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Les enfants du passé, Luce Basseterre

10 Years – Daði Freyr

On continue la série des découvertes littéraires pour lesquelles il n’est pas forcément opportun de s’étendre trop longuement ; il m’aura suffit de constater que Les enfants du passé a été réédité en numérique chez l’excellente maison Argyll pour éveiller ma curiosité, puis de recueillir quelques échos enthousiastes supplémentaires pour me faire passer le cap. C’était d’autant plus facile que les éloges sur la personne de Luce Basseterre n’étaient pas rares non plus ; les augures étaient bonnes, j’étais confiant.
Et j’ai effectivement eu globalement raison de l’être. En dehors de quelques détails un poil décevants sur lesquels je reviendrai en temps utile, ce roman a été une formidable et passionnante découverte.
Voyons voir ça.

D’abord, nous avons Djaël, étrange aventurier de l’espace, propriétaire d’un vaisseau en tous points exceptionnel, de son IA augmentée d’un hôte sentient bien singulier, à son système de camouflage et de protection ultra-avancé. Puis nous avons Oshi, l’esclave qu’il a acheté sous le coup d’une étrange impulsion, à la fois pour le sauver de sa condition et sur la base de sentiments flous. Et enfin sur la colonie de la Nouvelle-France, on découvre dans une morgue un jeune garçon mort dans des circonstances inconnues, porteur de l’ADN de Djaël, premier domino d’une improbable et terrifiante suite de découvertes. Ces trois trajectoires ne vont pas tarder à n’en former qu’une, extrêmement complexe.

Comme toujours, commençons par l’évidence, d’autant plus parlante ici que l’autrice elle-même, par une note préalable à la lecture de son roman, nous avertit à son sujet : Les enfants du passé se veut être un roman roman linguistiquement ambitieux. Impossible en effet de faire l’impasse sur son usage extensif et exhaustif du registre neutre dans son écriture, dans un effort construit de représentation d’un futur concret jusque dans ses modes d’expression : c’est un choix audacieux que je salue avec enthousiasme, évidemment. Parce qu’avec ce choix seul et sa constance absolue dans le fil du récit, sont d’emblée créées les premières conditions d’une altérité aussi réussie qu’évocatrice, rendant compte en creux de réalités qu’il aurait sans doute été pénible d’expliquer par la narration ; c’est un exemple aussi probant que réussi de pure synthèse littéraire. D’autant plus réussi que cette synthèse vient très vite en soutien des premières ambitions du roman, qui m’ont immédiatement embarqué et enthousiasmé ; au delà du texte lui-même, la façon qu’a Luce Basseterre de le construire et de nous le livrer est porteuse de ses superbes intentions.

Car en effet, en dépit d’événements parfois extrêmement sombres, on ressent dans l’ensemble du roman une extraordinaire bienveillance, matinée d’un optimisme lucide, à la fois dans le déroulé de l’intrigue et dans les réactions des personnages face à leurs péripéties. Ce sont sans aucun doute les plus grandes forces de ces Enfants du passé à mes yeux ; sa luminosité et son humanité. Toutes les décisions prises par nos protagonistes sont motivées et claires, y compris lorsqu’ils sont victimes ou coupables d’atermoiements et d’erreurs de jugement, amenant au récit un souffle et une complexité assez formidables, car nourrissant tout à la fois ses différents aspects génériques.
Puisqu’il faut aussi saluer la profondeur thématique du texte, touchant à plusieurs genres en même temps, entre thriller, space opera, roman d’initiation et romance, sans jamais se perdre ni faire preuve de superficialité dans ses traitements ; du moins dans l’essentiel de sa progression. Si j’ai autant apprécié la majorité de ma lecture, c’est que j’étais tout autant en empathie avec le parcours d’émancipation d’Oshi qu’avec les efforts de Djaël pour l’aider ou curieux de savoir où allait nous mener toute l’histoire autour de ce jeune garçon porteur d’un ADN qui n’aurait jamais dû être le sien. Pour la majorité du récit, bénéficiant notamment d’une focalisation multiple et d’une construction extrêmement efficace, Luce Basseterre nous donne sans cesse des raisons d’avancer, créant autant que satisfaisant un appétit dévorant pour la compréhension des enjeux qu’elle distille très habilement. Vraiment, pour l’essentiel, ce roman est absolument passionnant et touchant de douceur.

Mais comme je l’ai dit dès le début et le prépare depuis quelques lignes, l’expérience n’est effectivement pas un absolu succès à mes yeux. Le fait est qu’à mes yeux, après un départ canon et un cœur de texte assez brillant dans sa construction comme dans son exécution, Les enfants du passé s’écroule un peu dans son dernier cinquième. Alors on est pas sur la catastrophe du siècle, hein, attention : je reste absolument convaincu que, pris dans son intégralité, ce roman est un indéniable succès. Néanmoins, force est de constater à mes yeux qu’arrivée à un certain stade de son récit, Luce Basseterre ne semblait pas absolument convaincue de la meilleure manière de le conclure, et s’est mise à confondre tension avec précipitation. Est venu à ce moment du récit, pour moi, un certain enchainement confus d’événements et de prises de décisions, tant dans la narration que dans la méta-narration, accélérant de façon assez dommageable les événements.
Entre des discussions assez nébuleuses entre les personnages, des péripéties peu claires et manquant de précisions dans leurs tenants comme dans leurs aboutissants ; et surtout une conclusion laissant beaucoup d’éléments qui semblaient assez importants en suspens, ou bien réglés d’une manière un peu trop expéditive au regard de la complexité qui leur était prêtée – ou que j’y voyais – jusque là. J’avoue que j’ai fini ce roman avec un goût de trop peu. Je crois qu’il me manquait du volume écrit avec la même intensité dans les sentiments et leurs ramifications que dans le reste du texte pour être pleinement satisfait ; et surtout, il me manquait des réponses. Alors bien heureusement, pas les plus importantes, au contraire, mais là où j’ai trouvé beaucoup de précision dans l’expression des sentiments et de beaucoup d’éléments du récit, j’ai eu le sentiment que certains de ces éléments ont été injustement mis de côté au moment de la conclusion, comme si les inclure avait risqué de rendre la fin indigeste. Et paradoxalement, en évitant cette potentielle indigestion, le roman est peut-être tombé dans le travers inverse.

Un bilan mitigé donc, penchant un peu trop aisément du mauvais côté, mais uniquement parce qu’une fin décevante projette toujours une ombre négative exagérée sur ce qui la précède. Les enfants du passé est avant tout un formidable roman à de nombreux égards, tant au regard de sa démarche stylistico-linguistique passionnante que de ses ambitions génériques et thématiques, avec un ton humanisant et bienveillant, sans jamais tomber dans une naïveté guimauvisante, mais bien lucide et revendicatrice. J’aime cette idée que tout ne sera jamais rose, mais qu’il ne tient finalement qu’à nous de faire les bons choix pour compenser les mauvais choix d’autres personnes moins regardantes que nous sur les questions de moralité. Alors oui, je trouve que la conclusion n’est pas vraiment à la hauteur du cœur du texte ; mais c’est précisément parce que ce cœur de texte est si réussi que mes attentes ont été déçues ; je pourrais choisir d’insister sur cette (relative) déception ou rendre hommage à mon plaisir de lecture pendant les 80% qui constituent je pense l’essentiel de ce que voulait raconter Luce Basseterre.
Considérez s’il vous plait que j’ai choisi la deuxième option avec un réel enthousiasme, seulement tempéré par mon honnêteté et mon don pour le pinaillage. Les enfants du passé est une chouette lecture, qui propose beaucoup de très belles choses. Ça c’est bien l’essentiel.

Au plaisir de vous recroiser.
En attendant, que votre avenir soit rempli d’étoiles. 😉

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