
Abandon à la page 334/505
Franchement, je crois qu’on peut avant tout mettre celui-là sur le compte d’une certaine forme de fatigue. Sournoise et pernicieuse, suffisamment en tout cas pour justifier la redondance. Je ne peux pas jurer que dans d’autres circonstances, je ne sois pas allé au bout, avec curiosité et persévérance, à défaut d’un réel enthousiasme. Même si, à force, ça devient franchement pénible pour moi de ne pas être capable de pointer du doigt avec certitude les caractéristiques précises faisant qu’un bouquin parvienne à m’accrocher ou non ; surtout quand lesdites caractéristiques semblent être à ce point être les mêmes d’un ouvrage à l’autre, avec des résultats parfois diamétralement opposés.
Essayons de voir ensemble ce qui a coincé ici. Qu’est ce qui a bien pu rendre la recette indigeste, en dépit d’ingrédients prometteurs ?
On peut écarter d’emblée l’hypothèse d’un style trop complexe ou différent pour être lisible. Certes, l’usage du féminin générique dans une bonne partie de la narration et des dialogues n’est pas la chose la plus aisée qu’il m’ait été donné de lire, mais l’altérité qu’il renferme en soi et qu’il suggère en creux est trop à mon goût pour que je le boude. Et puis une fois qu’on est dedans, c’est juste un coup à prendre histoire d’éviter certaines confusions et approches pouvant sonner un poil bizarres, donc ça le fait, franchement. Ça ne les empêche pas toutes, clairement, mais le texte s’annonce d’emblée assez ambitieux à ce niveau là, donc je serais de mauvaise foi de lui reprocher un parti pris clairement assumé et revendiqué ; d’autant que les efforts fournis sont au niveau, dans l’ensemble.
Sans parler du fait que je n’arrive pas à savoir comment le texte original pouvait bien être initialement tourné pour justifier ce choix à la traduction ; chapeau d’ailleurs à Patrick Marcel, dont je devine ici qu’il a du se casser la tête à plus d’une occasion pour arriver à un tel résultat. Donc non, ce n’est pas ça.
Ça pourrait être la construction parallèle du roman, qui joue sur deux lignes complémentaires. Il est vrai que j’ai parfois un peu de mal avec les partages temporels déséquilibrés, où une intrigue passée n’existe fondamentalement que pour justifier le suspense dans une autre ligne passée présentée comme présente. Ici, c’est un peu le cas, et j’ai trouvé à plus d’une occasion que certains événements semblaient inutilement se trainer pour permettre à deux chapitres d’une ligne d’être séparés par un autre chapitre de l’autre ligne pour des raisons plus pratiques que narratives. Mais encore, ça pourrait passer, en soi ; tous les récits ne peuvent pas être parfaits, et j’ai toléré des longueurs utilitaires dans des romans que j’ai absolument adorés. J’aurais bien pu me dire que certaines séquences tirant sur la corde et nous narrant des péripéties ennuyeuses à mes yeux, au pire, serviraient de prétextes pour caser des infos utiles plus tard dans le récit, seulement dissimulées au milieu de ce qui me semblait sur le moment comme du verbiage stérile. Après tout, puisque tout nous parvient depuis le point de vue d’un·e protagoniste peu fiable et versé·e dans le soliloque et les souvenirs nostalgiques, ç’aurait pu participer d’une certaine ambiance. Non, ce n’est pas ça, ou pas uniquement ça non plus.
Étant donné que le moment où j’ai décidé que j’en avais assez était un moment de confusion assez intense dans la narration et l’intrigue, je pourrais plus volontiers pencher pour une solution beaucoup plus simple ; ce bouquin est extrêmement dense en informations semblant parfois contradictoires ou compliquées à clairement démêler, et j’en ai eu marre. D’où, d’ailleurs, mon constat initial quant à une certaine fatigue de ma part. Sincèrement, je crois avoir saisi l’essentiel de ce que ce roman voulait raconter, et je ne pense même pas que son intrigue de base soit si complexe que ça à résumer ou à comprendre.
Et je peux même dire que sincèrement, conceptuellement parlant, je suis assez impressionné par ce qu’Ann Leckie a réussi à construire, comme par ses ambitions narratives à certains points du récit ; et de fait par sa maîtrise dans l’exécution de ces idées. C’est pas rien, d’inventer des choses pareilles, et de parvenir, un tant soit peu, à les rendre concrètes par le biais de l’écriture littéraire seule. Sincèrement, j’ai été impressionné plus souvent que l’inverse par ce que je lisais.
Et pour autant, ça n’a jamais pris. Pas à un seul instant. Je n’ai jamais été embarqué. Et je crois que c’est à cause d’une sorte de synergie négative. Je m’explique : pris individuellement, tous les menus reproches que je pourrais faire à cette Justice de l’Ancillaire seraient négligeables à mes yeux. Ils pourraient n’être que les pinaillages que j’inflige habituellement aux excellents bouquins que je lis pour me donner l’impression de ne pas être trop bon public, de faire preuve d’une certaine forme d’objectivité critique. Et même plus simplement pris ensemble, je crois que ces reproches auraient été assez peu problématiques pour moi. Ils n’auraient fait que marginalement gâcher un résultat final largement satisfaisant. Des petites scories que j’aurais espéré voir corrigées dans les suites.
Sauf qu’en plus de tout ces défauts oubliables, j’ai fini par en déceler un que je n’ai pas pu ignorer, et qui a crée un liant supplémentaire, suscitant donc ma profonde lassitude au long cours, jusqu’à mon abandon déçu.
Et ce défaut, c’est l’impression d’un récit terriblement mécanique, et surtout dénué de passion. Et c’est terrible à dire, j’en ai conscience, hein ; j’aurais préféré dire que ce n’était fondamentalement qu’une malheureuse et hasardeuse incompatibilité d’humeurs entre moi et l’autrice, aussi triste que je l’aurais tout de même été. Mais le fait est que je n’ai jamais ressenti dans ce bouquin le supplément d’âme que je rencontre habituellement dans les récits qui parviennent à me séduire, à défaut parfois de me convaincre, ou inversement.
Bref, mon souci, ici, c’est que j’ai trop souvent eu le sentiment de choses racontées à mon égard, pas parce que c’était ce qui se passait, mais parce que c’était ce qui devait se passer aux yeux de l’autrice. C’est compliqué à verbaliser, mais j’ai trop régulièrement eu le sentiment de non-dits mal justifiés, de compréhensions interpersonnelles un peu trop faciles, d’anticipation de l’intrigue par certains personnages – ou le contraire – uniquement parce que cela arrangeait le flot de l’intrigue tel qu’imaginé par l’autrice. D’une certaine manière, j’ai trop frontalement ressenti un roman construit à l’envers ; partant de ce que l’autrice voulait en faire à partir d’une hypothétique check-list, et construisant une histoire à partir de là, plutôt qu’une histoire qu’elle avait réellement envie ou besoin de raconter. Il y avait tout un tas de petites fulgurances, de morceaux de bravoure, d’idées cools en surface, mais une infinie et décevante impression de creux sous chacune d’entre elles. De distance.
Et ça me fait chier, ce genre d’impression, qu’elle soit fondée ou non. La rencontre ne s’est pas faite, et c’est d’autant plus frustrant que le potentiel était évident. Mais à force d’avancer, j’avais de plus en plus l’impression de stagner dans un récit ne faisant que longuement préparer la suite des événements, à partir de péripéties de moins en moins palpitantes et de moins en moins organiques. J’en veux pour preuve mon absence totale d’empathie envers lae protagoniste dont je n’ai jamais réellement su saisir les motivations pour la moindre de ses actions ou ma réalisation arrivé à la moitié du roman que je n’étais même plus sûr de vouloir qu’on m’expliquer exactement pourquoi une vengeance était à l’ordre du jour. Et s’il s’agissait bien d’une vengeance, d’ailleurs. En gros, je m’ennuyais. Et il s’avère que c’est là mon pêché cardinal en littérature. Dont acte.
Dommage.
On passe à autre chose.
Au plaisir de vous recroiser.
En attendant, que votre avenir soit rempli d’étoiles. 😉

J’entends parfaitement ta frustration. Quand on commence une lecture au résumé et à la réputation aussi prometteuse on a envie d’aimer. Quand on a l’impression que ce sont des détails qui nous dérange et qu’on n’est pas bien, on a envie de le mettre là-dessus. Mais parfois c’est juste pas pour nous ou pas le moment. Tu as donc bien fait d’arrêter et qui sait tu y reviendras peut-être plus tard avec plaisir.
Pour ma part, je vais aller regarder d’autres avis du coup car tu m’as intriguée 😉
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