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Nous avons toujours vécu au château, Shirley Jackson

Stay Awake – Be The Wolf (extrait de l’album Torino)

Le plus dur, dans la découverte littéraire, ce n’est jamais le premier texte, à mes yeux ; mais bien le deuxième. Parce qu’un premier texte ne souffre que rarement des contraintes imposées par l’attente, tout simplement. Alors oui, on peut facilement se faire avoir par la hype, comme par un marketing malhonnête ou maladroit, initialement ; mais un deuxième texte, lui, doit toujours souffrir des attentes créées par le premier. Dans mon petit coin rien qu’à moi, j’appelle ça l’effet Zelazny : j’ai lu Les Princes d’Ambre en premier, et toute sa bibliographie en a souffert par la suite à mes yeux, parce que rien ou presque ne me semblait être au niveau. Ça va mieux maintenant, mais la frustration qui en a découlé a consacré l’expression dans mon esprit à vie. (Mes excuses envers cielles d’entre vous qui devez encore me lire expliquer ce truc, ou cielles que ça n’intéresse pas.)
Et donc, aujourd’hui, il est un peu question de ça. Ce n’est pas aussi frappant que pour le travail de Roger Zelazny à l’époque, mais il est clair qu’après ma découverte extraordinairement enthousiaste de La Maison Hantée, celle de Nous avons toujours vécu au château a terriblement souffert de l’effet de contraste. Je demeure convaincu du talent intemporel de Shirley Jackson, quand même, parce qu’on se respecte, ici, mais force est de constater, tout de même, que la sauce n’a pas autant pris pour moi à cette occasion. Sans doute parce que ce texte n’est pas du tout le même que le précédent, bêtement, mais aussi et surtout parce qu’il ne poursuit pas du tout les mêmes ambitions, je crois.
Et je m’en vais tenter d’expliquer ça.

Et en guise de résumé, une incartade à mes habitudes, en forme de mention spéciale aux éditions Rivages/Noir qui ont eu l’excellente idée de simplement coller l’incipit du roman au quatrième de couverture. Je ne dis pas que c’est une solution miracle que toutes les maisons d’éditions devraient reprendre, évidemment, mais dans le cas qui nous concerne aujourd’hui, je pense que c’est un coup de génie ; en effet, en un seul paragraphe, on comprend très vite de quoi il va être fondamentalement question, et surtout à quel sauce Shirley Jackson va nous manger.
J’aimerais insister d’emblée là dessus : si je n’ai pas spécialement apprécié ma lecture, je ne pourrais pas me servir de ce relatif manque de plaisir comme d’un argument à l’encontre du talent de l’autrice, au contraire. Si Nous avons toujours vécu au château n’a pas vraiment fonctionné avec moi, c’est précisément parce qu’il ne commet pas l’erreur que d’autres textes commettent trop souvent à mes yeux pour causer ma frustration : il fait des choix, et il s’y tient, jusque au bout. En découle un texte pétri d’une atmosphère unique et maîtrisée à la perfection, à l’image de son intrigue, aussi ténue soit-elle, ose-je avec un peu de mesquinerie espiègle.

C’est là, je pense, que ça passe ou ça casse pour le lectorat potentiel de ce roman. Tout nous est narré directement par une protagoniste qu’on devine assez vite être assez instable, justifiant un style assez décousu et parfois un peu incohérent, ou du moins extrêmement délié, ne nous livrant que de façon très ponctuelle des éléments de compréhension solide des événements qui nous sont racontés par Shirley Jackson au travers de Mary Katherine. C’est à la fois extrêmement habile et foutrement casse-gueule à mes yeux, puisqu’on passe tout le roman à devoir faire confiance à cette pauvre fille tout en devant remettre en question tout ce qu’elle dit. Et je dis ça alors que j’ai anticipé une astuce du bouquin dès les premières pages, tout en me disant que c’était très probablement voulu par l’autrice, ce qui a ajouté une couche de déstabilisation supplémentaire. Je ne sais toujours pas réellement, au bout du compte, à quoi j’aurais du faire attention pour capter pleinement l’intention générale du roman.
Et ça me donne au final une impression mitigée. D’un côté, je dois bien admettre que cette fois ci, je n’ai pas tout compris, ce qui me frustre évidemment ; et pour autant, je n’ai pas le sentiment que Shirley Jackson ait ici commis la moindre erreur, si j’ose dire. L’atmosphère de malaise et de paranoïa qui empoisse le texte me semble trop parfaite pour être l’objet de la moindre critique objective, de la même manière que les innombrables détails parsemant le texte nous en donnant les éléments de compréhension essentiels sont trop nombreux pour que je puisse accuser l’autrice d’avoir été inutilement ou prétentieusement cryptique.

Je crains qu’on soit dans le cas un peu triste d’un excellent ouvrage, sans doute pionnier de son genre, arrivé trop tard dans mon parcours pour que je puisse vraiment en profiter avec toute la fraîcheur qu’il mérite. Là où La Maison Hantée m’avait fait découvrir une façon de raconter une histoire déjà vue d’une façon inédite parce que je demeure profane dans son domaine – et que de toute façon c’était trop fort – Nous avons toujours vécu au château souffre sans doute d’un petit retard technique au sein de mon prisme. Échaudé par d’autres récits dérivatifs ou similaires dans la méthode, l’exécution ou l’idée centrale, j’ai vu venir le truc trop vite pour pouvoir profiter pleinement de l’innovation originale.
Ou, plus cruellement, je n’ai juste pas vraiment été touché. Ou bien encore aveuglé par mes œillères analytiques, j’ai raté le véritable essentiel du texte, me concentrant sur des aspects de peu d’importance au lieu de simplement me laisser porter par la complexité émotionnelle de son drame. Parce que j’ai bien lu qu’il se passait quelque chose de tragique là dedans, et que c’était raconté d’une façon singulière. Mais trop fidèle à moi-même, j’avoue bien volontiers avoir sans doute commis l’erreur de vouloir chercher ailleurs mon contentement. Heureusement, il est aisé pour moi de reconnaître sans aucun mal, en dépit de ma relative déception, que Shirley Jackson, c’était vraiment pas n’importe qui : elle avait capté des trucs qui tardent encore à être compris par d’autres passé·e·s après elle. Y compris moi, donc.

En bref, une rencontre qui n’est pas arrivée, mais un excellent texte au demeurant, surprenant par son parti pris et par l’excellence de sa maîtrise narrative. J’ai beau insister un peu sur ma frustration, j’ai tout de même lu ce bouquin très vite et avec une curiosité sans cesse renouvelée, séduit autant que convaincu par l’efficacité de Shirley Jackson. Au fil des pages, il y a toujours eu un élément nouveau au bon moment pour me faire continuer en me demandant où elle voulait bien me mener. Arrivé au bout, certes, je ne suis pas certain d’avoir exactement capté de quoi il était question, mais si incompréhension il y a, je suis persuadé qu’elle est de ma faute : on écrit pas un bouquin aussi bien pour ne pas être capable de dire les choses clairement au travers du texte. J’ai cherché trop loin ou pas assez, je n’ai pas mis le curseur au bon endroit, j’en suis sûr.
En tout cas : c’est fort dans l’évocation atmosphérique, dans le malaise, dans le déséquilibre, dans un étrange confinant juste assez avec l’absurde pour nourrir une ambiance poisseuse et dérangeante. Et c’est sans doute là l’essentiel.
Je n’en ai donc toujours pas fini avec Shirley Jackson, oh que non. Et j’aime ça.

Au plaisir de vous recroiser.
En attendant, que votre avenir soit rempli d’étoiles. 😉

6 comments on “Nous avons toujours vécu au château, Shirley Jackson

  1. tampopo24 dit :

    N’ayant pas lu La maison hantée, je me dis que ça pourrait le faire, car l’efficacité et les mystères de l’auteur me tentent bien. C’est noté 😉
    De même pour Zelazny, j’ai lu et adoré son premier cycle des Princes d’Ambre mais étais pas mal déçu par la suite et je n’ai pas osé aller sur d’autres textes, à raison a priori ^^!

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    1. Laird Fumble dit :

      Zelazny, j’ai creusé un peu plus, y a des trucs sympas, et je continue à creuser : je te tiens au courant. 😉

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      1. tampopo24 dit :

        Avec grand plaisir, je veux bien une petite liste de ce qui notable 😉

        J’aime

      2. Laird Fumble dit :

        Pour l’instant, je trouve que son île des morts et sa novella dans la collection UHL valent le coup. C’est pas les princes d’Ambre, mais c’est intéressant. =)

        Aimé par 1 personne

      3. tampopo24 dit :

        Duement noté, surtout sa Novella qui me fait de l’oeil depuis un moment, passionnée du Japon que je suis ^^

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  2. Lullaby dit :

    Je comprends… j’ai lu Nous avons toujours habité le château des années avant de lire Maison hantée (mais je connaissais déjà l’intrigue de ce dernier, ayant vu et frissonné son adaptation, La maison du diable – celle en noir et blanc). Et ça a été un choc pour moi, je me rappelle encore la sensation de malaise qui m’étreignant après ma lecture. Mais c’était mon premier livre de Shirley Jackson, ça n’aurait peut-être pas aussi bien fonctionné si j’avais lu en sens inverse. Pour Zelazny, je n’ai (je crois) rien lu de lui à part les Princes d’Ambre. Et si c’est le cas ça n’a pas du me marquer puisque je suis incapable de m’en souvenir ! Par contre les princes d’Ambre, wouhaou, quelle lecture ce fut !

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