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Le Léviathan de l’espace, Robert F. Young

Hello Lonely – Alfie Templeman (extrait de l’album Radiosoul)

Alors.
J’ai une sous-pile conséquente de bouquins dans ma PàL, constituée entièrement de vieilleries trouvées çà et là. Des bouquins auxquels, honnêtement, je ne crois pas des masses. Ils sont là parce que c’est important de ne pas s’enfermer dans le moindre présupposé, mais qu’il est aussi important de ne pas se faire trop d’illusions dans la vie. Se préparer au meilleur mais s’attendre au pire, un truc dans ce goût-là. Et donc, après ma lecture franchement pas enthousiaste de L’oeil et le doigt publiée dans la même maison que l’ouvrage qui nous concerne aujourd’hui, j’ai opéré un petit raccourci peu flatteur dans ma tête à son propos. Je n’avais plus que ce Léviathan de l’espace signé NéO à lire, et je partais du principe qu’il ne serait pas meilleur. Je m’en suis emparé en me disant avec un peu de malice, je l’avoue, que ce serait vite abandonné, que ça irait dans la série noire sans plus de cérémonie, mais qu’au moins, ça me ferait un peu de place à peu de frais.
Sauf que vous le voyez bien, c’est une chronique complète qui se profile, ici.
Ce qui veut dire qu’il s’est passé un truc. Il s’est même tellement passé un truc que j’ai décidé, à peine à la moitié du premier texte de ce recueil de nouvelles, que j’allais faire les choses à fond : sous-chroniques dans la chronique, texte par texte, carrément.
Ce qui s’est passé… Je vous laisse le découvrir par vous-mêmes.
Si vous voulez bien vous donner la peine. *Petite révérence*

L’arc de Jeanne
Ça pourrait n’être qu’une reprise space opera un brin naïve du mythe de Jeanne d’Arc, avec une fin un peu bourrine dans sa construction et certains aspects de sa structure, tout comme ça ne pourrait être qu’une vieille histoire accusant juste assez le poids des années pour être savoureusement kitsch… Mais non, j’ai vraiment bien aimé. Peut-être parce que j’y ai trouvé une vibe pile entre Les Dieux Sauvages et Le dernier des Ainés, ou peut-être parce qu’en dépit de ses évidents défauts de SF old school je lui ai trouvé un vrai charme. Je ne saurais pas exactement dire ce qui s’est passé avec cette nouvelle, mais il s’est passé un truc.

Les sables bleus de la Terre
Très joli petit texte satirique, d’autant plus plaisant qu’il est doublement malin, précédé par une exergue diégétique lui conférant encore un peu plus d’épaisseur ; allant plus loin qu’un simple récit de martiens découvrant une Terre étrangère. Très bon exercice de dépaysement et d’altérité nous tendant un reflet critique. J’ai lâché une moue appréciative en le finissant.

Idylle dans un relai temporel du XIe siècle
Super concept de nouvelle, idée super maline, rendue sans doute encore meilleure pour moi par le fait d’avoir anticipé la chute. Alors certes, moralement c’est un peu daté, mais même modernisé je crois que ç’aurait été difficile de faire autrement pour conserver l’idée centrale, donc je laisse passer pour cette fois. Je dois sans doute être séduit par l’idée que ce qu’a fait l’auteur dans ce texte est une astuce un peu évidente pour un·e écrivain·e de SF qui veut faire læ malin·e, et pourtant je ne l’ai jamais lue avant. Et le texte a plus de 40 ans minimum. Bon, c’est sans doute juste un coup de chance. Mais quand même. C’était fort sympathique. Peut-être grâce à une petite vibe Doctor Who. Peut-être.

Orage sur Sodome
En un mot : wow.
Ça commence très basiquement : deux hommes, deux femmes, perdu·e·s sur une planète inconnue après le naufrage catastrophique de leur vaisseau spatial. Et j’ai sincèrement cru que je tenais là le premier texte de ce recueil qui allait cruellement souffrir de son âge, avec son axe narratif s’appuyant principalement sur la frustration d’un des deux hommes persuadé de finir isolé et improductif dans la future entreprise de peuplement de cette nouvelle colonie humaine improvisée. Sauf qu’en fait, non. Alors certes, on n’échappe pas à une certaine dose de male gaze et de raisonnements misogynes extrêmement regrettables – les femmes présentées plus comme des objectifs que des personnes, par exemple – mais plus par capillarité traditionnelle que par volonté saillante de l’auteur ; au contraire, même, on sent qu’il essaie vaille que vaille de se dépêtrer de ses vieux réflexes délétères pour essayer de proposer autre chose. Si notre personnage principal a des vibes d’incel frustré, il n’empêche qu’il fait plutôt des bons choix pour ne pas céder à ses plus bas instincts, et que le récit prend des virages moraux vraiment inattendus. Et là dessus, ce qui doit presque s’apparenter à une étude de mœurs soutenue par des motifs science-fictifs discrets reprend une tangente surprenante et se conclut très intelligemment. Certes, certains aspects ont vieillis, mais ils ont si peu vieillis que c’en est presque anodin au regard de toute la modernité qui s’exprime par ailleurs ; je dirais presque que le côté rétrograde initial est calculé pour illustrer la marge de progression qui en découle. Je suis assez bluffé. Je suis peut-être trop généreux avec les intentions de l’auteur, mais je suis bluffé quand même ; dans ce texte là aussi, il se passe indéniablement un truc.

La fille qui arrêta le temps
Encore une franche réussite. Rien d’autre qu’une jolie histoire d’amour à la sauce hard-SF de l’ancien temps, mais en dépit de quelques (petites) facilités d’écriture et d’un regard un peu trop masculin sur ses sujets, c’est super mignon.

Poète, prends ton luth…
Si j’ai du mal avec la poésie en elle-même, je comprends nettement mieux l’angoisse que peut constituer le fait d’avoir une passion solitaire face à un monde qui ne sait ni l’appréhender ni lui laisser une place acceptable. Donc cette petite histoire d’une conservatrice – adjointe – de musée dont les automates poètes lui sont retirés a absolument su me séduire ; surtout dans sa dimension purement émotionnelle et humaine. C’était encore une fois assez mignon. Et une femme comme héroïne, non sujette d’une histoire d’amour mais d’autre chose, agente de son histoire, même si ce n’est pas grand chose et que ça aurait toujours du être un acquis, écrite par un homme, ça reste un changement agréable à remarquer dans une littérature de cette époque.

L’origine des espèces
J’en reviens pas.
Ça commence comme une aventure pulp des plus basiques, à coup de voyage dans le temps et d’hommes préhistoriques qui ne font pas ce que des hommes préhistoriques devraient faire ; du pulp me faisant me dire qu’en dépit du charme désuet de son aventure, enfin j’allais pouvoir me plaindre à fond du regard masculin de l’auteur. On a en effet droit à du male gaze et des pensées rétrogrades de la part du protagoniste envers sa camarade demoiselle en détresse, grossièretés et misogynie crasse à l’appui. Sauf que non, encore une fois, il prend un virage hyper moderne aux deux tiers du récit et fait pivoter l’ensemble de son récit vers un twist final un peu maladroit mais quand même malin, qui avec lui emporte une partie des reproches que je pouvais lui faire. Je n’arrive pas à y croire. Je suis prêt à reconnaître que c’est vieux jeu dans le traitement, et que vraiment ce n’est pas parfait ; mais compte tenu du contexte et des dates, je suis obligé de considérer que vraiment, c’est pas mal du tout.

Rapport sur le comportement sexuel des habitants d’Arcturus X
Bon, là, c’est plus compliqué, quand même. Tout est dans le titre, et pas vraiment. Le problème, ici, je pense, c’est que l’auteur tente de la psychologie de comptoir et se base sur des conceptions de l’activité sexuelle et une essentialisation des comportements masculins et féminins complètement obsolètes. Alors on évite quelque chose de trop vulgaire et des scènes ou idées vraiment trop malsaines, heureusement, mais le fonds de l’affaire reste affreusement gênant.
Si je veux bien reconnaître que l’idée n’est pas complètement nulle et qu’à défaut d’être à jour, au moins l’auteur tente de prendre le contrepied de certaines conceptions vraiment rétrogrades ayant court au moment de la rédaction, c’est quand même pas fifou pour autant. Probablement le texte le plus faible du recueil jusque là. 8/9, je peux décemment pas me plaindre.

Le léviathan de l’espace
Et pour finir, une fable écologique à base de héros perdu dans le ventre-monde d’une baleine spatiale. Qui, encore une fois, m’a bien pris par surprise. Ça parle anthropocentrisme et inéluctabilité de notre mort collective par épuisement des ressources naturelles, ça lâche même un scud pas forcément subtil sur le manque de rentabilité utilitaire de la voiture individuelle, c’est vraiment pas mal. Certes, on reste dans un paradigme assez classique dans bien des aspects et ça évoque surtout un horizon techno-solutionniste, mais là aussi, pour la période, déjà, on peut saluer le diagnostic avant de se plaindre du traitement. Et puis mince, au delà de ça, il y a de belles scènes, des jolis dialogues, des moments suspendus, une certaine poésie philosophique, un traitement singulier d’une question maintes fois retravaillées… Non, je ne peux décemment pas me plaindre. C’était vraiment très cool.

Et au final, bah… C’était une petite tuerie, cette anthologie. Sans rire. Le standard y est extrêmement élevé à mes yeux. Certes, on sent planer à bien des moments le spectre sombre du patriarcat et de certaines traditions nécessitant désespérément leur déconstruction ; mais précisément, on sent que Robert F. Young n’est pas venu sans sa boîte à outils. Si je veux bien admettre que ses vision de la jolie femme comme objectif de vie et du mariage comme seul horizon souhaitable pour un jeune homme en recherche d’amour est à absolument à revoir ; je veux aussi reconnaître à l’auteur sa capacité à remettre en cause beaucoup des composantes de ces visions, et notamment du rôle que l’homme a à y jouer. Pas une nouvelle ou presque sans un homme devant faire preuve d’introspection pour positivement évoluer, admettre ses erreurs pour devenir meilleur et mériter ces trophées qui ne devraient pas en être. Beaucoup de ces nouvelles où la femme, bien que regardée et dépeinte à travers un regard trop esthétisant, a droit à ses moments, à une véritable personnalité et à des réflexions progressistes liées à son statut. C’est pas parfait, ok, mais ça fait beaucoup de bien à lire, et ça tape plus souvent juste que l’inverse à mes yeux, compte tenu du contexte (je ne me fais pas trop d’illusions non plus, hein). Le sentiment que j’ai, arrivé au bout de cette sélection, c’est que Robert F. Young aimait bien initier ses histoires autour de réflexions erronées de la part de ses protagonistes – masculins – pour mieux les subvertir par la suite et exprimer ses propres opinions sur les sujets qu’il choisissait d’aborder. Ce qui est à chaque fois un pari casse-gueule, mais une démarche si remplie d’ironie, d’une telle modernité, et à laquelle il me semble exceller, que je ne peux que la saluer et la considérer comme sa marque de fabrique.
Si j’osais, au delà de ça, je tenterais même un parallèle avec mes chers Theodore Sturgeon ou Clifford Simak, ici. La même vibe bienveillante et douce, cette même absence régulières d’antagonistes réels, remplacés par des conflits désincarnés faisant plus office de symboles qu’autre chose… Ce même amour de l’exploitation conceptuelle par la réflexion humaine et les situations organiques. Et de fait, la même sensation de découverte riche, aussi réconfortante qu’un peu déprimante ; tous les auteurs n’ont pas toujours été de gros connards misogynes et certains se sont même discrètement placés en soutien des luttes. Alors bon, ça ne garantit rien dans les faits, mais c’est toujours ça de pris en terme d’occupation du terrain culturel, si vous voyez ce que je veux dire. Et au pire ça fait de bons textes à lire. Très bons, en l’occurrence, je n’en démordrai pas.

Oh et vous en voulez une bonne, avant que je vous laisse partir ?
À mi-chemin de ma lecture, par curiosité, j’ai jeté un oeil à la quatrième de couverture, pour voir comment l’éditeur parlait de son anthologie. Figurez vous que tous les textes choisis à l’exception de La fille qui arrêta le temps ont d’abord été publiés en France dans des numéros de Fiction ou Galaxie. C’est-y-pas quelque chose, ça, comme coïncidence ? Bon, pas vraiment. Mais c’est sympa à signaler quand même. De fait, j’avais même oublié que j’avais déjà chroniqué deux textes de Robert F. Young dans deux numéros de Fiction : le 90 et le 170. Je trouve ça très rigolo. Et clairement, maintenant, je ne vais plus oublier son nom. Ça fait plaisir de me dire que j’ai une nouvelle référence à scruter dans mes futures incursions archéologico-littéraires.
Quel privilège.

Au plaisir de vous recroiser.
En attendant, que votre avenir soit rempli d’étoiles. 😉

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