
Overcompensate – twenty one pilots (extrait de l’album Clancy)
Encore et toujours : tenter des trucs, sans s’inquiéter du pourquoi. C’est comme ça qu’on se prend une pile de 11 bouquins pour 10 euros en bouquinerie, sans lire les résumés ou se renseigner le moins du monde ; un nom de collection, un nom d’auteurice vaguement familier ou un élément un peu différent de d’habitude suffit à se dire que ça vaudra le coup.
Aujourd’hui, ce sont les influences combinées de la collection Présence du Futur et d’un auteur originaire de Thaïlande – c’est pas banal – qui auront eu raison de ma résolution, cette dernière étant bien contente de se laisser submerger par l’évidence du raisonnement. Bon, on s’amusera bien volontiers de l’ironie faisant que ce bouquin est le premier tome d’une trilogie, considérant la possibilité d’avoir l’envie dévorante de lire la suite après une découverte renversante, mais ce n’est pas l’essentiel ; l’idée, c’est d’essayer des choses qu’on n’aurait sans aucun doute pas essayé autrement.
Et dans le cas qui nous concerne aujourd’hui, niveau expérience inédite, j’ai été servi, c’est le moins qu’on puisse dire.
Après, niveau appréciation, c’est un peu plus compliqué. Disons que je suis globalement content, mais que c’est pas la totale joie non plus. Si j’étais un peu trivial, je dirais qu’il y a à boire et à manger. Décortiquons tout ça.
L’humain a conquis l’univers grâce à l’exploitation des capacités uniques des Portevents, des créatures singulières originaires de la planète Gallendys. Depuis des millénaires, l’Inquisition maintient un contrôle drastique sur cette ressource, et de fait sur l’ensemble des mondes humains connus, au prétexte d’une compassion dogmatique et tyrannique.
Or, sur Gallendys, les destins de trois personnes sont sur le point de se croiser, et de bouleverser enfin cet équilibre. Un inquisiteur hérétique, puni et nommé Roi de la planète selon les règles d’un jeu politique tortueux et cryptique, le Makhrùg ; une Fille-qui-n’a-pas-encore-de-nom, vivant dans le pays obscur où vivent et sont exploités les Portevents ; et Kelver, jeune paysan rêvant d’ailleurs.
Bon. Conceptuellement, ça tabasse. Sévère. Je ne vois pas comment le dire autrement ; je ne conçois même pas comment le penser autrement. C’est rare pour moi, maintenant, de lire un bouquin, et de dès le départ, me dire comme ici « ok, là tu tiens un truc assez costaud ». Je ne saurais dire si c’est une question de principe-type, de prémisse initiale ou plus simplement d’un travail d’expression singulier de la part de l’auteur, mais n’empêche que voilà : les Portevents, l’Inquisition, les chasseurs d’utopies introduits très vite dans le roman, comme les habitant·e·s de l’Obscur Pays ; il y a une ambiance, une idiosyncrasie écrasante qui se dégage de l’ensemble, quelque chose d’assez fabuleux et d’indiscutable. Et ce qui est d’autant plus impressionnant, je trouve, c’est que ça ne se résume pas qu’à des concepts généraux, même s’ils sont assez surplombants et massifs, il y a aussi toute un tas de détails créatifs et littéraires assez cools qui parsèment le roman, contribuant encore à asseoir un récit unique et franchement original, extrêmement vivant dans son expression. Et même assez moderne par bien des aspects ; je pense notamment à l’écriture aussi maline qu’organique d’un peuple sourd et aveugle communiquant par le toucher : ç’a grave de la gueule, et je n’ai jamais rien lu de tel.
Alors voilà, le premier tiers est passé tout seul ; le bonheur de lire un truc brillant sur le fonds a fait tout le travail tout seul pendant une bonne partie de ma lecture, la curiosité est un moteur d’une puissance rare, pour moi. Je sentais bien que la forme était un peu trop sophistiquée pour moi, mais j’étais près à faire l’impasse là-dessus pour ne m’épancher que sur ce qui m’avait séduit et convaincu tout à la fois ; l’ambition de l’auteur était bien trop claire pour que je fasse la fine bouche, pour une fois. Oui, certaines relations allaient certes un peu trop vite, certains raisonnements m’échappaient un peu, et la partie concernant l’Inquisition et ses traditions politiques me semblaient souvent un peu trop absconses à force d’altérité cryptique, mais ce n’était pas grave du tout : l’essentiel était clairement ailleurs. Qu’importe, parfois, une expression un peu trop guindée ou ampoulée, tant que le rythme est là et que les idées compensent une forme manquant un peu d’organicité ; je sais faire des efforts.
Mais bon, vous l’aurez compris, ce sentiment n’a pas vraiment duré. Je ne dirais pas que le roman est brutalement tombé en qualité, mais plutôt que je me suis, à ma propre surprise, lassé aussi vite de ses idées que de son style ; et donc, au fil de ma lecture, j’ai assez vite fatigué. Ma fascination était somme toute intacte, mais l’équilibre avec ma relative fatigue stylistique s’est rompu ; et si le récit avançait à un rythme tout à fait convenable, je ne pouvais m’empêcher de penser que thématiquement et conceptuellement parlant, ça tournait un peu en rond. Comme si l’auteur, finalement, m’en avait trop dit, trop vite, m’empêchant de conserver tout le long de son récit le plaisir d’une découverte relativement fraîche.
Je me suis donc retrouvé, arrivé aux deux tiers, à lire un peu en diagonale. Pas que je m’ennuyais vraiment, d’autant que j’avais réellement envie de savoir où tout ça allait mener, mais j’avais le sentiment d’un curieux remplissage, d’un récit qui savait exactement quelle était sa destination, mais pas certain du meilleur chemin à emprunter pour s’y rendre, se créant des détours artificiels pour justifier son volume, presque. Ça ou plus simplement, j’ai vraiment un gros problème avec le style et les descriptions un peu trop longues, ou encore un certain déficit d’attention m’empêchant de m’accrocher sur la longueur à certains récits prêtant autant attention à leur style qu’à leurs idées.
Peu importe : l’essentiel, c’est que je suis quand même allé au bout en faisant quelques concessions à mon impatience et à mes inattentions, parce que je voulais savoir de quoi il était fondamentalement question. Pas forcément ce qui allait arriver aux personnages, sans doute plus fonctionnels qu’autre chose, ici, mais j’avais fait la paix suffisamment vite avec cette idée pour ne pas m’en formaliser au final. Et je demeure curieux après une conclusion assez maîtrisée pour donner une forme de fin à ce roman précis tout en ménageant une ouverture assez large à ses suites.
Encore une bonne inspiration de ma part. Certes, c’est peut-être un peu trop bavard et formaliste pour mon goût, mais bon sang que c’est intelligent et créatif. Certes, l’ambiance poétique et contemplative est parfois un peu pesante pour qui comme moi ne sait plus vraiment voir ni apprécier la beauté, mais n’empêche que je n’ai jamais – ou pas à mon souvenir – lu une telle space fantasy assumant autant ses ambitions et ses mécaniques.
Je ne saurais jurer que je vais me mettre en quête des suites de ces Chroniques de l’Inquisition, mais il me parait assez évident que je n’hésiterai pas à m’emparer de ses tomes 2 et 3 si je peux mettre la main dessus. À vrai dire, je suis même étonné de n’en avoir jamais entendu parler jusque là.
Vivent les bouquineries d’occaz’.
Au plaisir de vous recroiser.
En attendant, que votre avenir soit rempli d’étoiles. 😉
