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Les Nomades du Fer, Eleanor Arnason

Nameless World – Skip The Use (extrait de l’album Little Armageddon)

J’avais une série plutôt heureuse de lectures en cours, il fallait bien qu’elle s’arrête. J’essaie de prendre ça avec une certaine forme de philosophie, mais j’avoue que j’aurais préféré que ça arrive différemment, et surtout avec une autre découverte que celle-ci. C’est que ça commence à être terriblement frustrant, quand même, à force, cette incapacité de ma part à m’aligner avec les sorties les plus poussées par Argyll ; des textes aussi bien défendus, sachant systématiquement ou presque me donner envie, j’ai envie de les trouver aussi bons que leurs éditeurs, bons sang.
Et franchement, avec les quelques infos que j’avais sur la lecture du jour, couplée à l’enthousiasme communicatif de quelques personnes de confiance, j’étais serein, au départ, c’est ça le pire ; je pensais tenir enfin un autre gros coup de cœur sur lequel m’épancher avec joie dans les années à venir. Tout en tempérant mon anticipation par la prudence qui est de mise chez moi maintenant lorsqu’il s’agit de découvrir ce qu’on m’a vendu comme une perle singulière.
Sauf que non, donc. À ma curiosité initiale ont trop vite succédé étonnement, circonspection, incompréhension et profond agacement, sentiments cristallisés tous ensemble dans le moment d’intense lassitude au moment de réaliser que j’avais mal regardé la pagination globale du roman, et qu’il ne me restait pas 20, mais 120 pages avant la fin. Je n’ai poussé au bout que par la grâce d’une rare forme d’obstination, à essayer de capter et comprendre ce qui avait bien pu séduire à ce point mes camarades dans ce roman.
Je n’ai pas trouvé. Par contre, je pense que je sais très bien pourquoi ça n’a pas marché pour moi.

C’est à dire qu’à force, quand même, en dépit de mes difficultés à moi-même saisir ce qui constituerait une solide ligne directrice de mes goûts littéraires, je commence – il serait temps – à mieux appréhender ma façon de lire, et donc ce qui peut établir des incompatibilités d’humeur entre moi et les textes sur lesquels je me penche. Et c’est en lisant le roman qui nous concerne aujourd’hui que j’ai enfin pu verbaliser ce que je considère comme un de mes défauts irréductibles, ce qui l’a sans doute condamné très vite à mes yeux. Quand je commence un ouvrage, ce dernier formule forcément des promesses à mon attention, par les choix qu’il opère, par ses déclarations d’intention textuelles ; qu’elles fussent tacites ou explicites : il crée une image potentielle de ce qu’il va devenir dans mon esprit. Des trajectoires se dessinent, des possibilités s’esquissent ou disparaissent, au gré des liens logiques entre qu’il rend possibles ou impossibles, probables ou improbables, des éléments d’intrigue qui me sont donnés ou cachés, ou encore des personnages et de leurs caractères et dynamiques interpersonnelles.
Et je crois bien que malgré moi, la correspondance entre cette image fantasmée du texte potentiel tel qu’implicitement promis et ce que le texte propose réellement joue énormément sur mon appréciation ; sans doute trop, d’ailleurs. D’autant plus que je n’arrive pas vraiment à savoir si ce décalage constituerait une faute de l’auteurice dans sa déclaration d’intentions et la réalisation de ces dernières, ou si c’est moi qui commet une erreur en tant que lecteur, à trop vouloir anticiper et à mes créer des attentes en sachant pertinemment qu’elles ont plus de chances d’être déçues que l’inverse. Cette insoluble énigme constitue probablement la source de ma frustration face à certains textes qui m’échappent et me poursuivent, créant un joli magma d’angoisses littéraires dont je n’arrive pas à me dépêtrer, et qui en plus restent collés aux textes qui en sont à l’origine.

Et c’est sans doute pour ça que je suis si attaché à l’idée de cadrage dans mes lectures : avec la bonne sélection de choix, toute histoire peut être bonne à raconter. Alors qu’à l’inverse, avec les mauvais choix, une excellente histoire peut être complètement ruinée aux yeux de son lectorat; et je crois que c’est ce qui est arrivé à mes yeux avec ces Nomades du Fer, puisque oui, on va en parler, à un moment, quand même, c’est le principe du blog, encore une fois. C’est juste qu’évidemment, mon sentiment à l’égard de ce roman n’est que le mien, et que le contexte, pour parler d’une relation si personnelle : c’est important.
L’histoire de ce roman est, je pense, une très bonne histoire. L’idée d’un premier contact présenté de façon quasi-anthropologique, à la manière d’un planet-opéra, se concentrant à plein sur des relations interpersonnelles, plutôt que sur des axes généraux et civilisationnels, je pense que c’est très solide. Et franchement, après un avant-propos appartenant à la diégèse du roman, servant en quelque sorte de note d’intention, puis un premier chapitre consacré à un personnage autochtone de la planète dont il sera question par la suite, à la troisième personne, j’étais assez enchanté. Il y avait là un niveau d’altérité suffisant pour créer un minimum de sense of wonder, un certain jeu sur la langue, notamment une idée autour de la communication non verbale assez prometteuse, et surtout une distance habile dans la narration : c’était cool.

C’est par la suite que j’ai commencé à douter, pour finalement grincer des dents, lorsque le récit a opéré sa transition vers une narration à la première personne, depuis le point de vue d’une humaine en mission sur le sol de cette planète afin de rencontrer et se mêler à sa population indigène. En soi, d’un point de vue purement formel, je n’ai pas de véritable reproche à formuler ; je ne suis pas fan de ce manque d’unité à l’échelle d’un roman, mais ce n’est que personnel, après tout. Par contre, j’ai un peu plus de mal avec ce que ce choix m’a semblé suggérer en terme de cadrage et de sens.
Parce que dès lors que ce changement de point de vue a été acté, j’ai trouvé que Les Nomades du Fer devenait assez confus dans ce que son autrice voulait lui faire exprimer. Franchement, je vais le dire clairement, j’ai eu l’impression de lire des colons spatiaux en train de préparer le terrain, sans vergogne, sous couvert d’études anthropologiques et d’arrogance politique. En dépit de toutes les bonnes intentions affichées par les humains, de tous les échanges culturels effectués, passivement ou activement, entre les missionnaires (faute d’un meilleur terme neutre) humains et les autochtones qu’ils rencontrent, je n’ai jamais pu me départir du sentiment malsain que tout finissait à l’avantage des humains, incapables de lutter efficacement contre leurs pires instincts ou d’apprendre de leur histoire.

Pire, en dépit de l’étalage assez clair d’une intention de neutralité par l’autrice dans son traitement des deux cultures, voulant sans doute prêcher une idée de relativisme social à l’échelle du cosmos, j’ai toujours senti une forme assez aigüe d’anthropocentrisme dans sa manière de présenter les choses. Une impression encore renforcée par la focalisation à la première personne au travers de la psyché de Lixia, notre protagoniste, que j’aurais bien du mal à voir comme une réelle héroïne, la trouvant égoïste et trop concentrée sur sa mission et l’intérêt humain aux dépens des autochtones avec qui elle entretient des relations, causant plus de problèmes qu’autre chose.
Et ce qui m’ennuie le plus, avec ça, c’est que je n’arrive absolument pas à me décider sur les intentions d’Eleanor Arnason. J’ai pu, à un moment, croire que ce roman était une dénonciation en règle de certaines dérives humaines effectivement condamnables, m’interrogeant alors sur la pertinence de les décrire depuis l’intérieur. Pour ensuite me demander l’inverse quelques pages plus loin en lisant les accès empathiques un brin baveux de nos missionnaires confrontés aux différences culturelles entre leur peuple et ceux de leurs hôtes. Je n’ai jamais su, jusqu’à la fin, sur quel pied danser, perdu que j’étais entre toutes les intentions emberlificotées de l’autrice. Et si je peux parfois nourrir des doutes sur mes fautes en tant que lecteur, il y a bien un secteur dans lequel je ne démordrai jamais de ma position : celui de l’ambition est à la charge de l’auteurice. Je suis d’accord pour parfois me dépatouiller avec des aspects cryptiques de l’intrigue ou les allégeances de certains personnages, mais j’estime ne pas avoir à devoir m’interroger éternellement sur la position ce cielle que je lis au travers de ce qui est écrit. Ici, je n’ai jamais su si Eleanor Arnason écrivait à charge ou à décharge contre ce qu’elle décrivait, ou si elle se contentait de décrire aussi factuellement que possible une situation sans se positionner afin de la questionner depuis une position neutre, en cela certainement pas aidé par cette focalisation humaine et ce personnage impliqué dedans jusqu’au cou.

Et encore, je dis ça ; dans un autre contexte textuel, je pourrais être beaucoup plus détendu dans ma façon d’aborder les choses. S’il ne s’était agi que d’un actioner bourrin un brin décérébré, j’aurais largement accepté de mettre ces questionnements théoriques un peu ennuyeux de côté. Sauf qu’en l’occurrence, on parle bien d’un roman de près de 600 pages qui prend largement son temps pour explorer la culture locale et les différences socio-politiques qui se posent entre elle et la culture humaine venue des étoiles. Et c’est là que deux autres gros problèmes s’imposent pour moi, et il faut que j’en parle pour être exhaustif quant à ma déception.
D’abord : bordel que c’est long. J’oserais même dire chiant, par moments, sincèrement, même si ça me coûte de le dire aussi abruptement. Mais c’est purement personnel, pour le coup, et je sais précisément d’où ce sentiment me vient : je n’aime pas le tourisme, que ce soit dans la réalité ou dans mes lectures. Les détails, les descriptions à rallonge, les apparences des vêtements, des gens, de leur environnement, les histoires de folklore, le lore, tout ça, moi, ça me gonfle, tant que ça n’a rien à raconter en dehors de soi-même. Et vous pourriez me répondre, à raison, que dans le cadre d’un bouquin parlant d’échanges culturels, tous ces détails n’en sont pas vraiment.
Sauf que, et c’est mon deuxième point : j’ai trouvé le travail d’Eleanor Arnason terriblement superficiel, finalement. Avant d’aller plus loin sur ce point, cependant, je dois m’auto-tempérer : il est indéniable que ce roman a d’abord et avant tout souffert de comparaisons conscientes ou inconscientes avec certaines de mes lectures précédentes, et qu’il a terriblement été impacté par son arrivée tardive dans mon parcours. Si je l’avais lu bien plus tôt, j’en aurais sans doute parlé avec moins d’amertume.
Ceci étant dit, je trouve quand même que pour un bouquin d’un tel volume, la densité d’altérité n’est pas vraiment au rendez-vous, d’abord et avant tout parce que je trouve que pas grand chose ne tient la distance face à un examen un tant soit peu attentif. Je ne peux évidemment pas m’étaler sur trop de détails, par économie des spoils, mais disons que j’ai été très déçu de constater l’inconsistance du récit sur pas mal de ses idées, confinant régulièrement à l’incohérence à mes yeux. Pour en finir avec mes prises de position les plus abrupts que je ressens même un peu de culpabilité à formuler aussi brutalement, je dirais que l’altérité de ce roman est finalement extrêmement cosmétique et manque cruellement d’une réelle profondeur. On en revient à ce positionnement confus de l’autrice dont je parlais plus haut, semblant prêcher certaines valeurs à un moment pour les détruire l’instant d’après avec la même conviction, au gré de ce qu’elle avait envie de raconter dans un chapitre donné au regard de la situation et de ses besoins narratifs. J’ai trouvé que ce roman manquait terriblement d’unité et d’un réel fil conducteur, à tous les niveaux.

Bref, terrible et complète déception. Le genre qui fait bobo à la tête, au cœur, et au moral tout à la fois. J’ai entrevu de belles promesses, j’ai tout de même attrapé quelques fulgurances au vol, mais dans l’ensemble, je me suis juste terriblement ennuyé et j’ai attendu que ça se termine, sans jamais vraiment croire au retournement final, au miracle d’une épiphanie. Encore et toujours mon sens trop aigu de l’analyse qui m’empêche de simplement me laisser porter, sans doute ; je ne regretterais jamais assez d’avoir perdu une trop grosse partie de ma capacité d’émerveillement au profit d’une vision trop attentive à un sens qui parfois n’importe qu’à moi.
Encore un roman qui n’était simplement pas pour moi, du moins dans sa manière d’aborder ses idées. À vouloir chasser trop de lièvres, je crains qu’Eleanor Arnason n’en ait attrapé aucun ; et en plus elle a foutu un bordel monstre dans la forêt. Ou alors j’ai juste raté l’évidence à trop vouloir chercher au delà. J’en sais rien.
Allez, on oublie, et on passe à autre chose.

Au plaisir de vous recroiser.
En attendant, que votre avenir soit rempli d’étoiles. 😉

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