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Le petit-déjeuner des champions, Kurt Vonnegut

SklogW II (On a pas l’cul sorti des ronces) – Matmatah

Il était plus que temps que je m’intéresse au travail de Kurt Vonnegut. Ça fait une paire d’années au moins que je vois passer son nom, entre références planquées çà et là, citations inspirantes ou amusantes et autres recommandations enthousiastes de personnes de confiance qui connaissent bien mes goûts.
Et donc, sans tambours ni trompettes, nous y voilà enfin. J’ai lu du Kurt Vonnegut.
C’était, pour le dire diplomatiquement, une sacrée expérience. Pour le dire plus abruptement, ce n’était pas la lecture la plus simple de ma vie ; j’aurais sans doute pu terminer ce roman plus vite s’il était plus facile d’accès. Et pour autant, je dois bien dire qu’en dépit de cette mitigation formelle, il s’est passé quelque chose de spécial à son contact. C’était un processus singulier.
Ça tombe bien, mes chroniques me servent précisément à verbaliser ce genre de processus. Ne trainons pas plus, voulez vous.

D’un côté, Kilgore Trout, écrivain à la fois génial et minable, invité à un festival d’art un peu par hasard, accident ou erreur, on ne sait pas trop, qui doit voyager à travers les États-Unis pour s’y rendre. De l’autre, Dwayne Hoover, concessionnaire automobile perturbé dont la vie commence doucement à lui échapper à cause de sa mauvaise chimie cérébrale.
Ces deux hommes vont se rencontrer, et ça va mal se terminer.

Un résumé de pure forme, honnêtement, qui n’a qu’un intérêt limité à l’aune du roman lui-même, et qu’on pourrait même qualifier d’un brin malhonnête. Quoique « espiègle » serait sans doute plus approprié. Ce Petit déjeuner des champions, pour le dire sans ambages, est sans doute un des bouquins les plus punks et iconoclastes que j’ai pu lire dans toute ma vie ; et considérant que j’ai lu Outrage et Rébellion, ce n’est pas peu dire. Me permettant au passage un brin de vulgarité, j’oserais même dire que Kurt Vonnegut n’en a strictement rien à foutre. Ce qui est tout à la fois extrêmement déstabilisant et très amusant, dans des proportions qui ne cessent de fluctuer au fil de l’avancée du roman. Tout dépend du degré de laisser aller et de transgression que vous êtes capables d’encaisser dans une optique clairement satirique et narquoise.
Ainsi, je peux sourire et pouffer de façon complice avec l’auteur lorsqu’il se fait plaisir à coups de scuds assassins sur la culture et l’histoire américaine ou les effets du capitalisme, d’autant plus en réalisant encore et encore qu’on est en 1973 au moment de la première parution du roman. Comme je peux un peu grincer des dents quand la volonté de transgression, aussi bien intentionnée puisse-t-elle me paraître, pousse ce même auteur à en faire des caisses sur le sujet de la taille de bites de différents de ses protagonistes masculins ou les mensurations de ses protagonistes féminines. Clairement, c’est foutraque, thématiquement, narrativement ou chronologiquement, avec tout ce que ça suggère de malin, de couillon, de drôle ou de pas autant amusant. C’est un peu comme les dessins volontairement médiocres émaillant le roman : c’est régulièrement marrant par un simple effet d’absurde, mais ponctuellement, on se demande quand même ce que ça vient faire là.

En soi, je pourrais probablement m’arrêter là, je pense ; en terme de pure expérience de lecture, je pense avoir tout dit de l’évidence. Mais en dépit du côté bordélique du roman, de son côté parfois un peu trop jusqu’au-boutiste-sale-gosse qui me fait ne l’apprécier qu’à moitié – allez, 70/75% – force est de reconnaître que le sieur Vonnegut a touché quelque chose du doigt dans ce roman qui me fera quand même le défendre bec et ongles. C’est là l’avantage de clairement maîtriser les codes au départ, ou du moins de suffisamment les connaître : au moment de les détruire avec application, on sait quoi faire pour que ça fonctionne quand même. Et l’auteur, ici, se paie même le luxe de verbaliser ses intentions au sein même de sa narration sans que ça paraisse pompeux ou arrogant, en tout cas à mes yeux.
Alors oui, le résultat de ces ambitions n’est pas forcément complètement à mon goût, mais bon sang que la démarche est audacieuse, et surtout : rafraichissante. C’est d’autant plus surprenant et moderne quand on se remémore la date de parution initiale ; je sais que je me répète, mais ça me semble trop pertinent pour souffrir la redondance. Le petit déjeuner des champions, pour moi, est une impressionnante réussite avant tout pour son intemporalité. En dehors de quelques menus détails facilement ajustables et brillant avant tout par leur absence de nos jours ultra technologiques, l’essentiel de ce récit demeure impeccable de solidité, tant dans ses mécanismes que dans la psychologie de ses personnages.

Non, tous les choix opérés par Kurt Vonnegut ne m’ont pas conquis. Mais de tous ses choix découlent le même enthousiasme malicieux, la même sincérité : ce roman n’est pas issu d’un calcul savant ou d’un arrangement de tropes à la mode. Il n’est même pas le résultat d’une volonté militante ou d’une colère particulière, en dépit de ses attaques féroces et justifiées contre l’American Dream, tout ça n’est que de dégât collatéral à mes yeux. Ce roman est le résultat d’une volonté pure d’écrire quelque chose qui tenait à cœur à son auteur, d’une volonté, aussi, de s’amuser en le faisant, tout en exorcisant quelques démons au passage. Ce qui explique sans doute la profusion de fulgurances au fil du récit, autant de petites phrases et menus paragraphes qui frappent extrêmement juste, que ce soit en terme de réflexion politique, sociale ou philosophique, d’une manière amusante, déprimante ou enragée, mais toujours avec une lucidité difficilement discutable, et une forme de nihilisme positif que je trouve personnellement assez touchant. C’est pas parce que c’est la merde qu’on peut pas essayer de s’amuser un peu quand même.

Tout ceci explique sans doute la moue de satisfaction approbatrice qui s’est peinte sur mon visage au moment de refermer ce roman. Je n’aurais aucune difficulté à lister des choses qui m’ont réellement déplu dans ce roman, mais pourtant, je peux avec autant d’aisance vous dire que je l’aime beaucoup. On est dans ce cas assez beau à mes yeux de roman de niche absolu : si c’est votre came, vous pourrez mettre de côté tous les reproches du monde pour en saisir la joyeuse et substantifique moëlle. Dans le cas contraire, vous y serez hermétique, et puis c’est tout. Le seul moyen de savoir, c’est d’essayer.
J’ai essayé, et maintenant, ma curiosité est pleinement attisée : je vais tâcher de trouver d’autres Vonnegut à lire. Je sens qu’on va être potes.

Au plaisir de vous recroiser.
En attendant, que votre avenir soit rempli d’étoiles. 😉

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