
Ropes – In Flames (extrait de l’album Sounds of a Playground Fading)
The Fisherman fait partie de ces bouquins dont la lecture initiale n’aura pas forcément été couronnée de succès, ou pas aussi enthousiasmante qu’espérée, mais qui pour autant, me restent en tête avec insistance ; dont je me dis quand même qu’elle a eu une certaine influence sur moi, qu’elle a laissé une trace.
Alors forcément, quand j’ai croisé la lecture qui nous concerne aujourd’hui dans le programme de J’ai Lu pour cette fin d’année, je n’ai pas hésité une seule seconde : John Langan est un auteur a minima intéressant, j’ai envie de creuser son œuvre. Et je ne dois pas être le seul, puisqu’un peu à l’image des publications des romans de Michael McDowell chez Monsieur Toussaint Louverture, on met les petits plats dans les grands, avec des sorties directes en poche, format semi-luxe, couvertures chiadées qui vont bien, jaspage rouge à l’ancienne, histoire de bien montrer qu’on y croit. Et c’est de bonne guerre : quitte à faire dans le collector et l’évènementiel, autant le faire en poche, je pense que c’est gagnant-gagnant, surtout si les romans sont bons.
Ce qui nous amène à mon avis sur ce roman : dès que j’ai compris que c’était le premier texte publié de son auteur, j’ai baissé le cran de mes attentes, histoire de ne pas subir un Effet Zelazny© trop violent. Un exploit formel comme celui de The Fisherman ne s’accomplit pas en un jour, et certainement pas du premier coup ; d’une certaine manière, je me doutais que House of Windows ne serait pas à la hauteur du tout. J’ai plutôt abordé cette lecture d’un point de vue « scientifique », si j’ose dire, avec l’ambition de tracer un premier segment dans la trajectoire littéraire de son auteur. Pour voir d’où John Langan était parti avant de réfléchir à où il était arrivé. Tout en espérant, tout de même, une bonne surprise. On sait jamais.
Bon. Autant dire que j’ai eu raison d’être prudent. On sent assez fort que c’est un premier roman. Est-ce que c’est mauvais ? Sincèrement, non. Est-ce que c’est bon, pour autant ? Franchement, non plus. C’est… compliqué.
Décortiquons ça, voulez vous.
Roger Croydon, célèbre professeur et spécialiste de Charles Dickens à l’Université de New-York, a disparu, et personne ne semble en mesure d’expliquer comment ou pourquoi c’est arrivé. Personne en dehors de sa femme, Veronica Croydon, ancienne élève de Roger, avec qui il s’était installé dans sa mythique demeure de Belvedere House, ne sait réellement ce qui a pu lui arriver. Et c’est justement sous le poids de ce secret que Véronica ploie, se résolvant finalement, des mois après la disparition, à confier ce qu’elle sait à un auteur de romans d’horreur de sa connaissance.
L’ombre de The Fisherman plane cruellement sur ce roman, soyons honnêtes. Le truc, c’est bien que c’est avec ce genre de lecture que je me rends encore un peu plus compte que certain·e·s auteurices n’écrivent pas tant un certain nombre d’ouvrages qu’iels écrivent le même texte en boucle en en changeant juste ponctuellement quelques éléments ; iels remettent toujours à l’ouvrage le même bloc d’argile en espérant, à force d’essais, en retirer un résultat final assez satisfaisant pour pouvoir réellement passer à autre chose. Ce n’est pas une critique, c’est simplement un constat aussi froid que possible. C’est juste que des fois, ça se voit particulièrement, et que ça jette – souvent rétrospectivement, comme ici – une lumière peu flatteuse sur les premières tentatives commises par ces auteurices.
Ici, si comme moi on a commencé par le roman extrêmement abouti qu’est The Fisherman, on retrouve beaucoup de ses éléments les plus séduisants et formellement passionnants, mais dans un état beaucoup plus primaire. Je vais le dire comme le pense : House of Windows, pour l’essentiel, ressemble à un brouillon de son futur héritier. C’est pour ça que j’aurais du mal à dire que c’est bon ou mauvais ; un jugement de valeur ne reposant que sur une telle comparaison est aussi injuste que creux. Le problème, c’est qu’entre la thématique du deuil et de la transmission intra-familiale, les arguments fantastiques et la construction formelle gigogne, il m’est impossible de ne pas tracer une ligne droite entre les deux ouvrages, le premier souffrant de la qualité infiniment plus ciselé du second, parce que j’ai lu le second avant de lire le premier.
Et même quand j’essaie de prendre du recul, de penser le présent roman de façon indépendante, je dois bien avouer que c’est compliqué, parce qu’en dépit de tout ce qu’il fait bien, il souffre quand même et avant tout de nombreux et criants défauts d’un premier roman. En premier lieu, et c’est je pense le plus évident : il en fait beaucoup trop. Sur ses 576 pages, je pense qu’il y en a facilement une bonne centaine de trop, qui font des longs et questionnables détours, refusant la moindre ellipse, nous racontant tout de façon exhaustive et détaillée, détruisant régulièrement la moindre tension.
Tension qui souffre également du choix de cadrage opéré par John Langan, en partie battu en brèche par ce côté foisonnant évoqué juste au dessus : la narration de Veronica Croydon, qui nous est donc rapportée par l’auteur d’horreur auquel elle raconte son histoire, est beaucoup trop guindée et manque cruellement d’organicité. Certes, on peut saluer l’effort de Langan qui injecte ponctuellement quelques formules oralisantes lâchées par son intra-narratrice à destination de son interlocuteur, nous servant ponctuellement de point de vue, mais ce n’est pas assez à mes yeux pour justifier de sa longue et parfois un brin pénible litanie. Disons qu’au vu du volume général de l’ouvrage et de la quantité discutable d’informations fournies, on sent beaucoup trop régulièrement qu’on est dans un roman, et pas dans une confession émouvante et complexe à propos de la mystérieuse disparition d’un homme important dans le cercle restreint des personnes qui en discutent.
Et c’est là qu’intervient le troisième point gênant à mes yeux, découlant directement des deux premiers : je ne suis pas certain que ce roman a été écrit avec une absolue conviction de ce qu’il voulait raconter en tête. Malgré l’écriture très propre de John Langan, la structure générale de ce roman m’a continuellement semblée confuse. Un peu comme un bureau très bien rangé, mais dont on devine dès qu’on le fouille que son contenu n’a jamais été correctement trié. Narrativement, c’est un pas en avant, deux pas en arrière ; sans doute pour simuler le côté conversationnel et confus des circonstances dans lesquelles sa narratrice nous raconte son histoire, elle multiplie les allers et retours dans le temps et dans les informations qu’elle nous fournit. Sauf que du coup, avec la foisonnance desdites informations, je trouve que ça manque d’un angle d’attaque vraiment saillant, au point de presque rendre le titre du roman malhonnête.
En effet, la fameuse House of windows qu’on nous promet comme un théâtre de hantise n’apparaît finalement pas des masses, et d’une manière souvent bien trop vague pour être vraiment effrayante ou un tant soit peu angoissante ; surtout que les termes de la hantise en question sont eux-mêmes soumis à une certaine fluctuation. On est je pense dans un cas où l’auteur ne savait pas trop s’il voulait faire dans l’allégorique ou le matériel, et a tenté les deux en même temps, mais en dosant ses effets un peu au pif. Ce qui donne à l’ensemble, forcément, un côté complètement bâtard, très pédestre : il se passe des choses, certes, mais on ne sait jamais vraiment à quoi on doit s’attacher pour faire sens du tout, ce qui n’aide pas à se sentir vraiment captivé ou concerné. Sans dire que j’ai réellement été agacé ou agressé par ce côté trainard du roman, j’avoue que j’ai atteint le sommet de ma frustration quand j’ai capté que d’une certaine manière, tout ce que faisait l’auteur, c’était gagner du temps : sa narratrice formule une promesse initiale très claire, et sous prétexte de nous donner du contexte, son discours fait des circonvolutions inutiles qui sont là pour ajouter du volume plus qu’autre chose. Le cœur de ce qu’elle a à nous raconter aurait pu – et peut-être dû – constituer la matière d’une novella très bien ramassée, et autrement plus intense.
Mais le fait est que je suis allé au bout sans peine et sans trop rouler des yeux. Je pense qu’un lectorat constitué différemment de moi pourrait trouver son compte dans l’accumulation d’informations annexes à l’intrigue que je considère centrale de ce roman ; parce qu’il faut bien dire que John Langan, quand même, sait y faire. Si je me suis effectivement lassé de ce qui m’était proposé, à terme, je dois bien admettre que j’ai été initialement séduit par l’aspect très naturaliste – si j’ose dire – de son récit. Certes, il nous raconte trop de choses dans tous leurs détails parfois triviaux, mais c’est un peu ça la vie, aussi ; ce n’est pas toujours l’action, le suspense et la tension de l’inconnu. La vie, surtout d’un couple, c’est aussi les petits accrochages, les échanges de blague, les discussions à bâtons rompus, les secrets qu’on partage, toutes ces petites choses qui constituent les briques de la maison qu’on se construit ensemble, qui ici construisent la maison de Veronica et Roger. Si je devais reconnaître une idée à laquelle, pour le coup, John Langan a pensé et s’est effectivement accroché tout le long de son roman, à mes yeux, ce serait celle du slow burn. House of Windows veut rendre compte du processus de délitement d’un couple qui aurait pu réussir s’il n’avait été victime d’un drame et des limitations des caractères de ses membres. Humainement parlant, je trouve que l’auteur a fait un super boulot de caractérisation, c’est juste que je trouve qu’il a fait le pari de l’investissement émotionnel au dépens de son rythme et de l’intensité qu’un tel récit promet implicitement, et je trouve ça trop dommage pour pouvoir m’estimer réellement satisfait.
Certes, on a droit à quelques excellentes scènes, à quelques très bonnes idées, à deux trois concepts très solides à incorporer dans un récit tel que celui-là, c’est juste que ça manque de liant et de conviction ; d’une vraie structure bien tenue, finalement.
En un mot, c’est dommage. En deux mots, c’est dommage, mais prometteur. Si j’avais dû lire ce roman en premier, je pense que j’aurais été un peu plus dur, mais enclin à laisser une autre chance à son auteur, en envisageant ses futurs progrès. Avec The Fisherman en tête, forcément, je suis bien plus magnanime, et quelque part encore plus curieux de voir ce que l’auteur pourra nous réserver pour la suite. Je me prends même à espérer que l’amélioration constatée entre 2009 et 2016 puisse présager de romans encore plus intéressants dans les années à venir.
Ici, effectivement, j’aurais bien du mal à recommander cette lecture sur ses seuls mérites, même si c’est bien fichu, dans l’ensemble, ça manque d’intensité pour réussir à vraiment exprimer toutes les idées de son auteur avec suffisamment de punch. Ouais, je trouve ça un peu mou. Mais dans l’optique de découvrir John Langan de zéro et apprécier son œuvre comme un ensemble, c’est intéressant, clairement.
Au plaisir de vous recroiser.
En attendant, que votre avenir soit rempli d’étoiles. 😉
