Mölÿazah : 3
[…]
Même maintenant qu’il avait été officiellement introduit et qu’il était sans doute trop tard pour faire demi-tour, il souffrait toujours de la même angoisse. Sans doute la faute du lieu et de son ambiance. Des murs de pierre froids, rendus encore plus glaçants par les multiples bougies à flammes bleues qui projetaient une lumière paradoxale sur des tentures sombres et des meubles de bois noir.
Il était profondément mal à l’aise, d’autant plus qu’il avait l’impression que c’était précisément le but de toute cette mise en scène. Il osa quand même quelque pas vers le fond de la pièce, puisque personne ne le lui avait interdit, et qu’il demeurait maladivement curieux, malgré ses craintes.
Il sursauta et porta la main à son cœur en découvrant qu’un des gigantesques meubles de rangement lui avait caché un pan entier de la pièce. Derrière, dans une alcôve, se cachait un bureau de bois clair éclairé par une loupiote blanche qui juraient terriblement avec le reste de l’endroit, le contraste rendu encore plus violent par la silhouette de l’Éleveuse de Cauchemars. Voûtée sur l’objet actuel de son travail, la couverture d’un épais grimoire, elle paraissait presque fantomatique avec sa peau bleue-grise et ses longs cheveux noirs, si longs et si noirs qu’ils se confondaient avec la teinture de sa robe. Elle détourna à peine les yeux une seconde en l’entendant, gardant le visage fixe. Elle daigna tendre le bras derrière elle, pointant du doigt un confortable sofa en cuir, d’un bleu sombre, évidemment.
« Allongez-vous là et essayez de vous détendre. J’arrive dans deux minutes. »
Sa voix était d’une douceur et d’une bienveillance désarmantes qui le laissèrent bête pendant quelques secondes avant qu’il finisse de comprendre ce qu’elle lui avait dit et se dirige là où elle lui avait demandé. Il s’allongea prudemment, effrayé à l’idée de renverser ou casser quelque chose ; tout semblait branlant ou mal assuré dans cet endroit. Il tenta de ravaler sa salive et se rendit compte qu’il avait la bouche sèche et l’estomac noué. Il tenta de se détendre du mieux qu’il pouvait en fermant les yeux et en se concentrant sur le confort du sofa qui l’accueillait avec une fermeté si parfaite qu’elle en semblait magique.
Il allait faire courir ses doigts sur les coutures pour vérifier son hypothèse, mais il s’arrêta en sentant un bruissement de tissu à côté de lui. Il ouvrit les yeux sur l’Éleveuse qui semblait soudain immense et beaucoup plus vivante, notamment à cause de son regard intense et inquisiteur.
« Faites moi confiance, et laissez vous aller. Moins vous résisterez, le plus vite ce sera fini, et le plus vite je pourrais vraiment vous aider. »
Il hocha la tête un peu trop frénétiquement à son goût, partagé entre confiance intuitive et terreur primale. Elle s’accroupit délicatement à son côté, posant une main sur le bord du sofa et l’autre sur son front.
Il sentit alors une horde de minuscules démons grouiller hors du sofa pour venir le recouvrir presque entièrement avec une douce et surprenante sensation de chaleur, sans en ressentir la moindre frayeur ; ils devaient être là pour le retenir en cas de débordement, rien de plus. Peut-être autre chose, mais ce n’était pas important.
Car de l’autre main, elle commençait à instiller un autre démon, d’une taille bien plus importante, dans son esprit, pour l’explorer et trouver la source de ses angoisses les plus enfouies. La douleur était intense, comme une radiation née de son crâne pour se répandre dans l’intégralité de ses os par vagues imprévisibles et d’autant plus cruelles, une transcription physique de ces peurs qu’il trimballait avec lui depuis si longtemps.
Il ne sût pas combien de temps cela dura, mais il tâcha de suivre les consignes de l’Éleveuse, et finalement, il sentit la vague décroître et l’abandonner, en même temps que l’armée de démons, presque avec regrets.
Quand il osa enfin ouvrir les yeux, ce fut sur elle, magnifique, lui tendant une quinzaine de pages, noircies d’une écriture fine et élégante, avec une encre d’un violet profond aux reflets thaumiques.
« Lisez ça ce soir avant de dormir. Accueillez les cauchemars, et faites leur confiance. Ils seront là pour vous. Si ça fonctionne, et uniquement si ça fonctionne, vous reviendrez pour me payer. »
[…]