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Les meilleures histoires de Science-Fiction Soviétique, Jacques Bergier

Float On – Modest Mouse (extrait de l’album Good News For People Who Love Bad News)

Pour mon anniversaire, le même très bon copain qui m’a prêté mes trois premiers numéros de Fiction m’a offert la présente anthologie. Un cadeau qui m’a fait très plaisir, parce que pile à la croisée de deux zones importantes du diagramme de Venn composant mes goûts littéraires : vieux et obscur, avec a priori autant de chance que ce soit complètement naze et donc hilarant ou que ce soit une perle inespérée m’apprenant plein de choses sur la littérature que j’aime. Un truc à tenter, donc.
Et me voilà, fringant et souriant, parce que c’était franchement pas mal du tout ! Hyper intéressant et surprenant d’une façon elle-même surprenante. Happy happy me.
Procédons.

Le monde que j’avais quitté, Anatoli Dnieprov
Un bon début ! Court texte satirique (et anticapitaliste) tournant autour d’un savant fou (américain) tentant de créer le modèle d’une société parfaite à l’aide d’une machine complexe et du cadavre ressuscité de notre narrateur. C’est équilibré dans les charges et assez léger dans le ton pour que la démonstration porte avec assez de pertinence en dépit du décalage temporel, c’est malin, c’est cool. Peut-être un peu simpliste dans la conclusion, mais le fonds initial demeure assez efficace et plaisamment narquois pour que ça fonctionne, donc je ne boude pas mon plaisir.

Le lotus d’or, M. Grechnov
Plus un conte moderne avec une toute petite touche de science-fiction qu’autre chose, extrêmement imprégné par la morale communiste et l’attachement à l’idée d’effort collectif. C’est malheureusement très descriptif et pas très palpitant. Plus intéressant pour son côté marqueur d’une époque et d’une idéologie que pour ses qualités littéraires à mes yeux.

Le grand C.I.D., Arcadi et Boris Strougatski
On m’a très chaudement conseillé de lire les frères Strougatski à plusieurs reprises sans que je passe le cap – la vie, le choix, tout ça – donc je suis content d’avoir un premier aperçu de leur travail ici. Le résultat est mitigé, mais ils n’y sont pour rien.
Je qualifierais le genre de cette nouvelle de merveilleux scientifique, à la louche taxonomique, et c’est là que le récit trouve toutes ses qualités et tous ses relatifs défauts. Forcément, se basant avant tout sur la science de l’époque de la rédaction, 80% de ce qui est raconté, conceptuellement parlant, me paraît complètement obsolète, d’autant plus cruellement quand les auteurs se livrent à un technobabble dépourvu de la moindre vergogne. Le fonds de l’histoire est donc assez bancal et frise le ridicule par pur décalage. Mais après ça, on a une projection futuriste cosmopolite et internationaliste, quelques idées qui tiennent toujours debout avec un peu d’ajustement intellectuel à la faveur de ce que les auteurs ne pouvaient pas savoir, et une chute assez amusante en dépit de son espiègle malhonnêteté. C’est plus scientifiquement daté que mauvais. C’est même assez bon, je dirais ; y a un truc qui m’échappe mais qui me fait ressentir une certaine tendresse envers ce texte. Un genre d’enthousiasme candide contagieux, le sentiment que ceux qui ont écrit ce texte l’ont fait avec de bonnes intentions et beaucoup d’amusement, peut-être.

Victimes de la bioélectronique, M. Dountau
Très court texte qui subit lui aussi les affres d’une certaine vieillesse. Le concept est très rigolo, mais exploité d’une façon manquant tristement de subtilité, comptant trop sur l’absurde de la situation initiale puis sur sa chute abrupte sans parvenir à mêler les deux avec élégance. Mieux écrit ou du moins mieux structuré, j’aurais sans doute beaucoup plus aimé.

Le procès du tantalus, Victor Saparine
Un concept intéressant, une sorte de science-fiction botanique posée en dilemme moral. C’est un peu aride, parce que très technique, et construit de manière éclatée sans que j’arrive vraiment à me l’expliquer, mais c’est suffisamment singulier pour rendre curieux. Et en plus, on retrouve encore cette vision très internationaliste et ouverte sur le monde qui rend le tout assez sympathique et plutôt moderne. Cool.

Rien d’extraordinaire, Iouri Safronov
Comme son nom l’indique. Une nouvelle technologico-mystérieuse un brin naïve et datée, encore une fois, qui déçoit surtout par sa chute humoristique ressemblant plus à un faux-fuyant qu’à une tentative comique vraiment construite. C’est vaguement sympathique, mais vraiment pas foudroyant.

Le cône blanc de l’Alaide, Arcadi et Boris Strougatski
Il semblerait que les Strougatski aient une petite fascination pour la technologie, ses implications, et pour les hasards de la vie, qu’ils fussent heureux ou non. J’ai bien aimé ce texte, en dépit de son rythme un peu trop tranquille et de sa chute twist un poil décevante. Déjà, parce que ses personnages étaient agréables à lire et à suivre, dans le genre un peu « tranche de vie », en parallèle d’une intrigue servant plus à exposer un concept central et ses ramifications qu’autre chose. Et puis surtout parce qu’encore une fois, il y a ce fonds de candeur enthousiaste dans la manière qu’ont les auteurs de narrer leur histoire, quelque chose de doux et de résolument optimiste, qui me parle. C’est pas renversant, mais c’est confortable, d’une certaine façon. J’aime bien.

La ballade des étoiles, Genrikh Altov & Valentina Jouravleva
Comme on dit : le meilleur pour la fin.
C’est d’autant plus pertinent que ce texte n’est pas vraiment une nouvelle mais plutôt une novella, lui laissant tout le reste de l’anthologie pour mieux respirer et profiter de l’élan insufflé par les histoires précédentes. Une excellente lecture à tous les niveaux ; le genre d’excellence qui me ferait vivement souhaiter une réédition au sein de la collection une-Heure-Lumière. Oui, c’est si bon que ça à mes yeux, parfaitement.
C’est l’histoire d’un sculpteur à qui on demande de discuter avec un explorateur spatial en mission afin de s’en inspirer pour une future œuvre d’art. Une prémisse toute simple mais exécutée avec une élégance et un souci du détail absolument merveilleux·ses. Il y a de tout dans ce texte : du sense of wonder, de la philosophie, de la réflexion politique, de la poésie, de jolis concepts science fictifs, de la suite dans les idées. Je me suis régalé.
Alors même qu’ironiquement, ce récit est celui de toute l’anthologie celui qui fait le plus frontalement démonstration de propagande communiste et de valeurs idoines un peu discutables ou nécessitant un peu de nuance, j’ai quand même trouvé que c’était un des plus équilibrés à ce niveau, simplement grâce à l’honnêteté que cela suggère. Les auteurices pensent que le communisme est la clé d’un avenir radieux pour l’humanité, alors iels pensent ce futur comme découlant du communisme ; pas par calcul, mais par conviction.
Et ça change, forcément : tout cette Ballade dans les étoiles est clairement écrite depuis un prisme décalé par rapport à la majorité des textes « Occidentalo-centrés », si j’ose dire, ce qui fait exprimer à Genrikh Altov et Valentina Jouravleva des idées également décalées par rapport au standard habituel de ce genre de SF. Personnellement, j’y ai même décelé une forme de modernité, de bienveillance optimiste et d’altérité extra-humaine que je n’ai jusqu’ici réellement trouvé que dans L’Oeuf du Dragon ou le travail de Becky Chambers ; pour ne citer que deux exemples. Un profond travail de réflexion au-delà des primes évidences formelles, allant chercher ses idées d’une façon merveilleusement transversale, avec une passion contagieuse ; le genre qui fait oublier les quelques scories rythmiques ou manques ponctuels de clarté, les reléguant au rang de détails inintéressants. Le reste est très largement compensé.
Le genre de texte d’exception qui justifie à lui seul l’acquisition de l’anthologie entière. Si le reste est bon, ce texte est vraiment très bon.

Et c’est sur ce constat très heureux que je peux conclure. Là où je suis surpris, c’est bien sur le ton généralement très optimiste et futuriste de la majorité de ces textes. Beaucoup de cosmopolitisme, de foi en un avenir radieux sur une Terre communiste ou plus sobrement unie sous une bannière solidaire et bienfaitrice, avec une conquête de l’espace issue d’une capacité d’exploration plutôt qu’une nécessité de fuite ; c’est très amusant de comparer cet élan extrêmement lumineux et confiant en contraste avec d’autres textes de la même époque issus du bloc capitaliste, pariant plus souvent – il me semble – sur une Terre détruite ou condamnée par les errements politiques de camps trop violents et trop orgueilleux pour construire une paix solide et durable.
Alors certes, c’est très probablement une construction pensée de cette anthologie, mais ça reste rigolo à constater, et vraiment plaisant à lire ; d’autant plus quand on constate que la vision du communisme qui est défendue ici n’est pas forcément celle que l’on se plaît le plus souvent à démolir ou moquer du côté des esprits les plus chagrins. (Même si bon, hein, y a communisme et communisme, si vous voyez ce que je veux dire. On se comprend.) On sent qu’une certaine vision de la société telle qu’elle était à l’époque de la rédaction ou telle qu’elle pourrait être infuse chacun de ces textes d’une fort belle manière. Tout comme on pourrait penser la vie ou la politique autrement, on peut penser l’art différemment ; c’est important de se le rappeler, de temps en temps. Même si ça se joue sur des détails. Ici, ils changent beaucoup de choses pour le meilleur.

Au plaisir de vous recroiser.
En attendant, que votre avenir soit rempli d’étoiles. 😉

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