
Ça n’est pas un détour de mon programme de lecture initial pour la fin de ce moi de mai, c’est avant tout une mesure d’hygiène mentale suite à ma lecture d’un Jimmy Guieu particulièrement gratiné. Pour contrebalancer la lecture d’un vieux réac’ nul, autant lire un progressiste de génie. Et comme dans mon Fiction n°206 on parlait d’un texte de Sturgeon présent dans le numéro qui nous concerne aujourd’hui, je me suis dit que c’était une parfaite occasion.
À noter une occurrence assez courte pour moi, aujourd’hui, puisque ce numéro contient seulement quatre nouvelles, et que j’y ferai l’impasse – attendue et logique – sur la première partie du roman de Jack Vance, Les Faiseurs de Miracles, n’ayant pas le(s) numéro(s) suivant(s) sous la main. Plus inattendu et inédit à mes yeux dans un Fiction, par contre, je ferai également l’impasse sur la première partie du dossier consacré au sieur Vance ; en espérant par contre d’autant plus pouvoir mettre la main sur le n°201 de Fiction qui contient sa suite. Si ça doit se faire un jour, j’aurais un paquet complet de Jack Vance auquel me confronter pour encore affiner mon avis à son égard, ce sera cool.
En attendant, regardons ce que le reste de ce numéro nous réserve !
Ça, Theodore Sturgeon
(Aucun lien de parenté)
L’intro signée d’un certain P.H. parle de ce texte de Sturgeon comme d’un texte scolaire et ne démontrant encore que peu toute l’étendue de son talent. J’aurais tendance à être d’accord. Le truc reste que le talent – même bourgeonnant – d’un Sturgeon, ça se pose là.
Et dans cette histoire de monstre né d’on ne sait trop quoi au fond des bois, uniquement mu par une curiosité désincarnée, réduisant toutes ses rencontres à l’état de victime, le talent de l’auteur bourgeonne quand même pas mal. Oui, certes, avec une telle prémisse, il aurait sans doute pu faire encore mieux, à terme. Mais c’est déjà très bon, cette écriture clinique et désincarnée d’un monstre qui n’a même pas conscience d’être, qui se contente de bouger en quête d’une compréhension plus fine de son environnement et de ses capacités, sans même le verbaliser ou seulement le penser.
Et moi qui disait que Sturgeon était l’écrivain de l’enfance, comment ne pas jubiler en constatant encore une fois qu’il lui suffit d’une scène ou deux avec la petite fille qui lui sert d’héroïne secondaire pour lui faire voler nos cœurs et l’essentiel de la nouvelle ?
C’est conceptuellement solide, c’est bien rythmé, ça ose quelques petites choses franchement sympathiques, et dans le genre de l’horreur pastorale, c’est a minima bien chouette. Mention spéciale pour la fin, quand même, que je crois que j’adore pour sa terrible sobriété. Pas le plus mémorable des Sturgeon, mais un Sturgeon, donc un peu mémorable quand même. Deux pouces en l’air.
Où guette un sphinx aux ailes en pétales d’angoisse, Daniel Walther
Quel contraste frappant.
Depuis Swa, sans doute un de mes plus gros traumatismes littéraires, dire que je me méfie de Daniel Walther serait un euphémisme. Et bon, si cette nouvelle en particulier n’est pas si pire au vu de ce que ses obsessions ont pu m’offrir de mauvais moments, je pense tout de même pouvoir avancer que ce texte est franchement pas terrible. C’est amateur tout en étant assez ampoulé dans l’expression, c’est fouillis en terme d’enjeux, et niveau intrigue, ça ne propose pas grand chose en dehors d’une seule idée intéressante complètement noyée sous le flot des précisions inutiles que se croit obligé de nous infliger le narrateur. Et tout ça sans aucune profondeur. Pour un peu, si j’étais vraiment de mauvais esprit, je dirais que cette histoire de vaisseau géant perdu dans l’espace m’évoque celle que raconterait un enfant qui n’a aucune idée de comment construire une histoire en dehors de l’exposition pure et simple de son idée, en se laissant aller à toutes les digressions et post-justifications possibles.
On soupire, donc.
L’hydre et le père Noël, Harlan Ellison
Deuxième rencontre avec cet auteur, croisé une première fois dans le Fiction n°202 et des circonstances pas banales.
Et c’était absolument glorieux. On part ici d’une idée évidemment stupide, à savoir « Et si en fait le père Noël c’était une sorte de James Bond ? », mais avec un twist parodique où tous les potards du comique sont poussés à fonds, avec en plus le luxe d’un commentaire socio-politique pas bête du tout, bien que dénué de toute subtilité.
Et voilà, que dire de plus. C’est hilarant, c’est super maîtrisé, c’est merveilleux.
Le lointain voyage, Jean-Pierre Andrevon
Andrevon, c’est mon copain. Certes, je n’ai lu de lui que Le Travail du Furet, en fiction, qui suscite chez moi des sentiments un brin mitigés, quoique assez positifs, quand même, on parle d’un classique pour une raison ; mais son travail de critique me l’a très vite rendu éminemment sympathique tout en me convaincant plus avant de son intellect acéré. J’étais donc fort content de le savoir au sommaire de ce numéro en capacité d’auteur de SF, pour une fois.
Ça fait bizarre de lire un auteur au nom si consacré aujourd’hui être alors désigné comme un jeune auteur prometteur aux côtés de Daniel Walther.
Mais de fait, il faut bien admettre que ça manque de maîtrise, ici. Ou tout d’une moins d’une finalité forte. Certes, c’est cohérent, et assez solide dans l’expression, avec un concept central intéressant, plutôt bien articulé. C’est juste, à mes yeux, insuffisant pour être réellement satisfaisant ou marquant, y a un trou dans la raquette. En restera un exercice formel intéressant sur l’expression de l’amnésie depuis l’intérieur du sujet plutôt que l’extérieur, avec une touche de fantastique un peu trop timide pour être vraiment notable. Disons qu’il y a quelque chose d’autre à faire avec ce qu’Andrevon nous propose ici. Un objet curieux mais pas renversant. Une autre fois.
Et hop, on passe directement aux revues de films et livres, sans rancune Jack Vance, on se recroisera, promis !
Un seul livre en revue, d’ailleurs. Ose, de Philip Jose Farmer, par Demètre Ioakimidis. Première fois, je crois, que je croise ici un bouquin que j’ai eu dans ma PàL à un moment de ma vie. Et je dis ça au passé parce que mon exemplaire a du souffrir d’un tri ponctuel à cause d’une couverture un peu trop… datée. Mais on est pas là pour parler de moi.
Et il a l’air complexe à jauger, ce bouquin. Habité par des questionnements complexes dont la symbolique semble déjà difficile à aborder sans euphémismes à l’époque de la rédaction, apparemment contrebalancé par un vrai talent de conteur au service d’une space fantasy aventureuse, ce roman a l’air de contenir des multitudes. Je crains que certains de ses aspects, notamment la question centrale du sexe – on se refait pas – ne m’aident pas à surpasser mon doute initial, mais bonne chronique, nonobstant ; j’ai le sentiment d’avoir appris des choses.
Les films, maintenant !
Avec d’abord Le secret de la planète des singes, de Ted Post, par Jacques Lourcelles.
Bon, euh déjà, comment ça on résume tout le film, monsieur Lourcelles ? C’est quoi ce travail ? Je comprends bien que vous n’aimez pas le film et que la vacuité que vous lui trouvez est à prouver pour alimenter votre propos, m’enfin quand même, ça se fait pas, ça. Alors bon, sincèrement, ne connaissant le film en question que de loin, par procuration, même si c’est déjà beaucoup plus que la plupart des films que je croise via leurs chroniques dans mes vieilles revues, il me semble que je serais sans doute d’accord avec le présent critique, quand même. Ça sent un peu la suite sans imagination ni autre volonté que de piocher à nouveau dans une manne financière inattendue ; toute l’ironie étant que Lourcelles, en se basant sur la fin de ce deuxième opus, parie sur l’absence d’un troisième. Si je dis pas de conneries, on aura droit à trois autres épisodes, puis deux reboots, dont une autre saga complète. Tout le monde n’est pas fait pour être prophète.
Ensuite, Alain Garsault nous parle de La mort trouble, de Claude d’Anna et Ferid Boughdir.
Ç’a l’air très mauvais, ce film. Même si je dois bien dire que la descente en flèche que nous offre le critique est salement confuse et ampoulée. Une phrase sur deux, je ne suis pas convaincu de comprendre exactement le propos. Mais je crois que ne rate pas grand chose, alors c’est pas très grave.
Finissons donc avec Aladin et la lampe merveilleuse, de Jean Image, toujours par Alain Garsault.
Et là non plus, ça ne donne pas envie du tout, et c’est bien le but. Au moins, ici, les arguments mobilisés par Garsault sont aussi clairs que convaincants : le film se contente de vouloir reproduire des recettes qui ont déjà fonctionné, mais sans imagination, moyens, ni audace. Un film d’animation terne, qui n’ose rien et pèche par consensualisme forcenée. Je n’ai pas connaissance de ce film et je ne sais pas à quoi il peut réellement ressembler, mais connaissant nos traditions de médiocrité frileuse, je suis tout à fait disposé à faire complètement confiance au critique, sur ce coup. C’est beau, hein ? C’est français.
Un bon numéro ! Évidemment, Sturgeon, parce que Sturgeon, mais quand ce dernier se fait voler la vedette par un autre texte signé par un autre nom que lui, c’est bien qu’il s’y est passé quelque chose ; Harlan Ellison m’a fait rire aux éclats, et c’est rare. Rien que pour ces deux nouvelles, ça valait encore une fois grave le coup de faire ce petit détour. Des bisoux, Jean-Pierre Andrevon, je ne doute pas que nous nous recroiserons sous de meilleures auspices. Daniel Walther, je t’ai toujours à l’œil, fais gaffe.
Mais bref, reprise des activités habituelles sur le blog, non sans vous laisser avec un petit quelque chose en plus, une petite surprise ! Sans doute parce que c’était le 200e numéro, ce qui, il faut bien l’admettre, est quand même un jalon notable, ce numéro de Fiction avait une couverture spéciale, intégrale ! Après tout, quand on embauche Siudmak, on en veut pour son pognon, c’est logique. Alors en plus du recto coutumier en en-tête de la chronique, je vous offre le verso en conclusion. C’est cadeau, ça me fait plaisir.

Au plaisir de vous recroiser.
En attendant, que votre avenir soit rempli d’étoiles. 😉

L’hydre et le père Noël, elle vend du rêve ! (la couv’ aussi !)
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