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Les Annales de la Compagnie Noire T2 – Le Château Noir, Glen Cook

Jade’s Place – Destrage (extrait de l’album The King is Fat’N’Old)

Ça faisait longtemps, dites. Comme un écho ironique à l’introduction de ma chronique de Superméchant Débutant, j’ai décidé autant que subi une pause littéraire de deux grosses semaines. J’avais juste pas envie ; et si j’ai bien appris une chose avec ces années de blogging, c’est que me forcer n’amène rien d’autre qu’un burn out progressif. Il s’agit toujours de retenir que la lecture, comme tous les loisirs, peu importe le niveau de sérieux et d’implication qu’on y injecte, même si on peut en tirer une activité professionnelle ou semi-professionnelle comme moi, il faut que ça reste un plaisir. Sinon ça n’a plus aucun sens, et on devient juste un drone sans passion ni émotion au service consumériste du capitalisme débridé nous menant droit à notre perte collective. Et ça c’est pas terrible.
Et donc, La Compagnie Noire. Parce que son premier tome m’a rendu profondément curieux, ce qui est assez rare, ces derniers temps. Alors certes, ça fait beaucoup de vieux bouquins, et de bouquins écrits par des mecs, dont la plupart blancs, ces derniers temps, en moyenne. Et ça m’embête un peu, pour en pas dire carrément, parce que ça manque cruellement de cohérence avec mes convictions affichées, j’en ai bien conscience. Mais que voulez-vous. À un moment, quand on a besoin de confort, il faut aller le chercher là où il est. Ça ne veut pas dire que je vais arrêter complètement d’aller chercher des bouquins qui méritent plus d’attention de ma part, mais plutôt que je vais sans doute tacher de mieux m’écouter à l’avenir, histoire d’avoir un meilleur rythme, ou en tout cas un rythme plus sain. Je me dis qu’en me laissant plus aisément aller à lire ce qui me donne spontanément envie, j’aurais plus d’énergie et de motivation à lire des œuvres moins évidentes, et que je les lirai avec d’autant plus le soin qu’elles méritent, au lieu d’un regard fatigué et manquant d’allant.
Mais bref. Tout ça pour dire que la pause est terminée. Et donc, qu’est ce qu’il vaut, ce Château Noir, suite à la lourde charge de faire suite à un tome initial prometteur bien qu’extrêmement ambigu ?
Eh bah c’est vachement bien, dites. C’est d’autant plus bien – j’ai fait des études de lettres, vous savez – que c’est très agréablement surprenant. Et si j’avais pu craindre à un moment manquer de choses à dire, je suis nettement plus serein maintenant qu’il me faut donner mon avis.
Procédons.

Première surprise : des années ont passées depuis la conclusion de notre première itération des Annales. Ce qui implique autant de changements plus ou moins voyants dans la dynamique de la Compagnie Noire qu’une certaine continuité. Je pensais sincèrement qu’après les événements du premier tome, on allait continuer tout droit et multiplier les péripéties de proche en proche, dans un sprint permanent auquel ce genre de fantasy m’avait habitué jusque là. Je suis ravi d’avoir eu tort : d’abord parce que ça change, bêtement, appuyant encore la complète singularité de la saga de Glen Cook. En dépit d’une certaine efficacité dans le récit, usant d’énormément d’ellipses et d’économies d’effets, ne se concentrant fort logiquement que sur ce qui concerne au premier chef le récit qui nous intéresse, l’auteur prend son temps, et continue d’intriquer avec une habileté redoutable le micro et le macro. On ressent tout à la fois les larges mouvements d’une histoire massive aux implications terribles, brassant des multitudes de victimes et d’anonymes sans importance, et des destins bien plus modestes, aux implications médiocres, bassement humaines, sans jamais perdre en cohérence ni en crédibilité. Mieux, les deux s’entre-nourissent en permanence, se répondant d’un chapitre à l’autre.

C’est d’ailleurs là la deuxième surprise, et pas des moindres. Exit la narration unique du point de vue de Toubib, on passe à une alternance entre les annales directes du doc’ de la Compagnie, toujours focalisée à la première personne, et celles consacrées à Marron Shed, un minable petit tavernier complètement étranger à la Compagnie, mais dont le destin leur est indirectement lié, écrites à la troisième personne, sans aucune précision ou explication, qu’elle fut de la part de l’auteur diégétique ou extra-diégétique. Et bon, forcément, un tel bouleversement narratif, personnellement, ça me fait bizarre. Je pourrais presque trouver que c’est de la triche, à un certain niveau. Après tout, ce sont les Annales de la Compagnie Noire, pas « les Annales de la Compagnie Noire et aussi de ce type, là, qui a un vague lien avec nous parce qu’il connaît un autre type qu’a bossé avec nous par le passé ». (Le spoil est ultra-mineur, promis, le lien en question est dévoilé très très tôt.)
Alors oui, j’ai été déstabilisé, très honnêtement. Pendant un temps, je me suis même dit que si Glen Cook ne me fournissait pas un quelconque élément de justification à ce choix très casse-gueule, c’en était déjà terminé ; je suis un garçon pénible comme ça, parfois, y a des règles tacites avec lesquelles je ne déconne pas. Sauf que bon, j’ai déjà dit que j’avais beaucoup aimé ce bouquin, donc le suspense est moyennement présent ; le truc, c’est bien que Glen Cook, il m’a tout l’air d’être un auteur foutrement talentueux et de très bien savoir ce qu’il fait.

Et ce pour deux raisons. La première, c’est qu’il sait tout bonnement raconter de très bonnes histoires bien prenantes, bien fascinantes. Même si je n’avais pas trouvé la narration complètement cohérente au final, même si j’avais trouvé que les jokers utilisés par l’auteur avaient été un peu abusés pour contourner sa propre focalisation initiale, l’histoire en elle-même est trop bonne pour que je ne lui accorde pas le point avec un coup de coude complice. La deuxième étant en plus que j’estime qu’il a su trouver une manière d’écrire cette alternance d’une façon crédible et hyper intelligente, me convaincant au fil du récit du bienfondé de sa décision par l’entremise d’une habile succession de signes et d’éléments construisant une nouvelle cohérence générale allant au delà de l’évidence. Parce que certes, pour pouvoir raconter l’histoire de ce deuxième tome d’une façon aussi complète qu’il l’a faite, Glen Cook était obligé de raconter l’histoire de Marron Shed séparément de celle de Toubib, au moins pour éviter des infos dumps indigestes.
Mais là où c’est sublime à mes yeux, c’est surtout parce qu’en fait, en découpant cette histoire de cette manière, il la sublime encore plus, en créant des liens nouveaux entre les différents éléments de sa saga, jouant par ailleurs assez délicieusement avec l’ironie dramatique qui en découle. Avec l’histoire presque Balzacienne de Marron Shed comme larguée en plein milieu de son intrigue de dark fantasy – j’ai jamais vraiment lu Balzac, je suis pas certain de mon parallèle, thug life – Glen Cook appuie encore un peu plus clairement l’ambiance et la philosophie narrative qu’il a construites dans le premier volume. Au delà de clairement le faire dire à Toubib histoire d’être vraiment sûr que tout le monde comprenne bien son ambition, il nous raconte une super histoire d’un type médiocre qui essaie de s’en sortir du mieux qu’il peut en dépit de circonstances affreuses, prenant autant de bonnes décisions pas récompensées que d’affreuses décisions aboutissant à des réussites insolentes, et inversement.

En fait, je crois que j’ai adoré ce volume parce qu’il m’a récompensé de ma bonne lecture du premier, d’une certaine manière. Je l’ai refermé avec une immense satisfaction parce qu’il m’a confirmé que j’avais complètement capté l’ambition de Glen Cook avant même qu’il l’affiche aussi clairement. C’est doublement gratifiant. D’abord et évidemment parce que pour le moment, si vous n’aviez pas encore compris, l’histoire qu’il raconte est complètement ma came, mais aussi et surtout parce que je sens une connexion s’établir entre moi et l’œuvre, ce truc rare, unique et enthousiasmant, qui me permet de capter entre les lignes des petits signes des événements à venir, d’entrer en empathie avec des personnages qui n’ont pas grand chose pour eux mais qui pourtant me parlent d’une façon qui leur est totalement propre.
En fait, arrivant à la fin de ce deuxième volume, je me dis que la vraie saga, d’une certaine façon, commence réellement maintenant ; que j’ai lu ses préquelles, mais écrites comme il le faut, pour une fois. (Je déteste les préquelles, de manière générale, que ce soit dit.) Glen Cook a réussi l’exploit de surfer sur une ligne de crète que jusqu’à maintenant je n’ai jamais trouvé satisfaisante nulle part ailleurs ou du moins avec une telle acuité : celle de l’arc de rédemption évident et mérité. Ce n’est pas un trope mobilisé pour le principe de le mobiliser, c’est une sorte de sérendipité littéraire. Un peu comme quand on commence un jeu vidéo où on a le choix de jouer le méchant et qu’on essaie histoire de voir, mais qu’on change d’avis au bout de quelques heures de jeu parce que finalement c’est pas la catharsis qu’on espérait ; ça rend la suite encore meilleure.
D’autant meilleure ici que les lignes sont brillamment grisées par Glen Cook, juste à la bonne distance, sans jamais perdre en organicité et en crédibilité. Au contraire, plus ça avance et mieux ça fonctionne à mes yeux, avec en plus la synergie magnifique de tous les éléments d’intrigue venant compléter l’ensemble et promettre une suite pleine de surprises, dont je ne doute pas qu’elles seront aussi puissantes que réussies.

Bref bref bref, c’était top. Honnêtement, je ne pensais pas être si enthousiaste. Je m’attendais à de bonnes aventures de crapule fantasy honnêtes et efficaces, et je me retrouve happé dans un truc qui me semble mériter encore mieux que ce que sa réputation laissait entendre. Il se passe un truc spécial dans cette saga avec moi, je crois. Un mélange assez merveilleux d’éléments purement humains et d’une maîtrise littéraire rare, le genre à me faire à terme sauter mes réflexes analytiques pour simplement prendre mon pied, quitte à en perdre la capacité d’exprimer clairement ce qui m’a fait kiffer.
Soit, c’est tout le mal que je puisse me souhaiter, je crois ; que valent quelques futures chroniques un peu vides face au plaisir de les écrire en repensant à ce que je viens de lire, hein.
On se retrouve donc à un moment pour la suite.

Au plaisir de vous recroiser.
En attendant, que votre avenir soit rempli d’étoiles. 😉

1 comments on “Les Annales de la Compagnie Noire T2 – Le Château Noir, Glen Cook

  1. Symphonie dit :

    J’ai encore plus envie de me relire le cycle, maintenant !

    Aimé par 1 personne

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