
Les Frères Dunwich : 2
[…]
« Bon. On fait quoi ?
– Je me dis qu’on pourrais appeler l’armée, mais y aurait sans doute de la friture sur la ligne… »
En dépit de la destruction en cours derrière eux, une petite bulle d’un silence presque palpable se constitua autour du duo alors que Garth tordit la tête en arrière vers Spencer, malgré la complexité de la manœuvre en étant accroupi et exténué. Il tenta nerveusement d’essuyer une traînée de sueur qui empoissait sa moustache, l’étala dans sa barbe plus qu’autre chose mais trouva l’énergie de vriller son frangin du regard.
« Putain, et je suis sûr que t’es fier de ta blague de merde en plus. »
Spencer lui retourna en effet le large sourire dont il avait l’habitude dans ce genre d’instants et hocha frénétiquement la tête pendant une seconde, accentuant son air joyeusement ahuri. Garth ne put s’empêcher de pouffer, même s’il n’avait jamais vraiment eu l’envie de résister ; non seulement c’était vraiment drôle, mais en plus il était tellement nerveux que le moindre élément propice à le détendre était le bienvenu.
Ils avaient déjà songé à s’enfiler une petite vodka offerte par Lavinia, mais Bazil était garé trop prêt du resto, et donc des Cockatrix, pour qu’ils puissent prendre le risque de bouger, ils avaient déjà de la chance d’avoir pu se planquer derrière leur Pick-Up sans se faire poursuivre par ces saloperies… Ou que ledit Pick-Up ne soit pas déjà réduit à l’état de carcasse à l’aune du terrain vague qui était en train de se construire autour d’eux, à cet égard, d’ailleurs. Et puis pas vraiment de regret, en vrai, c’était sans doute pas le meilleur moment pour se prendre un shot d’alcool artisanal à 45°.
Ils se turent, indifférents plus qu’impassibles au fracas omniprésent, les épaules basses, le regard errant au niveau de leurs pieds, blasés. Ça allait mieux, pourtant, depuis quelques semaines… Moins de dérapages, ils étaient de plus en plus propres sur leurs interventions, parvenaient à être nettement plus discrets et surtout efficaces, s’économisant des ressources en anticipant nettement mieux leurs ennuis.
Mais depuis quelques jours, c’était plus ça, il fallait bien le reconnaître. Ils avaient sans doute pensé à la même chose. Parce qu’ils relevèrent la tête à peu près au même moment et se firent le même sourire blasé. Spencer fut un peu plus rapide à ouvrir la bouche que son frère, cette fois, par contre. Sa voix était molle, résignée. Fatiguée, tout simplement.
« Les sœurs Darwin, hein ? »
Le visage de Garth se crispa en entendant le nom honni. Ils ne les connaissaient que depuis une semaine à peine, mais il avait déjà développé ce qui tenait d’une allergie envers les deux… les deux quoi, tiens, d’ailleurs ? En dehors du fait qu’ils semblaient les croiser partout où leur enquête devait les mener et qu’elles les prenaient de haut au nom de leur « méthode supérieure », ils ne savaient pratiquement rien d’elles. Ce qui étaient d’autant plus énervant qu’elles savaient toujours quoi leur dire pour les enrager avec un air prétentieux.
C’était pour essayer de leur clouer le bec qu’ils s’étaient précipités vers leur piste la plus prometteuse sans prendre les précautions les plus élémentaires, ignorant tous les commandements pourtant intégrés depuis leur plus tendre enfance et inscrits en introduction du journal de leur mère. Qui leur aurait passé un de ces savons si elle avait vu le résultat…
« Ne jamais remettre à une intervention musclée ce que tu peux régler en un rituel préventif », qu’elle leur aurait dit. Et elle aurait eu raison, évidemment. Mais c’était trop tard, malheureusement. Il allait falloir employer la manière forte pour régler le problème. Et sans doute déployer des ressources importantes pour effectuer un rituel d’oubli sur le quartier entier.
Un long soupir synchronisé leur échappa et mis les sœurs Darwin à l’arrière plan de leurs esprits.
Il se retournèrent vers les Cockatrix en quête d’une solution.
Ils allaient trouver. Ils trouvaient toujours.