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Cinémâh – L’Empire, Bruno Dumont

Je suis de cielles qui pensent et qui déplorent que la France a un très gros problème avec ses cinémas et littératures de genre, depuis des années, pour ne pas dire des décennies. Sur quel compte le mettre exactement, je n’en sais foutre rien ; mais si mon expérience de fan d’Imaginaire depuis tout petit m’a appris un truc, c’est que ce n’est jamais ou trop rarement considéré par les instances légitimantes comme quelque chose de « bien ». Acceptable pour les enfants ou les ados attardés, ou comme pur divertissement bas du front, à la rigueur, mais jamais considéré comme une forme d’Art élevée, intellectuellement parlant.
Ce qui explique sans pleinement justifier une part de ma méfiance généralisée envers un pan entier de la Culture à la Française, qui a trop tendance à mes yeux à se placer sur un piédestal condescendant ; dédaignant ostensiblement une grande partie de ce qui constitue mon identité et ma culture propre.
Alors forcément, quand Bruno Dumont, un cinéaste que je ne connais que très peu, sur la maigre base de quelques séquences solitaires étudiées pendant ma licence de ciné, annonce – via marketing – un « Star Wars à la française », forcément, je suis titillé, et ce à plus d’un titre.
Le moi optimiste se dit qu’un cinéaste renommé qui convoque un monstre culturel de la SF grand public (pour ne pas dire que techniquement c’est de la Space-Fantasy, chut, les gens ne sont pas prêts, et c’est pas si important), c’est un pas en avant dans la bonne direction, en dépit du potentiel résultat. Ce moi là se dit que juste permettre de faire se dire au public que ce qu’ils méprisent passivement, par habitude feignante, depuis tout ce temps, a éventuellement des choses à montrer qu’ils ne connaissent pas et qui peut leur parler ; ce moi là à envie d’y croire.
L’autre moi, celui qui est lucide, se dit dès cette annonce que c’est mal barré. Parce que convoquer ce monstre-là, c’est faire preuve, à mon humble avis, d’une profonde méconnaissance de la richesse et de la diversité de la production science-fictive, que ce soit en littérature comme au cinéma. Quand on sait par exemple à quel point Hollywood aime à se nourrir dans la BD francophone pour nourrir son iconographie, il n’y a basiquement qu’à se baisser pour trouver des idées et des références autrement plus modernes et iconoclastes et donc intéressantes que Star Wars. Pas que Star Wars soit mauvais ou une mauvaise porte d’entrée à l’Imaginaire, c’est pas la question ; mais simplement, c’est terriblement convenu. Vu et revu. Surtout quand on s’appelle Bruno Dumont et qu’on a quand même la réputation de faire les choses à sa manière et jusqu’au bout, quitte à brusquer ou dérouter. Pourquoi convoquer quelque chose d’existant quand on peut simplement créer quelque chose d’absolument personnel à défaut d’être original ?
C’est donc avec les yeux de cet autre moi que j’ai décidé, par curiosité malsaine avant tout, après un rapide coup d’œil dubitatif à l’affiche, de voir la bande-annonce.
Puis, après une dizaine de soupirs horrifiés et deux ou trois rires nerveux, je me suis dit que si je devais être fidèle à moi-même et au discutable sens du sacrifice déjà convoqué maintes et maintes fois lors de mes autres explorations audacieuses, je devais voir ce film. À environ 10% pour la chance d’être agréablement surpris, et à 90%, je l’admets bien volontiers, pour la chance de pouvoir défoncer allègrement ce qui s’annonçait clairement pour moi comme un très mauvais film aux yeux du fan de SF que je suis. J’ai des mauvais instincts, parfois, il est vrai. Même si je comptais aussi, éventuellement, ainsi préserver les yeux et oreilles de mes petit·e·s camarades pétri·e·s de curiosité, mais à l’instinct de conservation non défaillant.
Mais trêve d’intro ! Je pense que vous avez une bonne idée du contexte, et au pire, il sera toujours temps de préciser quelques petites choses au long de la chronique.
Parce que J’AI DES CHOSES À DIRE.

Commençons comme il se doit par un résumé des enjeux du film. Je préviens, je vais pas trop me retenir de spoiler, parce que franchement, je pense que l’essentiel est largement ailleurs.
Dans un petit village côtier qu’on devine être du côté du nord de la France à cause des accents, se livre une bataille sans merci entre deux empires galactiques ayant pris possession des humains du coin, dont l’enjeu central est le destin du Margat ; à savoir un charmant bambin de quelques années, progéniture de Jony (orthographe officielle gracieusement fournie par les sous-titres du film). D’un côté, nous avons les 0, partisans du Néant Suprême, menés sur Terre par ledit Jony, Chevalier Noir de son état. De l’autre, nous avons les 1, représentés par Jane et Rudy, répondant au slogan de « règne solidaire et égalité ».
Les premiers veulent préserver le Margat, leur Prince, pour en faire le futur régent d’une terre où l’humanité serait vassalisée au Mal Absolu. Les seconds veulent le tuer pour préserver l’humanité sous leur influence et leur bienveillante régence, quitte à couper quelques têtes au besoin.

Je sais déjà que je ne m’adresse pas à un public très large, avec cette chronique ; tout comme je sais déjà pertinemment qu’une grande partie de son public ne comprendra même pas les reproches que je pourrais lui faire, dans le sens où il les trouvera évidemment ridicules, parce que venant d’un regard qui n’est pas le leur. Ce que je veux dire par là, c’est qu’avec son ambition affichée de faire « du Star Wars », Bruno Dumont, en tant que scénariste et réalisateur, se place dans le prisme de l’Imaginaire, qu’il le veuille ou non : il convoque avec sa référence tout un bagage et un héritage avec lesquels il est forcé de composer, une continuité culturelle. Depuis les films de George Lucas, il y a eu des suites, des préquelles, des films et des livres inspirés de tout ça ; l’iconographie, les concepts, les codes ont évolué. Et ne pas faire un minimum de recherches ou de lectures sur ces sujets, c’est se condamner à l’obsolescence. Et bien entendu, vous l’aurez deviné, je pense que le réalisateur n’a absolument pas fait le quart de la moitié de ce travail essentiel.
Le truc, c’est que les éléments d’Imaginaire introduits par Bruno Dumont dans son film ne sont rien d’autre que des vecteurs symboliques ; il n’ont pas de matérialité. Oui, les 1 se battent (de façon ridicule) avec des sabres laser, se déplacent dans l’espace avec des vaisseaux-cathédrales, là où les 0 se déplacent dans un gigantesque vaisseau-Château-de-la-Loire-jardin-inclus, mais cette technologie n’apporte aucun élément de réflexion ou de progression au film : ce ne sont que des images, des moyens d’exprimer autre chose au sein du film, qu’il aurait sans doute été trop basique ou fade de dire frontalement.

C’est pour moi l’un des plus gros problèmes du métrage, d’un point de vue dramaturgique, mais aussi et surtout à mes yeux de fan de SF : il emprunte des codes sans avoir aucune idée de leur signification ou de leur potentiel usage dans le cadre d’un film de genre. Pire, il les méprise activement, et en fait régulièrement un argument comique. Forcément, des dialogues ampoulés faisant acte de prophétie cryptique dont dépend le destin de la Terre, suspendus au destin d’un gamin sachant à peine parler et devant lequel on génuflexe, c’est ridicule, et en soit, ça pourrait même être assez marrant, j’en conviens. Sauf que la parodie, la satire ou le pastiche, ça suggère un certain niveau de déconstruction pour fonctionner : il faut faire acte d’une référence précise pour qu’elle fonctionne en dépit de la tendresse qu’on peut éprouver envers ce qui est moqué. Bruno Dumont, lui, n’y connait apparemment rien d’autre que les quelques images consacrées et évidentes. Il n’est pas là pour convoquer ou déconstruire, il n’est là que pour se moquer, assez bêtement, d’un point de vue extérieur, faisant fi d’un éventuel contexte ou d’une histoire générique et thématique sous-tendant ces ensembles.

Et c’est peut-être l’autre gros souci du film, d’ailleurs, bien au-delà de son usage discutable de la SF. Après tout, ce ne sera pas la première fois ni la dernière que l’Imaginaire n’est qu’un faux-fuyant pour exprimer des idées immatérielles, faisant fi d’une quelconque cohérence matérielle d’ensemble afin d’avant tout éviter de dire trop frontalement ce qui veut réellement être dit. Non, le problème, c’est que dans la suite logique de ce mépris pour un genre auquel il ne veut pas accorder le moindre crédit au delà d’emprunts assez patauds, L’Empire tout entier suinte à mes yeux d’une suffisance terrible, et d’une condescendance à l’avenant pour tous ses sujets.
Puisque bon, ce film se veut assez clairement – en tout cas je crois – une allégorie du paysage politique actuel, divisé en trois camps. D’un côté, on a les 0, littéralement le mal absolu. De l’autre, on a les 1, des prosélytes du bien hypocrites, en fait bien plus dangereux que les 0. Et entre les deux, on a les braves gens (des ploucs, disons le) qui ne sont pas impliqués dans ces luttes. Sont ptet’ pas bien malins, mais ils font de mal à personne et ils vivent leurs vies tranquillement, en somme.
En gros, Bruno Dumont nous joue le couplet de l’extrême centrisme avec une absence de subtilité consternante. Jony, Jane ou Rudy ne sont finalement rien d’autre que des pauvres pions (un peu cons, surtout Rudy) répétant à l’envi les slogans et principes rigides de leurs élites décideuses et distantes, obéissant aveuglement aux ordres sans rien comprendre de leurs implications ou significations, croyant juste dur comme fer au bienfondé de leurs causes respectives. Ce qui expliquerait alors peut-être certains dialogues démantibulés ou répétitifs au point de perdre le moindre sens ; l’écriture de ce film jouant énormément sur le symbolisme, avec notamment un jeu de correspondance assez clair entre les costumes des deux dirigeants suprêmes des deux camps, on pourrait y voir la représentation du marasme idéologique jusqu’au-boutiste dans lequel Bruno Dumont semble figurer les cibles de ses attaques.
De là à voir un traitement très timide de l’extrême-droite chez les 0 et l’épouvantail wokiste chez les 1, avec une certaine équivalence BINAIRE (les zéros et les uns, vous l’avez ?! *WINK WINK*) dans son esprit, je vous laisse juges ; mais moi je sais ce que j’en pense. À savoir que ça craint grave, comme grille d’analyse.

D’autant plus quand on considère le traitement réservé aux personnages féminins, dont la misogynie est surprenante dans sa frontalité, vu comment le film prend des pincettes pour tout le reste. C’est bien simple, on a trois personnages féminins principaux dans le film : elles sont deux à être séduites sans aucun effort par Jony, dont une alors qu’elle est censée être son ennemie mortelle. Mais que voulez vous, le magnétisme primal des mâles, la faiblesse des femelles face à la chair ; il aurait été dommage de se priver d’un bingo complet du film rétrograde à tous les niveaux. Ce qui inclut bien entendu des scènes de cul complètement gratuites avec du bon male gaze dedans, comme des dialogues d’une vulgarité crasse, on a des standards à respecter.
Traitez-moi de puritain si vous voulez, mais personnellement, j’ai quand même terriblement du mal avec l’idée centrale que semble exprimer le film à l’approche de sa conclusion, à savoir : « Pourquoi on continue à s’emmerder avec la politique, alors qu’on pourrait baiser ? Hein, franchement ? ».

Mais tout ça, à la rigueur, c’est presque plus personnel qu’autre chose. J’ai été heurté par l’interprétation que je fais du travail de Bruno Dumont sur ce film. Il est tout à fait possible, même si j’en doute très fort, qu’il puisse me convaincre que je fais partiellement ou complètement fausse route au sujet de ce qu’il voulait exprimer avec ce récit, et les choix qu’il y a opérés. C’est possible. Il y a d’autres données un peu plus objectives auxquelles s’intéresser, je pense.
Je peux, dans cette optique d’honnêteté intellectuelle, saluer le travail des effets spéciaux et du design des vaisseaux, par exemple. Ils ne font que moyennement sens à l’aune du récit, et la moitié d’entre eux sont clairement pompés directement dans Star Wars, mais ils sont super propres au niveau de l’animation, et ce en dépit du standard très bas du cinéma européen.
Après, je peux aussi respecter des choix cinématographiques qui ne sont simplement pas de mon goût mais qui peuvent se comprendre, d’un certain point de vue. Celui d’avoir un casting très largement amateur, par exemple ; j’imagine qu’on peut y voir une certaine authenticité, une forme de fraîcheur dans le jeu, quand on a trop l’habitude de travailler avec des « pros » aux automatismes trop rigides.
En tout cas c’est la seule explication que je peux envisager avec un minimum de sérénité face à un sacré nombre de prises clairement ratées et tout de même incluses dans le montage final. Entre les bafouillements, les regards caméra, les moments semblant maladroitement improvisés, le jeu parfois très aléatoire, ou certains effets visuels obsolètes ou terriblement maladroits, force est de reconnaître qu’il y a de quoi être déstabilisé ; je pourrais envisager un parti-pris un peu dadaïste là-dedans, un truc un peu punk. C’est vraiment pas ma came, mais pourquoi pas, après tout. Ça excuserait la roue libre totale de Luchini et certaines des prises où on le voit clairement ricaner sous barbe de ce qu’il vient de dire tellement il n’y croit pas. Ou le fait que Camille Cotin n’en a pas grand chose à faire pour ses quelques scènes, et je la comprendrais aisément.
Oui, au delà de mes clairs griefs envers les choix politiques et créatifs de Bruno Dumont, je peux aussi reconnaitre qu’il y a beaucoup de jolis plans larges, même si je les trouve personnellement beaucoup trop longs et trop redondants. Je serais de mauvaise foi de ne pas reconnaître au cinéaste une réelle maîtrise de la mise en scène, quoique assez froide et par moment clinique et lente, mais c’est vraiment personnel aussi. D’autres que moi pourront goûter les incursions surprenantes de l’absurde, que je n’ai pas pu considérer autrement que des faux-fuyants pour parvenir à rythmer un récit autrement assez poussif et creux ; mais forcément, ma lecture politique du film n’a pas aidé non plus.

Bref, c’était vraiment pas bon. Et je pense qu’il est important de le dire.
D’abord parce que je pense que les gens qui partagent mes goûts et mes curiosités pourraient être également tentés d’aller voir ce film ; je serais ravi de vous faire l’économie d’un ticket et de deux heures.
Ensuite et surtout parce que je pense que le cinéma comme l’Imaginaire en France méritent infiniment mieux qu’un film tel que celui-là. Je ne doute absolument pas qu’il trouvera son public, ne serait-ce que par la réactance évidente que la levée de bouclier méritée chez une partie des détracteurs les plus vocaux du film provoquera chez certains ; mais aussi et surtout parce que Bruno Dumont dit là-dedans des choses qui plairont à une grande partie du public.
Mais le fait est que si vous aimez la science-fiction et ses codes, vous avez une infinité de ressources autrement plus plaisantes à explorer que ce film. Il aurait pu n’être qu’une tentative naïve et prétentieuse de faire de la SF en en ignorant tout, mais il ne parvient même pas à ça, tout empêtré qu’il est dans des obsessions malsaines. Tout simplement parce que ce n’est pas de la science-fiction, c’est un pamphlet politique trop lâche pour dire ce qu’il pense clairement, se cachant derrière des arguments thématiques et génériques. Et il n’a même pas l’élégance d’être malin ou subtil.
Après, peut-être que Bruno Dumont voulait vraiment faire un Star Wars à la française, et qu’il ne s’est pas bêtement empêtré les pieds dans le tapis de ses pulsions au fil de l’écriture. Mais même dans cette optique, il s’est vautré, parce que son film n’est pas divertissant, et surtout, il n’a pas réussi à faire ce que même les détracteurs les plus virulents et de bonne foi de George Lucas doivent lui reconnaître : à savoir faire un film antifasciste.

Au plaisir de vous recroiser.
En attendant, que votre avenir soit rempli d’étoiles. 😉

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