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Femmes au Futur, Marianne Leconte

« Féminine », l’anthologie, pas « féministe ».
Comme si y’avait eu une petite déconnexion entre l’anthologiste et son éditeur, dites.

bad guy – Billie Eilish (extrait de l’album WHEN WE FALL ASLEEP, WHERE DO WE GO ?)

J’avais prévu de m’attaquer à cette anthologie trouvée en occasion le mois dernier, et puis je sais pas trop pourquoi, je l’ai moins senti, alors j’ai repoussé. Et maintenant, je me dis qu’il est temps de m’y remettre, sans plus d’explication.
Quant au pourquoi de ma motivation à lire une telle anthologie, j’ose espérer que c’est évident, au delà d’une curiosité un peu circonspecte au sujet de son organisation éditoriale : disons que la couverture me laisse deviner un parcours complexe.
Et ce sans parler de la maquette : pas de propos introductif, aucune explication de la démarche générale, rien d’autre que de courtes notules biographiques et succinctement bibliographiques en exergue de chaque nouvelle. C’est un peu court, et non moins frustrant.
Après, si les textes sont bons… On va voir ça ensemble.

Les funérailles, Kate Wilhelm
Eh bah on commence assez fort, dites. C’est qu’elle avait des choses à dire, « la femme de Damon Knight ». (Ceci est de l’ironie à propos de la notule biographique proposée par l’anthologie à propos de l’autrice, hein, au cas où, me mettez pas tout de suite au pilori, merci.)
Blague à part : solide. Très solide. Comme quoi ma recension acide du Fiction n°177 n’était pas gage de quoi que ce soit ; c’est clairement un excellent texte que je viens de lire, gage des qualités de son autrice. Thématiquement, dites vous qu’on se tient quelque part non loin de La Servante Écarlate, avec une touche du Meilleur des Mondes. La chronique bien glauque, bien dystopique, de la vie d’une jeune femme qui semble vivre dans une communauté très organisée et extrêmement sévère, alors que sa Matriarche, agée de 120 ans, vient de décéder, provoquant des bouleversements notables dans ladite communauté.
Ce qui est très réussi, ici, c’est l’économie de moyens et la narration en creux découlant d’un cadrage précis et très resserré : tout nous est conté du point de vue de Clara, aspirante à une certaine position au sein de son groupe, victime de pressions et d’une ignorance savamment entretenue. Là où le récit est particulièrement intelligent, à mes yeux, c’est qu’il parvient à raconter énormément de choses en creux, sans les exprimer frontalement, laissant même quelques zones d’ombre suggérant une certaine liberté d’interprétation : Kate Wilhelm tient son concept avec une forte poigne, ne laissant rien déborder. Et de fait, toute la frustration de ne pas forcément comprendre exactement ce qui se passe à tout moment est largement compensé par l’excitation d’essayer de comprendre ou d’imaginer comment et pourquoi ce monde en est arrivé là, et son fonctionnement.
La chute est peut-être un tantinet trop du côté de la frustration, à cet égard, mais ce serait faire un mauvais procès à la nouvelle ; son intérêt tient clairement plus à son trajet qu’à sa destination. Il raconte beaucoup de choses passionnantes, et le fait fort habilement. Super entrée en matière.

La belle Éléonore est morte, Raylyn Moore
Alors là, je suis assez cruellement partagé. D’un côté, on a un concept assez audacieux plutôt bien exécuté sur la forme et sur le fonds, mais de l’autre, je trouve quand même le texte assez daté dans certaines de ses implications.
Dans l’idée, Raylyn Moore ne nous propose que très simplement une anticipation où l’homosexualité est devenue la norme, mais en cadrant là aussi son récit de façon très resserré, par le point de vue de Paul, « épouse » du couple qu’il compose avec son « mari » Phillipe. Et c’est sur ces termes entre guillemets que ma relative gêne vis-à-vis de l’âge du texte repose. Parce que si le principe d’une inversion des charges par rapport à la société au moment de la rédaction de ce texte me paraît être une charge justifiée et assez réussie contre l’homophobie et certaines normes sociales discutables, j’avoue que là, maintenant, l’idée d’une répartition binarisée des tâches et des fonctions au sein du couple me semble faire un peu tâche ; comme s’il avait manqué un élément d’altérité pour compléter le tableau. Alors je comprend bien que les luttes ont évolué depuis 1976 (en VF en tout cas), mais il y a quand même à mes yeux quelque chose de réducteur dans les simples dénominations de couples « phalliques » et « clitoridiens », composés d’un rôle de mari et d’un rôle d’épouse. Un truc un peu essentialiste par ricochet, quand Paul est appelé « petite reine » par son Phillipe ou que les couples qu’on nous raconte sont formés par une partie virile qui aime le sport, les armes à feu et la politique, et une partie plus douce, qui aime faire la cuisine, la couture et le travail du foyer.
Si je trouve le texte honnêtement intéressant, et plutôt bien foutu, je ne peux pas m’empêcher de me dire qu’il lui manque un p’tit supplément d’âme, un petit dernier effort pour vraiment tenir complètement la distance, et vraiment être pleinement réussi. Dommage. Bien mais pas top, en somme.

Lorsque tout changea, Joanna Russ
Pas mal du tout non plus, ce court texte ! Avec l’idée toute simple d’une colonie entièrement féminine dans laquelle des hommes font irruption pour la première fois depuis fort longtemps. C’est peut-être un poil trop didactique dans ses thèses et sa façon de les présenter, mais le fonds de l’affaire est trop fondamentalement malin pour trop faire la tronche. C’est le genre de nouvelle qui fonctionne bien mais qui promet en creux beaucoup plus de choses qu’elle n’en offre réellement ; je pense qu’en novella ou en roman bien fouillé, ça pourrait être absolument formidable. Mais ce n’est qu’une nouvelle, alors on se contente de ce qu’elle nous offre présentement. C’était bien.

Le temps des masques, Katia Alexandre
À noter ici, en préambule, un détail assez fascinant : la notule introductive du texte, après une très courte présentation de l’autrice, nous prévient que le texte qui suit « est d’une rare misogynie ». C’est pas banal, dans une anthologie féminine, il faut bien le dire.
Forcément, avec un tel avertissement, je n’ai pas pu m’empêcher de lire ce texte au travers du prisme de cette avertissement. Et… Je sais pas ? C’est très bizarre. Le truc, c’est que la nouvelle nous introduit un futur matriarcal né d’une doctrine psychologique devenue religion, où les femmes ont repris le pouvoir sur le patriarcat, donnant naissance à une société matriarcale qu’on devine ou lit assez brutale, à base d’expiations et de féminin sacré, d’eugénisme assumé, de retraites spirituelles, où toutes les femmes portent des masques, mais ont des jambes sublimes.
De fait, je crois que j’arrive à situer cette accusation de misogynie au niveau du comportement féminin général assez cruel et misandre, faisant des femmes des créatures rancunières et revanchardes, reproduisant les défauts qu’elles reprochaient précisément aux hommes ; en gros disant que le féminisme risque d’aller trop loin si on ne le limite pas. C’est effectivement un raisonnement fallacieux et sournoisement misogyne, il me semble, mais uniquement si on décide d’interpréter les intentions de l’autrice de cette manière.
Et j’avoue que je ne suis pas convaincu du tout par cette lecture, étant donné la place donnée aux hommes dans cet univers. Discrets, certes, mais présents quand même, et dont l’héritage culturel ne me semble pas du tout avoir été effacé par l’intervention de la psychologue/messie introduite dans le récit comme la fondatrice de ce monde nouveau. La protagoniste elle-même semble avouer à demi-mots avoir intégré beaucoup des traits toxiques qu’elle prête aux hommes, regrettant par ailleurs une relation avec un homme, à laquelle il apparaît elle n’avait pas vraiment le droit. J’aurais tendance à voir dans ce récit, personnellement, la dénonciation de la continuité des rapports de domination, sous toutes leurs formes, plutôt qu’une quelconque attaque essentialiste à l’encontre des hommes ou des femmes en particulier. Ici, les femmes ne semblent pas valoir grand chose de plus que les hommes, se vantant d’une supériorité naturelle, uniquement induite par des théories qu’on devine fumeuses, issues de la pensée d’une femme qui s’est érigée en contre-modèle de Freud.
Vous l’aurez compris, c’est assez confus, pour ne pas dire bordélique. Et de fait, au delà d’une quelconque question analytique, je n’ai pas beaucoup aimé ce texte. À l’image de ma difficulté à en extraire le sens profond, je crois que ce texte ne savait pas vraiment ce qu’il voulait raconter ; ou du moins qu’il s’est planté pour l’exprimer clairement, en cela certainement pas aidé par la couche potentielle d’interprétation supplémentaire ajoutée par la distance temporelle. Il y a effectivement, à mes yeux en tout cas, quelques degrés au travers desquels passer pour parvenir à interpréter correctement l’expression du girl power brandi par la protagoniste de cette histoire.
Le féminisme, comme toutes les luttes, évolue constamment ; et ce qui pouvait être une revendication sérieuse et étayée à une époque peut devenir un slogan creux ou ironique seulement quelques années après ses premières incarnations. Du coup, ici, un argument comme « les femmes sont supérieures parce qu’elle n’ont besoin que de faire jouir un pauvre type pour perpétuer l’espèce », il m’est impossible de savoir s’il est utilisé premier degré ou avec ironie, d’autant plus au sein d’un texte qui, de base, use d’un ton difficile à interpréter. Sans parler de la symbolique des masques, qui vont se ficher jusque dans le titre.
Bref, je suis tout tiraillé. D’un côté, objectivement, je trouve le texte assez foutraque, mal structuré, pas clair dans ses intentions et dans sa narration, potentiellement assez gênant… Et de l’autre, subjectivement, alors que c’est un texte assez court, c’est probablement celui sur lequel je reviendrais le plus volontiers pour essayer d’en extraire quelque chose de vraiment solide en terme d’interprétation ; c’est sans doute celui qui pour l’instant, m’a donné le plus de grain à moudre. Et j’adore moudre du grain.
Heh. *Haussement d’épaules et des mains*
[EDIT : Et pas des moindres, puisque l’ami PPD – if you know, you know – m’a précisé que Katia Alexandre était en fait le nom d’une autrice, mais parfois utilisé par Michel Jeury, avec qui elle travaillait ; il a plus tard admis avoir entièrement rédigé ce texte, comme d’autres. Le symbole est tellement énorme que je n’ai rien à rajouter, je crois. Un mec qui se travestit littérairement pour prendre la place d’une femme dans une anthologie féminine et en signer l’un des textes les plus problématiques, c’est… *Grincement de dents*]

Les femmes de Gordon, Josephine Saxton
Ironiquement, ici, c’est beaucoup plus direct, mes sentiments sont infiniment plus clairs, et de fait, j’aurais beaucoup moins de choses à dire. On suit Gordon, un gros con qui co-gère une planète entière avec trois autres hommes, à l’aide d’un cheptel de femmes muettes et obéissantes, un « synapse mortel » implanté dans leurs cerveaux, sacrifiables à volonté dès lors qu’elles ne le satisfont pas, fut-ce un cheveu dans son repas. Et Gordon s’ennuie. Il n’a personne contre qui jouer aux échecs en dehors de ses copains hommes, et il voudrait bien un héritier garçon pour combler les vides de son cœur et de son esprit.
Sauf que twist.
C’est malin, c’est bien fichu, c’est amusant et mordant, c’est frontal sans être complètement simpliste. Deux pouces en l’air.

La fin vivante, Sonya Dorman
Très court texte, qui fait plus office d’expression rapide d’une idée qu’autre chose. C’est efficace, ça frise avec le body horror sans trop verser dans le graphique non plus, et ça raconte des petites choses intéressantes en creux, c’est sympathique. Un peu frustrant, sans doute, à mes yeux, parce qu’en dehors de la chute et de certains éléments de mise en place suffisamment incarnés, c’est quand même assez léger, conceptuellement parlant. Mais bon, ça fonctionne quand même, j’imagine que je ne peux décemment pas trop me plaindre.

La chanson de Tommy, Kit Reed
Hmmpf.
Je crois que je déteste profondément ce texte. Je crois que cette histoire de jeune fille obèse et boulimique obsédée par son corps et l’apparence rêvée qu’elle pense devoir avoir pour séduire son chanteur favori est née d’une grossophobie sensationnaliste culturellement ancrée dans l’esprit de son autrice. En tout cas, j’ai du mal à croire l’inverse. De fait, je n’ai pas envie de m’étendre plus que ça sur cette nouvelle. Elle m’a mis cruellement mal à l’aise.

Le journal de la Rose, Ursula Le Guin
C’est la deuxième fois que je croise un texte de Le Guin que j’ai déjà lu auparavant dans ses Quatre vents du Désir ; je vais commencer à croire à un complot aussi bizarre qu’inexplicable. La bonne nouvelle, ici, c’est que dès le titre, j’avais identifié le récit en question, et j’étais de fait très content : parce que cette histoire est probablement ma favorite signée de l’autrice – la preuve, je m’en souviens encore – et que je suis ravi d’avoir ainsi une occasion d’en parler plus en détails.
Le fait est qu’au delà de l’apprécier en tant qu’expérience de lecture, ce texte est, je pense, un des témoins les plus flamboyants des raisons pour lesquelles, en dépit de mon relatif manque d’amour pour son travail en général, je ne vais probablement jamais lâcher l’affaire avec Ursula K. Le Guin. Parce que pour 10 moments de frustration ou de lassitude, si j’ai *un* Journal de la Rose, alors le jeu en vaut la chandelle.
Je pense sincèrement que cette nouvelle est un petit chef d’œuvre ; et la relire en sachant pertinnemment dans quelle direction il allait ne l’a en rien gâché, au contraire (même si je me demande si la version publiée dans Les quatre vents du Désir n’est pas légèrement différente).
La force de ce récit, je pense, c’est d’avoir su avec une telle précision et une telle acuité écrire entre les lignes sans rien sacrifier à l’expression de ses personnages. Il y a tout, là dedans : un concept science-fictif hyper solide, bien vulgarisé et situé à la parfaite frontière entre l’abstraction et la familiarité avec le psychoscope, une narration intériorisée hyper organique au travers du journal professionnel de notre héroïne docteure, et une intrigue aussi accessible que simplement captivante avec ce patient spécial dont on comprend très vite, à l’instar de notre protagoniste, qu’il n’est pas vraiment là à cause d’une maladie mentale.
C’est le genre de textes où enfin je saisis vraiment l’engouement pour cette autrice si singulière qu’est Ursula Le Guin, où enfin, j’ai le sentiment de pouvoir passer à travers le voile qui d’ordinaire met de la distance entre nous : ici je comprends complètement ce qu’elle veut me raconter, et je suis absolument subjugué par la façon qu’elle a de le faire. C’est un texte incroyablement intelligent, foudroyant de subtilité et d’efficacité. En un mot, renversant.

Les trois J, Marianne Leconte
J’espère que ce n’était pas l’anthologiste ici présente qui écrivait les notules introductives à chaque texte. Parce que sinon, le « Marianne Leconte participe depuis plusieurs années au grand renouveau de la science-fiction française », j’avoue qu’il me ferait bien grincer des dents. Mais ne faisons pas trop œuvre de mauvais esprit : partons du principe que l’autrice et anthologiste n’était là que pour la curation des textes et rien d’autre ; que ce que je considère comme la pauvreté paratextuelle de cette anthologie n’est pas de son fait. Or donc : le texte.
Et huh. En voilà un texte singulier. J’avoue que d’entrée de jeu, j’étais pas très confiant ; le format hybride entre prose et théâtre, avec introduction des scènes et présentation des personnages, le côté un peu meta/ironie poste-moderne de l’ensemble, c’était déstabilisant. Non moins déstabilisant d’ailleurs que le propos sous-tendant le récit, sur une ligne de crète très dangereuse entre la moquerie trop frontale de certaines cibles confinant à l’auto parodie, et la dénonciation trop subtile se prenant les pieds dans le tapis de sa propre démonstration par l’absurde.
Le truc c’est que Marianne Leconte, ici, je crois, nous dépeint un monde essentialisé pour le pire, avec juste assez de petits éléments pour nous faire comprendre que quelque chose cloche, et que c’est complètement voulu de sa part ; le hic, c’est que l’intention derrière n’est pas aussi clair que son ton sardonique. Il aura fallu un dernier twist plutôt bien foutu, même si pas renversant, pour que je comprenne de quoi il était réellement question, je crois.
Et de fait, il me semble qu’à l’aune de ce que j’ai compris : j’aime bien. C’est peut-être un peu trop cynique dans la construction, avec cette approche un peu caricaturale de ce que l’autrice veut satiriser, peut-être un poil trop… trop, avec ce portrait croisé de trois femmes, une brune, une blonde et une rousse dans un monde d’hommes, mais au final, ça fonctionne quand même. Et d’une certaine manière, c’est assez moderne, avec une certaine nuance. C’est pas parfait, et il y a peut-être une erreur d’interprétation des intentions de l’autrice de ma part, mais la base est bonne. Cool, donc.

Le TIM, Pamela Sargent
Ça me fait un peu rire que la notule introductive de cette nouvelle salue le travail de l’autrice sur une anthologie féminine qu’elle a elle-même dirigée, et dont « la préface est remarquable », sachant que je n’ai même pas eu droit à une préface, ici. Ironie quand tu nous tiens.
Pour ce qui est du texte lui même, je pense que c’est une bonne idée très mal exécutée. L’histoire d’une responsable des transports publics dans une grande ville américaine confrontée à l’émergence d’une invention permettant à ses usagers de se téléporter librement et a priori en toute sécurité n’est certainement pas dénuée d’intérêt, mais Pamela Sargent, à mes yeux, prend son récit à l’envers. Elle part des implications personnelles pour son héroïne, nous exposant simplement son rejet de l’invention, avec des doutes peu argumentés et des conflits purement humains, sans vraiment nous exposer les raisons profondes de son rejet de cette invention pourtant âprement défendue par ceux qui la portent.
Si on ajoute à ça une vision trop essentialisée des porteurs et porteuses des enjeux que se propose de traiter le récit, ça fait que l’ensemble est à mes yeux très faible et peu engageant ; j’ai avancé en me demandant quel était exactement le cœur du raisonnement et/ou de la démonstration de l’autrice. Et quand vient l’explication, elle est balayée en quelques pages, en guise de conclusion, sans réelle portance.
Il y avait indubitablement quelque chose à creuser ici, mais le travail fourni par l’autrice me paraît amplement insuffisant. Dommage.

Une aventure d’Una Persson, héroïne du temps et de l’espace, Hilary Bailey
Eh bah c’était bien nul. Comme son nom l’indique, je crois que c’est l’histoire d’une meuf qui voyage librement dans le temps et l’espace. Sauf que je ne sais pas pourquoi, comment, ni dans quel but. Ce texte n’est qu’une looooongue accumulation de péripéties absconses et démantibulée, qui s’enchaînent comme les morceaux d’un rêve, fusionnés les uns au autres pour en faire une longue chimère serpentine biscornue. C’est complètement nébuleux, et de fait passablement ennuyeux, et ça finit sur une queue de poisson scénaristique encore moins claire. Le tout agrémenté de dialogues sans queue ni tête.
Tout ce que je déteste, en somme.
Tu parles d’une conclusion.

Parce que oui, en fait, ce que j’ai pris pour un dernier texte placé en dernière position du sommaire de cette anthologie, titré Une autre, femme, signé de Marianne Leconte, était en fait sa postface !
Je retire donc tout ce que j’ai dit sur le manque de motivation exprimé pour la constitution de ce bouquin, j’ai été mauvaise langue. Mais je préfère ça ; moi qui me résignais doucement à devoir me fier uniquement à la quatrième de couverture de l’ouvrage pour vous donner un semblant d’interprétation quant aux ambitions de son anthologiste, au moins je vais avoir de quoi me mettre sous la dent. Voyons ça.
On part d’un constat implacable et qui a cruellement vieilli : la SF est un genre réservé aux hommes, malgré les émergences ponctuelles d’autrices talentueuses, et ce à toutes les époques. Des récits d’hommes pour les hommes, avec des hommes dedans, et où les femmes ne font office que de faire-valoir ou d’antagonistes, en fonction des qualités qu’on leur prête.
Intéressante projection de Marianne Leconte, qui déplore le fait que lorsque les hommes s’emparent des femmes comme sujets et non comme objets, ils sombrent très souvent dans l’écriture d’un matriarcat dépourvu des qualités qu’ils prêtent d’ordinaire aux femmes ; comme s’il n’y avait finalement que deux archétypes valables à leurs yeux : l’idéale femme au foyer docile et la regrettable femme libérée uniquement portée par son ressentiment misandre.
Mais ici, je suis très content, parce que Marianne Leconte porte un regard particulier sur les femmes écrites par les femmes, et note l’intériorisation malsaine à laquelle peuvent se livrer les femmes elles-mêmes, devenant vindicatives et agressives les unes envers les autres, expliquant bien mieux la présence du Temps des masques de Katia Alexandre dans ce recueil [RE-EDIT : Et ce avec une ironie affreusement mordante, du coup]. L’anthologiste voit dans ce texte l’expression d’une aussi néfaste lutte intra féminine, nourrie de rivalités, de mauvaises paroles et d’agression, où les femmes se dévalorisent mutuellement pour améliorer leur position sur le marché aux yeux des hommes. C’est effectivement un angle que j’avais laissé passer dans ma propre analyse, ne le trouvant pas assez développé dans le texte ; mais ainsi je comprends d’autant mieux l’accusation de misogynie en introduction, puisque aux yeux de Marianne Leconte, l’autrice démontre ici qu’elle a elle aussi intériorisé une partie de cette rivalité, critiquant violemment son propre genre au travers de son texte. Ça expliquerait une partie de ma gêne, effectivement, même si je pense quand même que l’idée de la critique de la continuité des rapports de domination fait toujours au moins un peu sens. Je reste partagé.
Mais l’idée semblant être de ne quand même pas perdre le véritable adversaire de vue, Marianne Leconte nous cite Jacques Sadoul, qu’elle traite de redoutable misogyne, sans doute à raison :
« Joli lot de Terriennes à vendre. Elle peuvent servir d’épouse, de maîtresse, d’esclave. De nourriture ».
Effectivement, comme elle le dit elle même : sans commentaire.
Mais Marianne Leconte veut être optimiste, semble-t-il, et note un basculement autour des années 50, où selon elle, la SF veut s’éloigner des simples concepts technologiques et du sense of wonder qui ont vu naître le genre, pour s’intéresser plus avant aux implications de ces inventions : les sciences sociales et humaines s’intègrent au canon de la science-fiction. Elle cite Simak, Sturgeon, Bradbury ou Van Vogt comme des pionniers de ce renouveau, et ma maigre expérience me tendrait à croire qu’un intrus s’est glissé dans sa liste. Mais elle cite Les plus qu’humains comme exemple, alors on va se concentrer là dessus.
Elle continue ensuite en appuyant ce renouveau par l’émergence d’un bon paquet d’excellentes écrivaines, anglophones traduites et francophones. Je plaide coupable ; la moitié ne m’est pas parvenue, surtout chez les francophones, et dans cette moitié que je connais, encore une moitié a échappé à ma lecture. Il est clair que le matrimoine a été moins bien soigné que le patrimoine, dans cette affaire.
Le fait est que l’anecdote narrée ici par Marianne Leconte illustre très bien le fonds du problème : elle avait une amie libraire, spécialisée en SF, qui bossait aux côtés de son mari, tellement spécialiste qu’elle s’y connaissait mieux que lui et lisait bien plus. Et pour autant, dès qu’elle devait donner un conseil à un lecteur masculin, ce dernier se tournait vers son mari pour une vraie confirmation.
Mais c’est dans ces luttes et ces frustrations que naît l’idée de la présente anthologie, de fait : quel place pour la femme du futur, alors que commence enfin une réelle émancipation, et que les sciences sociales leur donnent les outils pour se livrer à un véritable exercice de prospective ? L’ambition de l’anthologiste, ici, était donc de montrer que la voix féminine avait des choses à dire qui n’étaient pas les mêmes choses que celles que pouvaient dire les hommes, sur des sujets spécifiques ou non ; que les femmes pouvaient écrire des textes dignes d’intérêt, qui ne puissent pas être balayés d’un revers de la main en disant que c’était simplement « de la littérature féminine ».

Et donc, Marianne Leconte s’interroge ici sur le sens de cette prétendue spécificité de la littérature féminine, sur la base d’un sondage rapide de son entourage : la littérature dite féminine est censée être mièvre, romanesque, lyrique, sentimentaliste et tendre. Que des connotations négatives ou presque, évidemment.
Et ici, évidemment, ça cite Simone de Beauvoir : « on ne nait pas femme, on le devient ».
En gros, 1976, ça parle éducation genrée et déterminisme social pour amener à la liberté créatrice chaotique des garçons et à la docilité carcantée des filles. À deux doigts de partir sur l’intersectionnalité. Comme quoi, définitivement, on est juste en retard à l’allumage : ça fait 50 ans au moins qu’on nous explique ce qui va pas, et on a pas voulu entendre ou agir en conséquence. C’est déprimant. Lire l’idée que la féminité est une invention masculine, même si ce n’est pas la première fois, dans un bouquin de SF des années 70, je vous jure que ça fait pas du bien.
Et pour en revenir à la SF, j’aime beaucoup la verbalisation des ambitions créatives de Marianne Leconte : une SF féminine de qualité, ce serait une SF dépouillée de cette vision masculine de la féminité, mais en conservant les bons côtés de son conditionnement. Une SF exigeante qui saurait mobiliser son intuition, en ne considérant cette dernière que comme un signe d’intelligence dérivé d’une capacité presque camouflée des femmes à réussir là où on voudrait qu’elles ne réussissent pas, à anticiper les besoins et désirs des hommes autour d’elles, mais sans démarche intellectuelle visible.
Et de fait, les héroïnes des premiers écrivaines aptes à se dépouiller des stéréotypes qu’on attendait d’elles se retrouvent aux prises avec des problèmes et situations bien plus proches des réelles luttes sociales et civilisationnelles. Un nouveau prisme d’écriture suggère automatiquement un nouveau prisme de lecture ; l’altérité amène l’altérité.
Marianne Leconte, ici, prend comme exemple les textes qu’elle a choisis pour son anthologie ; où toutes les héroïnes, d’une manière ou d’une autre, sont aux prises avec ces problématiques, s’en tirant plus ou moins bien quant à leur émancipation. Et je trouve ça très cool, parce que ça apporte un regard englobant sur l’entièreté du bouquin ; c’est exactement ce que je réclamais, en dépit de mon mauvais esprit : une intention générale, un liant motivationnel, une démarche d’ensemble.

Mais c’est encore moins cool, je trouve, que le contrepoint auquel se livre ensuite Marianne Leconte, essayant de considérer les limites de la littérature féministe, prenant en compte la possibilité non négligeable d’une vision tronquée ou pas totalement dépouillée du conditionnement dont sont victimes les femmes. Elle prend ici en exemple un texte que je ne connais pas, signé de Christine Renard et paru dans Utopies 75 – sans en donner le titre, c’est ballot quand même – où un matriarcat égalitaire est dépeint par l’autrice, mais où les hommes sont exclus. Etonnamment, ici, c’est plutôt le statut surprotégé des femmes dans cette société qu’elle critique ; des femmes qui ne sont pas capables d’initiative et qui plutôt que de réellement se libérer, s’enferment davantage.
En somme, elle pointe très justement du doigt que l’émancipation est un combat perpétuel, qui nécessite un regard critique sur soi-même et sur les conditions de la lutte ; que mêmes les meilleures intentions ne sont rien sans une exécution à l’avenant de ces dernières. Elle cite d’ailleurs Le TIM, à cet égard, où selon elle, en dépit d’un personnage féminin central et montré comme intelligent et alerte, Pamela Sargent cède à certaines facilités essentialiste, prêtant des défauts très « féminins » à son personnage, sans doute sans le vouloir. Il est compliqué de conscientiser et exorciser ce qui a toujours été là et semble aller de soi.

Marianne Leconte conclue sur l’idée solide que l’on écrit finalement que des reflets de ce qu’on connait, expliquant les différence flagrantes de perspective entre les textes écrits par des femmes ou des hommes.
Elle cite Pamela Sargent dans la préface de son propre ouvrage, Femmes et merveilles : « Seuls le fantastique et la science-fiction peuvent nous montrer les femmes dans des cadres et des milieux neufs et inconnus. Ils peuvent étudier ce que nous pourrions devenir quand les présentes contraintes qui pèsent sur nos vies disparaitront ou évoquer les nouveaux problèmes, les nouvelles restrictions qui peuvent naître. »
En 1976, nous n’en étions d’après elle qu’au début. Effectivement.
Mais au vu des arguments et craintes qu’elle déploie, force est de constater que ce début est long.

Eh bah j’ai été salement mauvaise langue, moi, dites !
Vachement bien, cette anthologie. Alors oui, tous les textes n’étaient pas à mon goût, et en dépit de mon impression tenace que deux trois d’entre eux n’étaient là que pour faire le volume et avoir des noms au sommaire, faute de réellement interroger la place des femmes au sein de la société, future, passée ou présente, par le prisme de la SF, il n’empêche que Marianne Leconte, avec cette postface, défend drôlement bien son bout de gras. De fait, son regard critique et motivé sur tous ses choix littéraires donne énormément de poids à ces nouvelles, y compris les plus primairement insatisfaisantes pour moi, et donc éclaire cette anthologie toute entière d’une lumière foutrement flatteuse.
Et même si mon esprit critique se tortille en me faisant dire qu’il y a clairement des angles morts dans certaines présentations de texte et certains points de vue développés par les autrices de ce bouquin – grossophobie et psychophobie larvée, notamment – il demeure quand même que les réflexions menées là-dedans sont extrêmement d’actualité, dans l’ensemble. Et c’est aussi déprimant que réjouissant. Déprimant parce que, comme toujours, on a beaucoup trop de retard sur des luttes qui me paraissent aujourd’hui plus vitales que jamais, à la mesquine échelle de la littérature comme celle essentielle de la société toute entière ; mais réjouissant parce que mine de rien, ça veut dire qu’en fait, des bouquins vraiment glauques et rétrogrades, il n’y en a peut-être pas tant que ça à trouver au gré de mes fouilles archéo-littéraires.
On va choisir de se réjouir avant tout.
Bref, bonne anthologie ; une preuve de plus qu’en fait le paratexte et l’intertextualité, quand c’est bien structuré, c’est au moins aussi bon que les textes dont ils parlent. Youpi, encore plus de mots à lire.

Au plaisir de vous recroiser.
En attendant, que votre avenir soit rempli d’étoiles. 😉

One comment on “Femmes au Futur, Marianne Leconte

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