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La Confrérie des Effraies, Eric Amon

Sounds Like – Rise Against (extrait de l’album Nowhere Generation)

C’est rigolo, quand même, les petits hasards de la vie ; en tout cas ceux qui se font suffisamment opportuns pour qu’on les remarque. À peine quelques jours après une formidable discussion autour de la littérature m’ayant permis d’apprendre le terme de « crapule-fantasy » pour désigner tous ces récits d’aventures où la morale est reléguée au second plan, au profit des magouilles, des allégeances variables et des discours ambivalents, voilà qu’on me propose un SP dans cette veine. Et bien qu’étant devenu, avec le temps, un peu difficile quant à ce genre, il aura suffi de me citer Isabelle Bauthian comme comptant dans les influences de l’auteur pour me dire que le jeu en valait probablement la chandelle : tout le monde a ses faiblesses.
Et bon, en dehors de ça, j’aime bien les éditions Leha, et une nouvelle occasion de découvrir un·e auteurice de leur catalogue est rarement une mauvaise idée, surtout quand l’ouvrage en question est indépendant : il faut bien que je confesse une certaine pusillanimité à l’idée de commencer de longues séries.
Et donc voilà, aujourd’hui, pour vous donner mon avis sur cette Confrérie des Effraies. Qui ne peut certainement pas tenir en un mot, ni en dix, à part pour dire que mon avis sur ce roman est complexe. Y a du bon, voire du très bon, comme il y a du moins bien. Rien de nul ou de mauvais, en tout cas pas à mes yeux, mais quand même un certain déséquilibre dans les proportions, entre ce qui m’a plu et ce qui m’a moins plu. Pas évident.
Le plus simple, c’est sûrement de m’expliquer dans les détails. Et avec un semblant d’ordre. Procédons.

Au sein du tentaculaire et expansionniste royaume de Lacustre, il existe un service secret, qui s’appelle la Secrétairie, en charge de surveiller les agissements des personnalités et groupes les plus éminent·e·s de toutes les couches de la société, et de prendre les mesures nécessaires, avec l’aide de tous ses agents, disséminés sur tout le territoire. Or, il s’avère qu’un groupe de bandits aux ambitions nébuleuses fait de plus en plus parler de lui, et pas dans le sens des intérêts de la Couronne : la Confrérie des Effraies. On décide de missionner un agent particulièrement doué pour tenter de s’y infiltrer et comprendre leur fonctionnement comme leurs objectifs.

Alors d’abord, j’ai eu un peu peur. J’ai lâché quelques soupirs, entre crainte et doute. La faute d’une intro peut-être un peu trop lourde, ou trop dense. Beaucoup d’informations, une mise en contexte ambitieuse et précise ; une impression fugace mais intense qu’il va y avoir trop de choses auxquelles faire attention pour tout comprendre. Heureusement, j’ai assez vite été rassuré. Après ce brief , assez vite, on passe en rythme de croisière, et le déroulé se fait sans trop de heurts : tout est clair, limpide. Alors, certes, j’ai très vite dû faire la paix avec un style que je qualifierais diplomatiquement de très soutenu, et qui ne convient pas exactement à mes goûts personnels ; si je n’ai aucun problème avec les figures de style et un vocabulaire précis, j’ai quand même tendance à estimer que la débauche lyrique comme les efforts constants de poétique ont tendance à très vite devenir contre-productifs. C’est évidemment sujet à débat comme à simple préférence personnelle, mais j’estime qu’il faut aussi savoir faire respirer son texte en terme d’exigence scripturale, et au moins de temps en temps réduire la voilure. Je n’aurais pas été contre un peu de légèreté dans les dialogues ou dans certaines occurrences du récit, histoire de savoir avec quelques indices narratifs quand devoir me concentrer ou quand pouvoir juste me laisser porter. Devoir être tout le temps à fond gâche à mes yeux certaines excellentes séquences qui auraient pu ainsi encore plus briller par contraste avec les passages obligés du récit, et donc moins importants.

Parce que passé un certain point purement personnel sur le problème de l’expression, et qui finalement, est assez secondaire à mes yeux pour ne pas constituer un réel grief, il m’a fallu me coller à ce que le texte voulait dire, au delà de sa manière de le faire. Et c’est là que se niche à mes yeux le vrai cœur de ma frustration : il y a de tout dans ce roman. D’un côté, on a une multitude de bonnes idées et de concepts allant du sympathique au très bon, dans lesquelles je me suis promis de citer un certain échiquier, dont la description m’a laissé un peu baba. Et de l’autre, on a quand même, il faut l’admettre, une certaine succession de clichés plus ou moins bien désamorcés et réappropriés, comme des choix narratifs plus ou moins heureux, du début à la fin.
Faisant que j’ai pu à plus d’une occasion craindre de voir le récit d’Éric Amon se vautrer dans des tropes éculés au possible pour finalement être rassuré, tout comme j’ai pu anticiper des situations et péripéties prometteuses pour finalement les voir se résoudre trop vite ou de façon décevante : on se retrouve de fait avec un récit très étrangement découpé, selon un faux rythme aussi agréablement surprenant que parfois inconfortable. Parce que si certaines scènes et séquences tapent juste, exactement comme il faut, certaines s’alanguissent inutilement autour de dialogues philosophiques à la profondeur et à la pertinence variables, quand encore d’autres se terminent sans avoir exploré toutes les possibilités qu’elles laissaient entrevoir. Si on ajoute à ça les ponctuelles et de fait inexplicables prolepses émaillant le récit, comme les quelques fulgurances narratives jouant sur certains aspects singuliers du récit, on se retrouve à ne jamais trop savoir sur quel pied danser, ce qui est terriblement déroutant, et donc frustrant.

Et là je me dis qu’assez ironiquement, c’est pourtant et logiquement raccord avec le fond du texte, sans pouvoir parier sur une volonté de l’auteur, comme souvent. Parce que s’agissant de « crapule-fantasy », on est au cœur de la question de allégeances et des magouilles, comme de bien entendu lorsqu’il s’agit pour un fier agent du gouvernement en place d’infiltrer une organisation hors-la-loi : promis, pas de spoils. Et de fait, le texte, comme en lien direct avec les questionnements et agissements de notre protagoniste sans nom, manque clairement de chaleur. Pas pour dire que l’ensemble est froid ou clinique : il s’y passe des choses dans tout le spectre des températures littéraires, si je puis dire. Non, plutôt pour dire que le texte, comme son personnage, est avant tout en mission.
Et donc, tout comme lui, on sent pendant tout le texte une sorte de tension permanente, quoique discrète mais inévitable, une contrainte, quelque chose qui n’est jamais vraiment visible ou exprimé, mais qui pour autant corsète l’ensemble, personnages comme auteur, limitant son expressivité émotionnelle. Un peu comme si, voulant poursuivre un objectif textuel autant que para-textuel, se concentrant prioritairement sur cet objectif, Éric Amon comme son personnage avaient dû laisser certaines choses de côté, insister sur des choses pas forcément plaisantes mais nécessaires. C’est en tout cas le sentiment que j’ai eu en lisant certains passages me semblant un peu manquer d’organisme et de fluidité dans le déroulement « naturel » du texte ; tout à réaliser son ambition première, que j’estimerais être celle de lier un destin de groupe avec un destin géo-politique international, il s’est peut-être parfois un peu perdu en chemin, me perdant en même temps. Ne sachant pas vraiment m’exprimer clairement par où il voulait aller, se concentrant seul sur son exécution sans toujours me donner les clés des portes qu’il traversait sans trop se préoccuper de moi, j’ai eu du mal à le suivre.

Comme souvent avec moi, on est donc dans le cas d’un bouquin qui brille autant par ses qualités que par ses relatifs défauts, ces derniers étant plus intéressants à décortiquer et expliquer pour moi que le reste. On a des personnages et des dynamiques intéressantes, de même que pas mal d’idées séduisantes et plutôt bien exploitées ; mais l’ombre portée des ellipses frustrantes et des choix questionnables noircit un peu trop le tableau pour pouvoir le considérer avec un enthousiasme sans borne. On est dans ce cas embêtant où je ne saurais exactement dire ce qui a fatalement coincé pour faire que mon bilan soit si mitigé, alors que ma lecture s’est extrêmement bien passée ; c’est plutôt l’accumulation de petites choses, de petits choix discutables, de petits renoncements à une certaine ambition, qui, je pense, a fait pencher la balance du mauvais côté.
Et encore, je dis « mauvais côté », uniquement dans le sens où il me paraît évident que cette Confrérie des Effraies avait la place pour faire bien mieux, avec seulement quelques ajustements. Il aurait peut-être fallu faire un choix plus définitif entre la trajectoire de son personnage principal ou l’influence de la Confrérie sur le destin de son pays, ou encore vers une troisième voie ; je ne sais pas. Mais je ne peux pas m’empêcher de penser que les réels sens de l’efficacité et de la planification d’Éric Amon, comme son appétence pour la réflexion politique, auraient pu trouver une encore meilleure manière de s’exprimer au travers de cette histoire.
Ouais. C’était bien, mais c’était pas si bien. J’aimerais en lire plus, avec peut-être quelques petits changements dans la perspective narrative ou les ambitions textuelles. Malgré mes pinaillages, il y a quand même un truc là-dedans qui m’attire, qui me plaît. J’aimerais sans doute savoir exactement ce que c’est, à terme.

1 comments on “La Confrérie des Effraies, Eric Amon

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