
J’ai reçu tout plein de Fiction pour Noël, portant ma déjà jolie collection aux alentours des 70 numéros. Donc autant dire que je n’ai pas fini de vous souler avec ça de sitôt ; mais je suis gentil, je ne vous force à rien. Le fait est que tant que le plaisir sera de la partie, je ne vois aucune bonne raison d’arrêter.
Le choix du jour a été effectué sur la simple foi d’une très jolie couverture, dans ce que je crois être ma période favorite de la revue en terme de maquette frontale, sobre et efficace, mais surtout, soignée.
Et puisque tout le monde sait pourquoi on est là, à l’assaut !
L’étranger dans la maison, Kate Wilhelm
J’avais déjà lu un texte signée de cette autrice dans mon numéro 06 d’Univers, mais je n’en ai plus aucun souvenir en dehors de la chronique que j’en ai faite à l’époque. Toute l’ironie est que je vais sans doute me souvenir du présent texte mais pour toutes les mauvaises raisons. Je vais me contenter de dire que c’était nul, pour ne pas verser dans la vulgarité ou la méchanceté. Mais demeure que cette trop longue nouvelle n’a qu’une vague idée de ce qu’elle veut raconter, et le fait très mal. C’est bourré de dilutions, de dialogues abscons, de digressions inutiles, et surtout, c’est extrêmement mal construit. Si je peux effectivement comprendre l’argument mobilisé par l’exergue de la rédaction, faisant de ce récit une illustration clinique et cruelle de l’incommunicabilité entre les êtres, en l’occurrence ici un groupe disparate d’êtres humains et un extra-terrestre planqué dans la cave de la maison nouvellement acquise par un couple faisant partie de ce groupe, force est de constater que la cible est ratée d’une terrible distance, juste dans son exécution brouillonne et bordélique.
Le texte est génériquement le cul entre deux chaises, entre un récit fantastique classique du type maison hantée – le point de vue des humains – et un récit de pure science-fiction – le point de vue de l’alien – s’alternant tout le long de son intrigue. Sauf que bah… Le mystère censé faire le sel du fantastique est immédiatement annulé par le pragmatisme de la SF, et que le sense of wonder de la SF est juste absent, parce que les arguments mobilisés par Kate Wilhelm m’ont paru très vite aussi ringards que ridicules, et que la majeure partie de son récit ne fait pas grand sens. Entre incohérences insupportables, chronologie complètement pétée, rythme ennuyeux, personnages complètement cons, et, je le crains, une traduction un peu aux fraises, le mélange est terriblement indigeste. J’aurais pu voir cette histoire fonctionner en en modifiant radicalement les proportions, avec une des deux perspectives prenant majoritairement le pas sur l’autre afin de donner à la seconde le privilège d’un twist final changeant notre propre point de vue sur l’histoire, mais Kate Wilhelm n’a pas voulu faire ce choix. À se demander si elle a seulement su en faire un, finalement, étant donné à quel point ce récit est foutraque.
Et de fait, je le dis sans gêne, elle s’est plantée en beauté. Très mauvais texte. Sans doute un des pires que j’ai lu dans Fiction jusqu’ici.
La terre promise, Christine Renard
Pas ouf du tout. Texte post-apo qui a terriblement mal vieilli, surtout dans ses aspects les plus performatifs et hétéronormés vieille école. Si j’ai pu, je le confesse, me faire avoir par une astuce formelle un peu déroutante au milieu du récit, que je salue pour son côté jusqu’au-boutiste, le reste est surtout plat et démonstratif sans réussir à faire preuve de beaucoup de souffle. Le plus gros problème est sans doute le côté conservateur de ce que professe l’autrice au travers de ses personnages, faisant appel à ce terrible mythe des « anciens » qui semblaient avoir tout compris, par rapport à un monde nouveau qui ne nous est dépeint qu’au travers d’un seul marqueur social et technique. Comme souvent, c’est bien plus un problème d’exécution et de cadrage qu’un problème d’idée de départ ; on a toujours quelque chose à faire avec la découverte du monde sauvage à l’extérieur des dômes isolés d’après la fin du monde ; surtout venant d’une époque traumatisée par la menace nucléaire. Force est de constater qu’ici, le côté candide et superficiel de l’histoire narrée par Christine Renard surpasse toute sa bonne volonté et ne parvient pas à toucher à l’intemporel, au contraire, le texte est trop lourd de son époque, sur le fonds et surtout sur la forme.
Les privilégiés, Chet Arthur
Mieux ! Petit texte satirique efficace sur la vision du privilège dans la banlieue blanche américaine post seconde Guerre Mondiale. C’est mordant et extrêmement bien cadré, si bien ciselé d’ailleurs que j’aurais du mal à en dire assez sans trop en dévoiler. Ça fonctionne sans doute à mes yeux parce que ça n’en fait pas trop et que l’auteur a l’intelligence de construire son récit autour des mœurs et mécanismes qu’il dénonce plutôt qu’autour des éléments précis de ce qu’il raconte. Et du coup, c’est intemporel. Fort satisfaisant.
Une journée comme les autres, William F. Nolan
Je sais pas trop. C’est un conte absurde. Humoristique, sans aucun doute, mais le genre d’humour qui ne prend tellement pas sur moi que j’en arrive à ne pas savoir si c’est de ma faute ou de celle du texte. La bonne nouvelle, c’est que le texte ne me semble pas être méchamment daté ou offensant, quoique peut-être un brin psychophobe, mais d’une manière complètement oublieuse du sujet, essayant juste de créer un perpétuel et infini effet de surprise étrange. Je vais ranger mon sentiment de choc interloqué dans la catégorie de l’incompréhension pure et simple : j’ai pas capté la blague.
Le lieu et l’heure, Robert Lory
Encore un court texte à volonté comique, encore un qui me fonctionne pas vraiment pour moi. D’abord parce que son personnage principal est traité sur le ton de l’humour moqueur là où mes mœurs contemporaines me feraient plutôt tendre vers la compassion, mais aussi et surtout parce que la vanne/chute me paraît assez bête et méchante, et surtout moyennement en adéquation avec ce qui nous a été présenté du protagoniste jusque là. C’est pas mauvais en soi, c’est maîtrisé, mais c’est vraiment pas ma came.
Dans la salle des morts, Robert E. Howard & L. Sprague de Camp
Si je me doutais avec le nom d’un des co-auteurs de ce texte que j’allais lire de la bonne vieille heroic-fantasy, d’autant plus avec la couverture du numéro lui étant directement dédiée, je n’aurais jamais anticipé un tel petit trésor archéologique ! De fait, Robert E. Howard n’est ici présent qu’en mémoire, puisque Dans la salle des morts a été intégralement rédigé par L. Sprague de Camp à partir d’un synopsis incomplet du créateur du légendaire Conan le Cimmérien, narrant une des ses premières aventures, alors qu’il n’est qu’un voleur hors-la-loi encore loin de son envergure exceptionnelle. Première occurrence littéraire du barbare pour moi, et c’était aussi plaisant qu’inattendu.
Alors certes, je ne peux pas jurer que L. Sprague de Camp a totalement fait honneur et fidélité au caractère du personnage crée par Howard, mais si c’est le cas, il est clair que je suis curieux à l’idée d’en lire plus à l’avenir. Certes, on est sur du bourrinage de fantasy classique de chez classique – le genre qui pourrait faire croire à un emprunt au plus Porte-Monstre-Trésor des scénarii de Jeu de Rôle si la chronologie n’était pas complètement anachronique – mais il y a ici une forme d’élégance et de retenue qui m’a complètement désarçonné. J’oserais, je tenterais même un parallèle avec Des Sorciers et des Hommes, dans ce côté très karmique des événements, où les personnages, bien qu’étants des rustres, me semblent quand même extrêmement sympathiques et raisonnables. J’avais beau avoir un vague souvenir d’une certaine déconstruction de l’image du personnage de Conan, bien loin de son adaptation tout en muscles de Schwarzenegger, ça reste un plaisir de lire un barbare de sa trempe être décrit comme une panthère, aussi malin qu’habile, et pas uniquement porté vers la violence gratuite, faisant même preuve d’un caractère amène et équilibré.
Et du coup, tout ça m’a donné un sentiment de satisfaction total. C’était super bien rythmé, avec une super ambiance, des personnages certes un peu monolithiques, mais pas débiles, quelques surprises dans l’intrigue et une chute à l’avenant. Une bonne nouvelle de fantasy old school curieusement pas vraiment datée. Deux pouces en l’air.
Et voilà pour la portion fictions de ce Fiction, on passe au reste ! =)
Et pour commencer, la revue signée Gérard Klein d’une anthologie du dessin d’humour, sobrement titrée Les chefs d’œuvre du dessin d’humour, publiée chez Planète. Et si je partais du principe que n’étant pas un grand client du sujet, je n’aurais pas grand chose à dire ou retirer de la revue qu’en fait M Klein, je dois m’avouer dédit, avec un certain plaisir. D’abord parce que j’ai pris un certain plaisir à lire l’auteur de cette chronique encenser l’anthologiste dont il parle avec beaucoup de déférence et de respect, M Jacques Sternberg, et surtout parce qu’en vrai, il va au-delà du simple compliment au sujet du livre, pour réfléchir un peu à la place du dessin humoristique dans le paradigme artistique ; et que c’était franchement intéressant. Bon, alors après, évidemment, ça reste une critique assez rapide, donc les approfondissements proposés par Klein demeurent assez superficiels, mais j’ai bien aimé les pistes proposées ici. J’aurais presque eu envie de me procurer l’anthologie en question pour me faire mon propre avis sur ce genre de questions.
Ensuite, chronique de l’Histoire de l’Utopie de Jean Servier, par Demètre Ioakimidis. Fort équilibrée, je trouve ; saluant les ambitions et l’approche plus sociologique de l’auteur tout en constatant tout de mêmes ses lacunes plus techniques et historiques sur le sujet. Ce qui me fait me dire que l’ouvrage est un bon complément pour qui est intéressé·e par le sujet de base, pouvant ajouter un nouvel angle d’analyse à tous ceux déjà explorés.
Puis Naissance de l’art cinétique, de Frank Popper, par Gérard Klein. Je vais être honnête : j’ai commencé, ça m’a gonflé. C’est sans doute le fait qu’ici, je suis tellement absolument étranger au sujet de la thèse dont il est primordialement question que ça m’a négativement atteint par procuration au travers de la critique. Je vous prête mon numéro si ça vous intéresse, promis.
Enchaînons plutôt avec Demain l’espace, de Albert Ducrocq, par Demètre Iaokimidis. Un bouquin qui paradoxalement, anticipant l’espace du demain de l’époque de sa parution ; serait sans doute plus intéressant aujourd’hui pour ses vertus historiques. Mais le critique lui prête quelques aspects mal finis, je doute donc qu’il ait une postérité resplendissante.
Au tour d’Alain Garsault de nous parler des Trois âges de la nuit, de Francoise Mallet-Joris. Un triple portrait de victimes féminines de l’obsession mortelle pour la sorcellerie qui a traversé notre histoire, à la fois travail de romancière et d’historienne, j’avoue que l’angle d’attaque et le traitement a l’air intéressant ; et quelque part en avance sur son temps, quand on considère la résurgence contemporaine et variée de la figure de la sorcière. Comme quoi, décidemment, tout bégaie, c’est édifiant.
Passons maintenant à ce qui ressemble à une chronique à part, dont je me retiendrais de dire qu’elle est nouvelle au sein du dispositif éditorial de Fiction mais qui y ressemble quand même : « Livres en Marge », signée Jacques Goimard.
Et j’aurais aimé pouvoir en parler plus avant, mais malheureusement, c’est à une succession de notules lacunaires qu’on a droit, allant de bouquins moins connus d’Hermann Melville ou d’Henry James à une anthologie de peintures du Caravage en passant par un bouquin de cuisine juive. Étant donné qu’on y passe plus souvent l’essentiel des lignes à lire de quoi il est question plutôt qu’un quelconque propos d’approfondissement, l’intérêt à la retranscription est encore plus limité que pour le reste des chroniques qui peuplent cette section.
J’enchaîne donc.
Revue des films, je crois la séquence critique qui m’intéresse le plus en complément des critiques littéraires plus logiquement attendues.
Phantasmes, de Stanley Donen, par Bertrand Tavernier
Encore une superbe chronique signée par le réalisateur. D’abord parce qu’elle m’a donné très envie de voir le film en question, premier degré. Et bonus, ç’aurait sans doute été le cas même si je n’avais pas compris avec son titre VO, Bedazzled, qu’il s’agissait de l’original ayant inspiré le remake de 2000, réalisé par Harold Ramis ; un film que je devine très imparfait avec la distance des années, mais pour lequel je conserve une grande sympathie. Et bonus cerise sur le bonus gâteau, Tavernier cite Clifford Simak et Robert Sheckley : le premier d’une manière que je n’arrive pas à vraiment saisir, et l’autre de manière laudative. Ça fait toujours plaisir par où ça passe.
La guerre des cerveaux, de Byron Haskins, par Alain Garsault
Amusante coïncidence absolument pas anticipée par votre serviteur, cette chronique est celle-là même qui a inspiré une digression/réponse de la part de Bertrand Tavernier dans une toute autre chronique du Fiction n°180. Et effectivement, s’il méritait d’être défendu, ce film devait l’être, parce que Garsault n’est pas tendre. Et j’aurais tendance à me rendre à ses arguments, en partant du principe qu’ils sont sincères, ça ne donne pas très envie.
Trois fantômes à la page, de William Castle, par Alain Garsault
En un mot : Aoutch. Je n’ai jamais entendu parler de ce film, et je crois que c’est pour d’excellentes raisons. Même si on notera, quand même, qu’Alain Garsault semblait avoir des goûts très arrêtés en matière d’humour, et qu’il ne faisait pas dans la diplomatie au moment de les exprimer. C’est respectable, mais ça pouvait être douloureux.
La vengeance de la momie, de René Cardona, par Alain Garsault
Si je croyais que le critique se lâchait dans la chronique précédente, je n’avais encore rien vu. Mais ici, je me dit qu’un film dépeint comme aussi mauvais et négativement cinématographique pourrait bien titiller ma fibre nanardeuse. On sait jamais.
Orgie macabre, de A.C. Stephen, par Alain Garsault
Sur un scénario d’Ed Wood, d’après un roman d’Ed Wood, s’il on en croit les crédits relevés à la fin du film par le critique, il n’est pas besoin de trop en rajouter ; encore une très mauvaise pioche pour l’infortuné cinéphile qui n’a vraiment pas eu grand chose à se mettre sous la dent pour ce numéro. Terrible destin.
Je passe lâchement sur la rapide revue des arts signée Anne Tronche, ça parle d’un artiste contemporain de sa rédaction, un certain R. Bertrand, qui apparemment travaillait beaucoup autour des corps féminins nus. Autant dire que je ne suis pas intéressé.
Finissons donc avec le courrier des lecteurs.
Premier courrier signé d’une certaine Jacqueline Sarolea, de Liège, qui fustige le gatekeeping – avec ses mots, on se comprend – des « vrais fans » de SF, puis qui regrette l’absence de science-fiction soviétique dans les pages de Fiction. Si je m’explique assez aisément cet état de fait en considérant que la revue en langue française n’est qu’une émanation de sa consœur américaine, en pleine Guerre Froide, le calcul est évident. N’empêche que fort de ma lecture d’une très bonne anthologie, je ne peux qu’abonder en son sens : il y a là un vivier de textes à aller déterrer, encore aujourd’hui, j’en suis convaincu.
Le courrier suivant, de Gérald Héricault, de Latifole, se plaint qu’on prête trop facilement aux américains la paternité du genre de la SF alors qu’on a des trucs très bien en France depuis longtemps et avant eux, merci bien, hein. Et ce genre de peccadilles pseudo-historiques me feront toujours rire. Qu’est ce qu’on peut être mesquin par patriotisme mal placé, quand même.
Et enfin, Micheline Beaujard, de Paris, nous explique qu’il faudrait quand même soigner les traductions et le style des textes publiés, au risque de perdre une partie du public le plus raffiné et intellectuel face aux mauvaises tournures anglicisantes qui font office d’impardonnables scories. Comme quoi, décidemment, 50 ans ou 5 ans, les choses ne changent vraiment jamais autant qu’on voudrait le croire. Après, étant donné que je me suis moi-même plaint de la traduction dès le premier texte de cette itération, je vais pas trop faire le malin non plus. Mais c’est rigolo, quoi.
Pas un très grand numéro, honnêtement. En dehors du texte consacré aux origines de Conan, je dois bien dire que je n’ai pas été positivement marqué par grand chose, cette fois ; ce qui explique sans doute mon manque de prolixité, pour une fois. C’est comme ça ; l’expérience demeure toujours enrichissante malgré tout, et c’est bien l’essentiel. On verra ce que le prochain me réservera.
Au plaisir de vous recroiser.
En attendant, que votre avenir soit rempli d’étoiles. 😉
