire plus long.
Juste histoire de me plier à ma réputation auto-attribuée de pénible, je mentionnerais quand même L’épouse du serpent, comme une nouvelle m’ayant mis assez mal à l’aise, pas certain de pouvoir appréhender pleinement son concept central avec toute la sérénité du monde ; faute d’avoir tout compris, et donc de pouvoir être certain des intentions de l’autrice, ou l’inverse. Je dis plus ça dans l’espoir que quelqu’un·e puisse me filer un coup de main sur la question que par envie de critiquer gratuitement Ann Leckie, je n’ai pas envie de lui faire un mauvais procès.

En bref : l’essentiel de ce recueil est très bon, faisant même ponctuellement preuve d’une brillance littéraire renversante. Formellement, stylistiquement, conceptuellement, Ann Leckie m’a soufflé plus souvent que l’inverse. Je veux insister là dessus : les meilleurs textes de ce recueil sont des bijoux et valent à eux seuls l’édition de cette anthologie.
Ceci étant dit, à une échelle plus personnelle, je pense quand même que ladite anthologie souffre d’un réel défaut de sélection, trop généreuse, laissant la place à des textes infiniment inférieurs aux autres, et d’un découpage arbitraire et par endroits dépourvu de bons sens ou de logique interne. Cette incohérence, fort heureusement, ne gâche pas le travail purement littéraire de l’autrice ; ce qui est bon reste (vraiment) bon. Mais il n’empêche que cette incohérence est présente, et interroge. J’aurais préféré n’être que soufflé sans avoir à jamais me poser ce genre de questions. J’aurais aimé n’avoir que des compliments à formuler envers Ann Leckie sans avoir à me demander ce qui avait bien pu passer par la tête de ses éditeurs en arrangeant ses textes de cette manière.
Je deviens aigri, je crois. J’arrive plus à profiter comme avant.
Faut que je me ressaisisse.

Au plaisir de vous recroiser.
En attendant, que votre avenir soit rempli d’étoiles. 😉

One comment on “Le Lac des âmes, Ann Leckie

  1. Avatar de CHRISTIANE LACOUR CHRISTIANE LACOUR dit :

    merci, je l ai decouverte avec enthousiasme !!A y est , j’ai tout lu ce qui a été traduit 😉

    Aimé par 1 personne

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