
I WISH – Ryan Oakes (extrait de l’album OPUS)
J’étais pas prêt.
Après un premier tome aussi prometteur que somme toute prévisible – étant donné son positionnement générique – j’étais prudemment enthousiaste ; j’avais le sentiment qu’il s’était passé quelque chose entre moi et son autrice. J’avais le sentiment assez gratifiant d’avoir compris où elle allait m’emmener, de pouvoir me plonger dans la suite de son épique trilogie de space fantasy YA avec la certitude que ses quelques relatifs défauts seraient compensés par un twist thématique et narratif habilement mis en place. J’étais persuadé que cette introduction somme toute classique – bien que diablement efficace – serait bouleversée par une suite espiègle, malicieuse. Quelque chose qui rebattrait les cartes d’une manière faisant un pied de nez à beaucoup des conventions du genre pour jouer à la fois sur les tableaux des conventions établies et des changements nécessaires à une catégorie littéraire qui parfois pêche par une tendance trop forte à faire ce qu’on attend de lui, manquant de fait un peu trop de personnalité à mes yeux.
Et non. Mais oui. Mais non. Mais…
*Soupir résigné*
Le mieux, c’est que je m’y mette. J’ai des sentiments contradictoires à démêler.
Bon. Disons le tout net : pendant une grosse partie de ma lecture, j’étais à la limite de la déception. Parce que pour une bonne partie, j’avais le sentiment d’avoir mal interprété la promesse initiale de Myriam Savary. Aucune faute de sa part, évidemment, mais j’étais vraiment écrasé par l’impression cruelle qu’on ne s’était pas aussi bien compris que ce que j’avais initialement cru. Ce que je pensais avoir anticipé de son ambition n’était simplement pas là. Les éléments que j’avais crus patiemment mis en place dans le premier tome ne laissaient juste pas la place aux renversements thématiques et narratifs que j’étais pourtant convaincu de devoir voir se dérouler sous mes yeux. C’est pas que c’était mauvais – certainement pas ! – c’était juste pas ce que j’attendais.
Il m’a donc fallu passer outre ce premier sentiment gênant, cette espèce de trahison auto-infligée, et reconfigurer mes attentes pour me glisser plus confortablement dans le moule de l’histoire que me proposait l’autrice. Pour ensuite, plus logiquement, de nouveau, appréhender son travail et le juger à l’aune de ce qu’elle voulait en faire.
Et là, deuxième lame. Plus de déception à proprement parler, juste une impression de flottement, tout aussi cruelle, mais d’une manière encore différente. Le truc, c’est qu’une grande qualité de Myriam Savary, en tant qu’autrice, c’est sa volonté de ne rien laisser au hasard ; de ne s’accorder aucun raccourci, pas la moindre facilité narrative. Quand quelque chose arrive, elle ne veut pas – il me semble – que ce soit une surprise totale ou injustifiée. Ce qui suggère beaucoup de détours dans le récit pour que tout soit là au moment de la moindre résolution d’un élément de l’intrigue, y compris la moindre sous-intrigue. Et si je respecte profondément cette volonté, surtout dans un bouquin estampillé YA, une catégorie qui parfois se repose un peu trop sur l’excuse de son intensité pour passer outre le travail de setup, il faut bien dire que parfois, aussi, ça peut être contre-productif. Je ne peux pas dire que je me sois jamais ennuyé, à la lecture de ce deuxième tome, mais j’ai quand même eu, ponctuellement, une pulsion d’accélération ; une envie que ça bouge un peu plus, qu’on avance plus brusquement, qu’on passe moins de temps à lire les personnages s’entrainer ou discuter de leur prochaine décision à prendre. J’avais beau avoir pleinement conscience que tout ce temps pris à explorer les sentiments et volontés contradictoires et complexes de tout·e un·e chacun·e, j’étais pressé par l’envie de juste en arriver au fait, d’avancer un peu plus tout droit, au moins une fois ou deux. Histoire d’être fixé. Cette impression de flottement était je crois née d’une presque trop forte volonté de contrôle de la part de l’autrice, qui, à force de ne vouloir rien laisser au hasard, tirait peut-être un peu trop fort sur les mors de son texte.
Et bon, à ce stade, vous auriez le droit de penser que je n’ai pas aimé ma lecture du tout, que Les Syyrs allaient rejoindre le triste club des sagas pas finies, abandonnées sur la PàL, la faute à une frustration plus grosse que le plaisir procuré.
Non.
Même là, j’étais encore dedans. Vraiment. Même avec ce flottement relatif, il se passait quand même des choses sous la surface. Une tension, un truc bouillonnant, mais juste trop limité pour que j’arrive à vraiment m’enthousiasmer. Ce qui m’a fait tenir, au delà de la simple mais brûlante envie de savoir où tout ça allait aller, quand même, c’étaient des Scènes. Majuscule accidentelle mais incroyablement parlante, alors je la laisse.
À intervalles réguliers, Myriam Savary m’a quand même mis quelques baffes. Pas trop fortes, mais des baffes quand même, comme pour m’éviter sciemment de me laisser endormir. Ou juste parce que chacune de ces scènes étaient trop importantes pour ne pas les soigner, plus simplement. L’essentiel demeure : il y a quelques scènes d’anthologie, là dedans, et je pèse mes mots. J’ai vraiment été impressionné par la qualité d’écriture de certaines des séquences les plus importantes de ce volume. Entre révélations fracassantes et purs moments d’épique, l’autrice a régulièrement fait preuve d’un talent brut assez fascinant, me faisant à chaque fois réviser mon jugement mitigé. Moi qui ai tendance à pré-rédiger ma chronique dans ma tête au fil de ma lecture, je me tapais un mal de crâne oscillatoire assez phénoménal. À deux doigts de l’hernie mentale à pas savoir exactement ce que j’allais vraiment penser de ce tome.
Et puis, et puis… Ces foutues 100 dernières pages. L’illumination. L’épiphanie.
Je me suis fait complètement balader. C’est aussi merveilleux que rageant. Moi qui me targue d’avoir une lecture analytique assez poussée, maintenant, à avoir une certaine capacité à voir venir les choses, à appréhender les structures de ce que je lis même quand je me laisse emporter par le récit brut… Même pas capable de capter un slowburn quand on me le colle sous les yeux. Même pas capable d’anticiper un crescendo pourtant patiemment et assez évidemment mis en place.
*Tsssss*
Cette conclusion, mes aïeux, cette conclusion.
J’ai beau être d’un naturel anxieux, ça doit bien faire une dizaine d’années que j’ai arrêté de me ronger les ongles. Eh bah je peux vous dire que mon pouce a dû craindre pour sa vie pendant ces derniers chapitres. Bordel que c’était bon de me sentir aussi fébrile, page après page, à être à la fois convaincu de savoir où l’intrigue allait tout en étant aussi convaincu d’en avoir aucune foutue idée. Comme il est aussi bon, plusieurs dizaines de minutes après avoir refermé le bouquin, de me sentir toujours aussi fébrile à la simple idée de devoir essayer de vous rendre compte de ce que j’ai ressenti en lisant cette Naissance de Caliera.
Alors ouais, ouais, ouais… Ma conscience politique est toujours un peu gêné aux entournures par certains choix – conscients ou inconscients – de l’autrice sur certains aspects humains de son récit. Sans vouloir aller trop loin dans la volonté d’interprétation ou accuser Myriam Savary de choses injustes, je pense qu’elle aurait peut-être pu éviter certains écueils qui font un peu tâche aujourd’hui à mes yeux ; je dois le dire parce que c’est toujours dans un coin de mon esprit. C’est pas les trucs les plus problématiques du monde, au fonds, et elle compose quand même relativement bien autour pour éviter un vrai malaise, mais c’est là. Je me dis que c’est mon esprit de contradiction qui fait des siennes pour pas être en reste de mon enthousiasme plus qu’autre chose.
Parce qu’à l’aune de la maîtrise déployée par ailleurs dans ce roman, franchement, c’est peanuts. C’est quand même phénoménal, ce sentiment d’avoir juste une main amicale sur son épaule, qui vous guide gentiment dans un roman pendant 80% de sa lecture, pour soudainement sentir cette même main glisser sournoisement sur votre nuque pour fermement vous attraper, vous crocheter l’âme en refusant de vous laisser aller ailleurs qu’elle là où elle l’a décidé pour les 20% restants.
J’avais presque envie d’envoyer un mail d’excuse à Myriam Savary avant même d’écrire cette chronique pour avoir douté d’elle, j’vous jure. C’était intense. Très fort.
Donc bon. Hein. Y a un troisième tome qui va y passer, et sans traîner.
Damn.

Hâte de lire ton avis sur le troisième, du coup ! 😀
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Je vise cet été. Mais j’avoue que je fais pas le malin.
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