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À chacun ses dieux, Clifford D. Simak

underpass – Flor (extrait de l’album ley lines)

Question : pourquoi on ne parle pas plus de Clifford D. Simak ?
Vous me répondrez sans doute « Demain les chiens« , et vous n’auriez pas vraiment tort ; il est vrai qu’on en parle souvent, et à raison. Mais alors, pourquoi on n’évoque pas plus les autres bouquins de l’auteur, son œuvre générale ? Parce que mine de rien, je commence à en avoir lu pas mal, des bouquins de ce cher monsieur, et un constat s’impose encore et toujours : il se passe avec lui quelque chose de spécial à chaque lecture. Même ses ouvrages les plus moyens à mes yeux contiennent toujours au moins une fulgurance majeure ou une qualité d’atmosphère unique, une preuve indéniable de son talent singulier et/ou de sa superbe modernité de pensée. Ce qui me fait me demander pourquoi on ne le réhabiliterait pas un peu plus dans le prisme des vieux auteurs intemporels méritant absolument de résister à la cruauté du temps qui passe.
Vous l’aurez compris, aujourd’hui, on va faire des phrases, parce que c’est ce que les auteurices doué·e·s provoquent en moi.
Certes, À chacun ses dieux n’est pas un roman absolument exceptionnel ou majeur, mais il contient quelques petits détails pas si petits qui méritent qu’on dise tout le bien possible de leur auteur, ainsi que ce que je crois enfin avoir saisi de son génie si personnel.
Hop.

En 2185, l’essentiel de la population terrestre disparait du jour au lendemain, sans explication ni raison apparente. Seule une poignée d’humains subsiste, en compagnie d’une cohorte de robots désormais dépourvus de maîtres à servir. Très vite, il apparait que tous ces survivants développent une longévité exceptionnelle, ainsi que d’étranges pouvoirs. Et ainsi, la vie recommence, différemment, sur une planète vide, où la nature reprend ses droits, et où les hommes doivent apprendre à faire les choses d’une nouvelle manière ; sans cesser de s’interroger sur le destin des Autres.

Bon, disons le : À chacun ses dieux, en dépit de tout ce que je vais avoir de bien à dire à son sujet, souffre d’un sérieux problème de rythme. Je ne dirais pas que je me suis ennuyé, non ; mais je ne peux pas non plus dire que je me suis absolument éclaté. Il faut bien dire que ce récit se base plus sur ses réflexions métaphysiques qu’autre chose pour construire son intrigue, si on peut réellement appeler ça une intrigue. Il y a quelques mystères à élucider et des personnages pour nous illustrer leurs contenus, mais ils font plus office de vecteurs aux questionnements de Clifford D. Simak qu’autre chose. Ce n’est pas un mal dès lors qu’on l’a compris – et on le comprend vite en lisant quelques dialogues un peu alourdis par l’exposition des enjeux du roman – mais il faut l’accepter pour avancer sereinement dans le texte : on est pas là pour ressentir grand chose en compagnie des personnages. On est là pour s’interroger sur un après hypothétique nous renvoyant un reflet pas toujours très flatteur du maintenant. Toute l’ironie magnifique étant évidemment que le maintenant du roman est un avant pour un lecture du maintenant de maintenant, mais vous avez l’idée. Comme j’avais pu le dire lors de ma chronique sur les enfants de nos enfants, une des forces majeures de son auteur, c’est bien qu’il avait capté beaucoup de choses avec beaucoup de clairvoyance et lucidité, et qu’il ne se cachait ni de ses constats, ni des colères en découlant fort justement. Je me permets de me répéter : il est toujours frappant de lire des bouquins qui ont 40 ans être plus conscients des réalités que certains bouquins sortis il y a une semaine.

Mais s’il ne s’agissait que de constater une nouvelle fois la modernité de pensée de Clifford D. Simak, je n’en ferais sans doute pas des caisses comme dans mon intro. Je vous aurait dit qu’une fois de plus on avait à faire avec un bouquin sympathique et pas trop daté mais pas exceptionnel. Sauf qu’ici, en dépit des reproches formels que je pourrais faire à un bouquin un peu trop lent et pas forcément passionnant à lire pour qui recherche un frisson émotionnel ; il s’est passé un truc, quand même.
Et ce truc, c’est le vertige conceptuel. Il y a une idée dans ce bouquin qui m’a renversé le cerveau. Même pas une idée majeure en plus, en terme de traitement et de volume consacré ; mais pourtant, exprimée avec une clarté et une fulgurance, d’une manière si sobre et efficace… J’ai pris quelques secondes pour encaisser le choc avec un soupir et un sourire, en me disant que décidemment, cet auteur n’était pas n’importe qui.
Et si on ajoute à ça les quelques scènes typiquement Simakiennes parsemant le roman, piquetant de poésie candide son atmosphère doucereuse, si on se laisse aller à simplement accepter de suivre le courant de sa gentille rivière, eh bah on arrive au bout avec satisfaction. En tout cas c’est ce qui m’est arrivé, je ne pourrais pas jurer que c’est pareil pour tout le monde.

Parce qu’il faut bien dire que je me suis un peu habitué à l’approche si spéciale de Clifford D. Simak, à ce supplément d’âme non identifié qui me fait tant l’apprécier depuis le début en dépit de tous les menus reproches que ses romans les moins convaincants pouvaient me faire formuler. Et avec ce nouvel ajout à ma collection mentale, j’ai, je crois, définitivement compris quelque chose de majeur à son propos : je pense avoir identifié ce supplément d’âme, ce qui chez moi, provoque toujours un sentiment d’épiphanie merveilleux et un attachement encore plus grand au sujet de ma découverte, si personnelle ou fausse fut elle.
Je crois que le secret de la douceur Simakienne, le cœur caché de sa modernité et de sa bienveillance contagieuse, c’est l’absence d’antagoniste dans ses textes. Comprenons nous bien: il y a évidemment des antagonismes, des conflits – plus souvent internes qu’externes, d’ailleurs – mais jamais d’antagoniste réel ou incarné de manière essentielle. Ce qui fait que les romans de Simak, ou du moins ceux dont je me rappelle suffisamment pour étayer ma thèse, m’ont tant marqué positivement, c’est qu’ils s’appuient toujours sur des mécaniques de solidarité face à une adversité immatérielle, dénuée de tout manichéisme, mais bourrée de complexité. Simak ne me semble jamais avoir de « méchant » ayant charge de représenter les éléments négatifs de ses thèses, les diluant plutôt dans la narration et les réflexions de ses protagonistes. Et bon sang que c’est efficace, comme façon de procéder. Incidemment, je crois que c’est sur une démarche similaire que s’appuie Becky Chambers. Coïncidence ? Sans doute. Mais une très jolie coïncidence. Parlante.

Alors non, pas le roman du siècle, sans doute. Pas un roman dont on pourrait faire exégèse pendant des décennies, d’autant qu’une partie de ses réflexions étaient déjà présentes dans des romans précédents de l’auteur, et notamment son Magnum Opus. Mais quand même un roman diablement intéressant pour certains de ses choix et pour les pistes philosophiques qu’il entame, d’une manière délicieusement propre à son auteur. Et si je ne saurais vraiment le conseiller à n’importe qui à cause de certains de ses parti-pris narratifs pouvant paraître un peu datés ou trop audacieux, versant parfois dans le cryptique ; je ne pourrais pas ne pas l’aimer pour toujours, puisque il a été celui qui m’a donné le sentiment de saisir enfin une clef de compréhension majeure à l’égard d’un auteur qui m’est désormais extrêmement important. Un sentiment d’autant plus magnifique qu’il reflète parfaitement une des idées principales du roman ; on peut difficilement faire mieux, en terme de cercle vertueux.
Bref bref : on devrait plus parler de Clifford D. Simak. Beaucoup plus.

Au plaisir de vous recroiser.
En attendant, que votre avenir soit rempli d’étoiles. 😉

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